Les sept parties de la nuit
« Il y a sept parties de la nuit : vespro, crepusculo, conticinio, intempesto, gallicinio, mattutino et diluculo. »
Isidore, Étymologies
« Il y a sept parties de la nuit : vespro, crepusculo, conticinio, intempesto, gallicinio, mattutino et diluculo. »
Isidore, Étymologies
« Nous vivons une crise historique. Je crois que nous ne sommes pas encore au fond, pas même au milieu de cette crise. De plus en plus j’y pense. Je suis convaincu que le scénario culturel, intellectuel et politique n’a pas encore exprimé tout son potentiel. Nous devons nous considérer à la fin de la troisième guerre mondiale ». La guerre dont parlait Dossetti dans cette interview de 1993 était plus dévastatrice ou tout aussi dévastatrice que les deux autres, car elle n’a été menée que par le mal au nom du mal, entre des puissances également maléfiques, quoiqu’apparemment avec moins d’effusion de sang. Mais cette guerre, de toute évidence, n’est pas encore terminée, elle a pris d’autres formes et nous y sommes encore sans pouvoir en voir la fin.
Les discours que l’on entend si souvent aujourd’hui sur la fin de l’histoire et le début d’une ère posthumaine et posthistorique oublient le simple fait que l’homme est toujours en train de devenir humain et donc aussi de cesser de l’être et, pour ainsi dire, mourir à l’humain. La revendication d’une animalité accomplie ou d’une humanité achevée de l’homme à la fin de l’histoire ne rend pas compte de cette incomplétude constitutive de l’être humain.
L’institution est une passion française. On la retrouve à toutes les sauces, que ce soit l’institution républicaine, révolutionnaire, anarchiste, ou même la psychothérapie institutionnelle. La France est le pays de l’institution. Même la Révolution est devenue une institution, qu’on peut exporter aux quatre coins du monde. Cette spécificité française est particulièrement tenace chez les gens cultivés, à force de docilité éducative dans les grands corps de l’État et les écoles supérieures, on ne cesse de rechercher des institutions partout. La passion qu’y vouent les Français est le signe évident de son assimilation totale au christianisme, même si ce pays s’en croit pourtant libéré. Il faut revenir en deçà, revenir sur son histoire, sur sa signification originelle pour cerner ses logiques internes et ses imbrications sur la matérialité de l’existence.
Les images se font et se défont, et l’une des plus tenaces est celle de la société. Elle s’impose dès lors comme une fiction, comme une fiction policière. Écrire une fiction, puis l’effacer, ainsi la réécrire une nouvelle fois encore. Tel se constitue le geste de la société : être fait et refait. Dans cette fiction aux effets bien trop réels, la matrice essentielle tient dans le principe d’exclusion/inclusion. Pour intégrer ses proies, la société doit détruire toute hétérogénéité, établir un ordre, ordonner les corps par certaines conduites. Par son principe matriciel, la société se doit de tenir ses enfants sages, autrement dit, produire des bons citoyens est une condition nécessaire à son fonctionnement. Le citoyen est toujours bon, il le doit pour rester sous la bienveillance de la société. C’est ainsi qu’il lui est inévitable de défendre la société pour éviter le pire : être défait. Le citoyen doit prendre un chemin, celui de la guerre. C’est sa tâche, même s’il a pourtant horreur de la guerre. Sauver la société est le seul moyen pour lui de ne pas perdre le peu de consistance qu’il incarne. Une chose est sûre, la société est toujours en guerre.
À l’heure où la biopolitique parachève son emprise sur nos existences, la situation que connaît la psychiatrie nous apparaît être un cas paradigmatique : alors qu’elle prétend se désinstitutionnaliser, la psychiatrie — qu’il s’agisse de son institution et son en-dehors — n’a probablement jamais autant été à l’avant-garde de la biopolitique.
Errance d’un fiasco, itinérance d’une inconsistance. Constat sur l’autodéfense sanitaire. Passe-temps abstrait pour métropolitains angoissés et impuissants devant l’évidence de la situation : leur mode de vie produit par le monde techno-militaro-industriel offre une vie fragile. L’épreuve de vivre une vie fragile, c’est subir l’inclinaison à l’ordre, être déterminé par ces ordonnances. Quand certains réclament : « Il faut défendre la fragilité ! », il faut comprendre « Il faut défendre la société » ! Pour justifier cette horreur terriblement réactionnaire, les gauchistes retournent à la bonne vieille méthode moraliste du sujet, instrumentalisant les pauvres, les « handicapés », ceux que la société reconnaît comme faibles et parasitaires, reprenant alors le récit des gouvernants.
L’élection présidentielle a révélé le véritable visage d’une grande partie des milieux radicaux, anarchistes, autonomes et antifa. Eux, trop souvent catégorisés par l’insulte de gauchiste, sont aujourd’hui bien des gens de gauche. La répétition continuelle de la France Insoumise de se dire « prêt à gouverner » devrait être un repoussoir naturel à tous les révolutionnaires. Il n’en a rien été, l’enseignement de Saint-Just a sonné dans le vide. La révolution n’est qu’une question d’apparence pour eux. En réalité, tous les militants radicaux qui ont appelé à voter pour Mélenchon révèlent le caractère profondément creux de leur apparence radicale.
À l’heure où le désastre ne fait que croître, des mouvements de résistance non humains s’intensifient. Le vivant n’a pas encore rendu les armes face au capital et à l’anthropocène. Le monde animal a, au fil des décennies, subi une accélération drastique de la destruction de ses milieux de vie. Devenant pour certains des prisonniers de Zoo en tout genre, reflétant enfin compte notre condition d’humanité. Parquer les animaux pour les préserver de leur extinction, révèle le véritable sens de notre conception de la vie. Incapable de prendre le mal à la racine, nous préférons « sauver » ces animaux de la mort, pour leur offrir avec humanisme une vie sans vie, c’est-à-dire une vie totalement soumise à la bonne volonté de l’économie. Cela ne vous rappelle rien ? « Qui voudra sauver sa vie la perdra » (Marc). Nous avons fait cette expérience regrettable d’un parc humain généralisé. Regarder sur son smartphone ou sur sa télé, des vidéos de sympathiques animaux pour soulager le vide affectif et existentiel toujours plus profond.
Qu’importe les saisons, elles-mêmes déjà disparues. Incendies, sécheresses, et autres phénomènes dits « climatiques » s’accentuent aux quatre coins du globe. De la Californie à la Grèce, en passant par l’Inde, les conséquences du ravage universel sont visibles à tous. Les projections du GIEC n’annoncent rien de bon sous le soleil du capital. Trois ans nous annoncent-ils, avant que ne soit trop tard. Peut-être qu’il est déjà trop tard pour le fameux sursaut.