Situation

La stratégie de séparation

Un texte de Michele Garau
Aiguiser un point de vue révolutionnaire pour attaquer le présent, tel est l’horizon. Prendre la parole dans un débat qui n’existe pas encore, entrer dans une nappe de brouillard et en ressortir avec un baratin. Les années écoulées ont dévasté les dernières certitudes fragiles qui tenaient encore la politique révolutionnaire en place. Quelques tentatives et lueurs ont indiqué des chemins, mais tout autour on tâtonne dans l’obscurité. Pour sortir de cette obscurité, il faut d’abord être au milieu d’elle, la mettre en lumière. À force de tâtonnements, à partir d’un état situé dans l’obscurité, il faut dessiner des cartes. Pour trouver les mots qui manquent, pour échapper à la fatigue qui nous livre à la langue de l’ennemi, pour repérer les contours de son propre champ parmi les bavardages et sous la surface.

Une nationalisation de l’histoire

Un texte de Ammon Raz-Krakotzkin
« Pti’ha le-raaïon » du poète Avot Yeshurun (1904-1992) éclairent les aspects principaux de la négation de l’exil dans la conscience sioniste. Yeshurun fut l’un des poètes hébraïques marquants du XXe siècle et il eut un rôle important dans la constitution de la culture hébraïque israélienne, même si on le classe habituellement dans l’opposition – culturelle et poétique. Il a écrit ce texte en 1970, quarante-cinq ans après avoir émigré de Pologne. Il y fait le point sur lui-même tout en marquant son adhésion à la culture hébraïque israélienne dans laquelle l’individuel et le collectif se confondent.

Derrière le mur

Le 7 octobre dernier à l’aube, un événement vu le jour. Un choc a retenti, personne ne s’y attendait. Une multitude de brèches ont fissuré la frontière entre l’État d’Israël et la bande de Gaza. Les murs se sont vus percés sous les hurlements de joie. Cet événement sans précédent ne peut se réduire aux attaques du Hamas ni se réduire à l’injonction de choisir le parti d’une entité étatique ou d’une autre. Ceci révèle bien autre chose : il est toujours possible de mettre à mal l’Empire.

Breaking the waves.
L’alchimie de l’ingouvernabilité.

Un texte de Nicolò Molinari.
Ce texte, rédigé entre avril et mai 2023, tente d’aligner quelques raisonnements stratégiques à partir d’expériences de lutte récentes. Il ne s’agit pas d’un bilan, ni d’un ensemble d’indications normatives, mais d’une tentative de penser les stratégies des mouvements et les limites qu’ils rencontrent. Quelques mois plus tard, il est peut-être possible de réfléchir à certaines des limites de ce texte et d’essayer de tracer des pistes de recherche pour l’avenir.

Histoire de la vie (de la bombe atomique) : « Oppenheimer »

Un texte de Ricardo G. Viscardi
« Oppenheimer » donne non seulement son titre au film, mais le patronyme désigne aussi la personne inhérente, comme condition de possibilité, à la fabrication de l’engin nucléaire (métonymie : un terme donne son sens à l’ensemble de l’expression). Mais une fois l’explosion nucléaire survenue, le même personnage devient partagé entre les alternatives politiques et les massacres humains qu’un certain « Oppenheimer » a été capable de déclencher, même doublement (scientifiquement et éthiquement).

Bifurcation dans la civilisation du capital II

Un texte de Mohand
Si le « point de vue de la révolution » a cru pouvoir déceler une possibilité subversive dans la reformulation écologique des problèmes produits par la communauté du capital, c’est parce que l’écologie politique revendiquait illusoirement partir depuis un ailleurs de l’économie. Cette illusion n’est pourtant pas dénuée d’effectivité. C’est pourquoi une partie de ceux qui tentent de maintenir une réalité à l’idée de révolution y succombe.

Nul ne témoigne pour le témoin

Un texte de Parham Shahrjerdi
Abbas Derris, né en 1973 à Abadan en Iran, est un citoyen et ouvrier iranien. Il est l’un des manifestants au cours des révoltes populaires survenues en novembre 2019. Il a été témoin du massacre de Mahshahr où les gardiens de la Révolution ont eu recours aux armes de guerre et des mitrailleuses lourdes pour éliminer les protestants. Avec ses propres yeux, il a vu les meurtres commis par la République islamique d’Iran, et « seulement »pour cela, il a été condamné à mort. Du point de vue de la République islamique, être témoin, voir le crime,  c’est déclarer « la guerre à Dieu ».

