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Dénivelés

Le haut de la montagne est aussi le fond d’un océan. Nous marchons sur les crêtes d’un fond de sommets. L’ascension est inversée. Pensant monter nous descendons. Les terres se sont soulevées. Nous marchons au fond, nous marchons inversés. La tête du monde est ses pieds, la gravité, une histoire de temps.

Un dessin de retournements, des couches de sols levées. Nous percevons l’envers des géologies. Monts sont remonts, œuvres des frottements souterrains, creux en sol et sols en creux. Mille pieds sous terre rehaussés d’autant, dénivelés de gouffres faits d’ondes et de vibrations. Apprendre à percevoir l’envers, c’est encourager le regard, à remonter le temps et ses formes.

Les montagnes sont habitées, de dires et d’histoires, trans-missibles, souterraines, à bas mots. Leurs crêtes témoignent de profonds soulèvements, et nous marchons sur ses plis démembrés, non pas à pas de loups, mais plutôt à la manière des cloportes, silencieux et vibrants, par de succincts à-coups, aux aguets des bruits et de leurs formes. Crevasses, racines, mottes, failles hors d’âges, gisants d’ossatures en dormance.

Les sept mille ans arrivent à terme et l’on suggère proche le réveil des géants. On entend dire à l’écart que c’est ici, et maintenant. On s’imagine alors par toutes les terminaisons nerveuses de nos corps, percevoir depuis le sol, le grondement lourd et puissant qui précédera l’irruption. L’érection terrestre, ses crachats de laves débordant les capacités du langage.

Y dorment encore les dépouilles des résistants, au pied des quelques pierres qu’hier encore abritaient les maquis. Territoires magiques que les états exècrent, où subsistent des savoirs et des pratiques que l’on ne fixe pas en textes, où aucun ordre républicain ne fait sens ni autorité. D’une montagne à l’autre, ce sont des signaux de fumée qui annoncent.

Faire signe par-delà le verbe. Les méthodes premières servent le langage des gestes, tenant en respect les lois écrasantes des maîtres prétendus, qui claironnent et s’honorent entre eux de couronnes, au titre de civilisés. Ma peau, mon corps, cet être tout entier, échappé, des carcans et de la torture, demeure l’étranger volontaire, passeur de correspondances et éternel semblable à ses frères demarges.

Ruisseaux, cours, torrents, rivières, cycles sourds propres au corps-Terre que nous foulons, sont exemplaires de logique et de détermination. Qu’ils transportent les excès, débordent les cotes, enfoncent les ratios, invitent à l’écoute et suggèrent l’arrêt. Pourtant pas un angle-mort de ce monde n’est laissé serein. Walden n’a pas connu les bois.   (…)

Justin Delareux
 Mai 2024 

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