Soutenir la révolte

Une nouvelle fois, la police a volé une vie. La vidéo du meurtre de Nahel en a touché plus d’un, donnant lieu à un grand bouleversement des sensibilités. Réactivant la mémoire des atrocités policières. Face à cette horreur, la croyance en la justice et la reconnaissance de l’État a été balayée par l’émergence d’un bon sentiment, celui de la vengeance. Ce sentiment est partagé dans toute la France : de Nanterre à Marseille, en passant par Aulnay-sous-Bois, Lyon, Brest, la Guyane, et même la Belgique, la liste est longue. Se venger est devenu une nécessité

No sens

Un texte de Maxime Bordais
C’est au cœur d’une ville énigmatique que j’écris ces quelques lignes, reclus dans le fond d’une chambre. Je ne sais pour quelle raison je suis là, transperçant les longues journées sous le rayonnement du soleil. Ne rien faire, sinon succomber au jour étouffant, perdre son regard dans un fond obscur bien calme. N’être rien d’autre qu’un corps brûlant sous un banc tripatouillé de graffitis. Être une cible joyeuse des faisceaux lumineux

Un entretien avec le journaliste Seymour Hersh

Un texte de Fabian Scheidler
Le 26 septembre 2022, le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne en mer Baltique a été en grande partie détruit par plusieurs explosions. Journaliste d’investigation de stature internationale, Seymour Hersh a publié un article détaillé sur la base d’une source anonyme qui affirme que le gouvernement américain était responsable de l’attaque et a bénéficié du concours des forces norvégiennes. Il revient sur cette enquête en interview.

Comment les États-Unis ont liquidé Nord Stream

Un texte de Seymour Hersh
Quand nous posons la question, « qui a bien pu saboter le pipeline ? », ce que nous interrogeons, c’est le régime de vérité. L’information est un drôle d’objet. Elle est libre et éclairée en Occident, tout autant que contrôlée et propagande chez les ennemis de la démocratie. C’est le grand partage entre le dicible et l’indicible. Entre ce qu’il est légitime d’interroger et ce qui ne saurait souffrir d’aucune contradiction. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons faire confiance à aucun d’entre eux.
C’est pour cela que l’enquête du journaliste américain Seymour Hersh nous paraît digne d’intérêt. N’ayant pas eu le droit de cité dans de prestigieux journaux américains auxquels elle était destinée, nous la reproduisons ici.

Constitutionnalisme et sens

Un texte de Gerardo Muñoz
Il a été dit à maintes reprises – dans le meilleur esprit hyperbolique, sans doute – que le Chili représente toujours, quel que soit l’angle sous lequel nous regardons, ce qui est à venir à notre époque. Le laboratoire chilien préfigure les mutations à venir et solidifie les tendances effectives des pouvoirs publics. Le cycle politique 2019-2023 n’est pas différent : il a commencé par la révolte expérimentale au cœur du centre métropolitain, et il a culminé avec une nouvelle scène constitutionnelle cherchant à remplacer la « constitución tramposa » désormais à la merci de ceux qui vouent une profonde admiration à l’État subsidiaire de la post-dictature.

Guerre, crise et anarchie

Un texte d’Emmeffe
On peut dire que nous assistons aux premières répercussions internes dans les économies occidentales, à qui la confrontation de l’OTAN avec la Russie en Ukraine inflige une importante augmentation des prix de matières premières et, par suite, un manque d’argent. Ceux qui, comme les anarchistes et les internationalistes, considèrent la défaite de leur propre pays comme l’occasion d’une intervention révolutionnaire se doivent d’examiner ces faits.

Les cercles de la destitution

Étrangement, la destitution n’a plus le vent en poupe. Cela est dû aux arrêts brutaux des derniers soulèvements dans le monde par une douteuse pandémie. 2019 fut l’année où la gouvernementalité mondiale a décidé de mener une gigantesque opération contre-révolutionnaire à l’échelle planétaire. Quel meilleur prétexte qu’une pandémie pour enfermer une grande majorité de la population mondiale chez elle ? 

Préface à l’édition américaine du Manifeste conspirationniste

Un mois après la parution de ce Manifeste intervenait le spectaculaire saut qualitatif dans la guerre dont l’Ukraine est le hochet ensanglanté. C’est peu dire que la « nouvelle guerre froide », que certains firent mine de découvrir alors, est partout présente dans le Manifeste. À dire vrai, quiconque sait s’informer ne pouvait ignorer que, depuis des années déjà, le découplage stratégique des USA vis-à-vis de la Chine était en cours, que le réarmement général allait bon train, ainsi que les rumeurs de retour de la « guerre conventionnelle », que l’achèvement du pipeline Nord Stream 2 était pour Washington un casus belli à lui seul ou que l’OTAN fomentait le passage à la « guerre cognitive ».

Nuit d’émeute à Donges

Nous avons fait l’expérience de la communauté. Et je tâcherai d’utiliser les outils dont je dispose pour en rendre compte. C’est une nécessité. Nous ne sommes pas toutes et tous séparés du temps historique, nous ne vivons pas toutes et tous les événements par le prisme d’une représentation qui nous éloignerait d’une vie réellement vécue. Ce qui sera ici écrit ne sera pas séparé de ce qui aura été directement vécu. L’histoire individuelle est parfois le reflet d’une histoire commune dont les mots manquent pour qu’elle puisse être transmise et qu’ainsi le temps redevienne nôtre.

L’homélie sécuritaire

Un texte d’Henry Fleury
À l’image de chaque messe d’envergure mondiale, les Jeux olympiques de Paris en 2024 sont l’occasion d’homélies sécuritaires. Cette opération scélérate s’exprime dans de nombreuses politiques publiques plus crasses les unes que les autres. Comment ne pas s’émouvoir de la destruction des jardins partagés de quelques cités de banlieue ? Comment ne pas s’insurger contre la transformation de ces mêmes villes en paradis gentrifié pour classe dégueulasse ? Mais c’est l’avancée des grands projets sécuritaires qui incarne le mieux l’ambition fasciste que produit cette gouvernementalité. Plus qu’une simple opération de maintien de l’ordre, ce que provoquent ces événements est une bascule vers la sécurité globale.

Démocratie et infrastructure du capital

Un texte d’Ezra Riquelme
Le passage en force du gouvernement Macron pour sa réforme des retraites a changé profondément la nature du conflit, mettant en avant une nouvelle fois la question épineuse de la démocratie. Pour autant, Macron a réussi à détourner l’attention du mouvement par l’amplification de la haine envers sa propre personne. Plus que jamais tout le monde le hait, il ne reste pas grand monde pour lui trouver un brin de sympathie. C’est une vérité éthique commune et généralisée. Néanmoins, cette vérité a perdu de sa puissance de rupture, prisonnière du piège conçu par le gouvernement.

Les communes face aux Empires

Un texte d’Owen Sleater
Sans conteste, la situation historique actuelle prépare une guerre entre deux empires, l’hégémonie mondiale en toile de fond. On retrouve d’un côté l’Empire anglo-saxon (États-Unis, Grande-Bretagne, EU), de l’autre l’Empire chinois (Chine, Russie). Ces deux entités sont en passe de changer l’état actuel des choses et de rajouter une strate d’horreur par le passage de la guerre froide au conflit ouvert.

De l’« inconscient » au monde

Un texte de Zibodandez & Alii
Les groupes se font et se défont. Un groupe n’est qu’une forme dont la durée d’existence est déterminée par la nécessité de son émergence – incommensurable, heureusement ! Car la durée d’existence d’un groupe est toujours singulière et dépend de sa propre expérience. Au gré de nos diverses itinérances – politiques ou non –, les groupes sont le nid des communautés terribles (Tiqqun). S’enfermer en groupe, c’est se fixer et voir l’identité prendre ses aises.

Pasolini, Mishima : la subversion cosmologique en partage

Un texte de Virgile dall’Armellina
Les années que nous vivons sont situées entre deux centenaires. Celui de la naissance de deux écrivains, artistes et penseurs majeurs : Pier Paolo Pasolini, né le 5 mars 1922, et Yukio Mishima, né le 14 janvier 1925. Nous voudrions inviter à nous examiner ce que leur héritage pourrait apporter à la compréhension de la situation politique, et inciter à relire ces auteurs dans une perspective de dépassement du capitalisme.

Le prêtre aztèque à l’Élysée

Un texte de Virgile dall’Armellina
« Est-ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ? » Ces mots, Emmanuel Macron les prononce face aux deux journalistes autorisés à se rendre au palais de l’Élysée pour l’interroger. Une fois n’est pas coutume, ils n’ont pas l’air d’être trop impressionnés par le chef de l’État. Conscients peut-être du niveau de colère de leurs auditeurs, ils entendent signifier qu’ils feront leur travail et poseront de vraies questions au Président.

La métropole ou la captivité du monde

Un texte de Gerardo Muñoz
Les soins préventifs en cas de pandémie ont révélé la face cachée d’une série de processus en cours que l’on ne voyait pas. Bien que nous ayons pu percevoir que nous ne vivions plus dans une ville, un regard capable de voir dans l’épais brouillard est devenu plus clair. Ce n’est que maintenant, dans notre proximité immobile, que nous pouvons réaliser tout ce dont nous n’étions pas capables : apprécier les braises dans la nuit du présent est aussi une manière de prêter attention non seulement à ce qui nous échappe, mais aussi à ce qui est, entre le sol et le ciel, en cours de décomposition.

Prendre d’autres chemins

À travers chaque mouvement social, nous avançons de défaite en défaite. Pourtant personne n’est dupe. La base sociale de croyance à la politique ou aux acquis sociaux est de plus en plus mince. La situation actuelle a ceci de particulier que plus nous bougeons pour défendre ces acquis sociaux, plus nous sommes pris au piège, rendus à la simple impuissance. Nos ennemis nous matent encore une fois.
Pourtant, nous pouvons prendre notre courage à deux mains. Certains l’ont déjà montré, il faut suivre leur exemple et essayer une nouvelle fois de changer le cours des choses.

Défaire la gauche

Un texte d’Ezra Riquelme
Dans le contexte actuel de saturation des possibilités des bifurcations, nous assistons encore une fois au retour de la gauche, cette entité crasseuse et morale qui cherche sans cesse à se recomposer et qui maintient sa vocation à paralyser le parti historique. Il faut voir la gauche comme un vaccin dont personne n’a besoin – sauf le pouvoir, c’est sans dire – et dont chaque dose diminue drastiquement le besoin de révolution. Ces dernières années ont rappelé cette évidence selon laquelle la gauche s’approprie et défait tous les gestes de soustraction à l’état des choses.

Metropolis

Un texte d’Owen Sleater
À force de vagabondage dans un monde étroit, on constate des flux de foules traversant ce qui semble être des rues. Pourtant, rien n’y habite franchement. Tout circule sans y vivre un attachement profond, et l’errance est la seule possibilité de passage. La métropole est comme un gigantesque décor entre musées et chantiers sans fin. Vivre n’a pas sa place en métropole, tout juste la survie, c’est la condition préalable de cette expérience de domesticité. La métropole s’étend partout un peu plus, élargit l’étendue du réseau où sévit perpétuellement l’économie. Les villes, les campagnes, les déserts, les forêts, chaque milieu est alors façonné selon les courbes épurées du projet métropolitain, pour ainsi être réduit à de simples pôles d’une sinistre cartographie de cette infrastructure impérialiste. La métropole est un environnement de mobilisation totale.

Le lieu de la politique

Un texte de Giorgio Agamben
Les forces poussant à une unité politique mondiale semblaient tellement plus fortes que celles dirigées vers une unité politique plus limitée, comme l’unité européenne, qu’on pouvait écrire que l’unité de l’Europe ne pouvait être qu’« un sous-produit, pour ne pas dire un sous-produit de l’unité globale de la planète ». En réalité, les forces poussant à l’unité se sont révélées tout aussi insuffisantes pour la planète que pour l’Europe.

L’étudiant dans la nuit de la dépossession

Un texte de Gerardo Muñoz
Au printemps 2021, une image a largement circulé dans les journaux et a ouvert un point d’entrée dans notre époque : il s’agissait d’une image floue, plutôt pauvre et pixellisée, d’un étudiant espagnol nommé Carlos Alegre, assis dans un coin reculé d’une rue de Malaga, lisant son cahier d’école en attendant les commandes de livraison de nourriture de l’entreprise Glovo. L’image ne nous indique ni le temps ni le lieu, mais elle fournit spatialement un geste fondamental : la soustraction de l’attention de l’élève au mystère d’une temporalité subsumée par l’administration de l’échange de valeurs.

Qu’est-ce que l’Occident ?

Un texte d’Owen Sleater
Dans le contexte actuel, où tout le monde a pu s’apercevoir que la guerre froide n’a jamais pris fin, laissant libre cours aux conspirations des propriétaires de son monde, le mot Occident est énoncé maintes fois. Certains veulent sauver l’Occident tandis que d’autres veulent le détruire. Pourtant, au regard de la configuration actuelle du monde, tenue par les forces de la gouvernance mondiale divisée en deux blocs, l’opposition mise en place n’existe que dans le but de rendre tangible l’incarnation du pouvoir symbolique de la gouvernementalité mondiale.

La destruction constante de l’expérience

Un texte d’Ezra Riquelme
Il y a une chose qui se transmet de génération en génération, l’incapacité de vivre une expérience et de la partager. C’est le malheur que porte l’homme contemporain. Être dépossédé de son expérience, privé de son histoire, l’impossibilité chronique du partage de l’expérience avec d’autres. Rien de nouveau sous le soleil. Dès 1933, Walter Benjamin faisait ce constat accablant dans Expérience et pauvreté à propos de notre époque moderne

Liberté et insécurité

Un texte de Giorgio Agamben
Il est probable que la dialectique cybernétique entre l’anarchie et l’urgence atteigne un seuil, au-delà duquel plus aucun pilote ne pourra diriger le navire et les hommes, dans le naufrage désormais inévitable, devront se remettre en question sur la liberté qu’ils ont si imprudemment sacrifiée.