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Instrument

Éthique, politique et comédie

Un texte de Giorgio Agamben
Il convient de réfléchir à la circonstance singulière que les deux maximes qui ont cherché à définir avec le plus d’acuité le statut éthique et politique de l’homme dans la modernité proviennent de la comédie. Homo homini lupus – la pierre angulaire de la politique occidentale – se trouve chez Plaute (Asinaria, v.495, où il met en garde contre ceux qui ne savent pas qui est l’autre) et homo sum, humani nihil a me alienum puto, peut-être la formulation la plus heureuse du fondement de toute éthique, se trouve chez Térence (Heautontim., v.77). Il n’est pas moins surprenant que la définition du principe de droit « donner à chacun ce qui lui appartient » (suum cuique tribuere) ait été perçue par les Anciens comme la définition la plus adéquate de ce dont il est question dans la comédie.

Le coucher de soleil de l’Occident ? 

Un texte de Giorgio Agamben
Dans les textes publiés dans cette rubrique, il est souvent question de la fin de l’Occident. Il convient ici de ne pas se méprendre. Il ne s’agit pas de la contemplation résignée – quoique lucide et amère – du dernier acte d’un coucher de soleil que Spengler et d’autres pseudo-prophètes annonçaient il y a trop longtemps. Ils ne s’intéressaient à rien d’autre qu’à ce coucher de soleil, ils en étaient d’ailleurs complices et s’en félicitaient même, car dans les havresacs et les coffres-forts de leur esprit, il n’y avait plus rien du tout, c’était pour ainsi dire leur seule richesse, dont ils ne voulaient à aucun prix être spoliés. C’est pourquoi Spengler pouvait écrire en 1917 : « Je souhaite seulement que ce livre puisse être placé à côté des exploits militaires de l’Allemagne sans en être tout à fait indigne ».

L’expérience de la langue est une expérience politique

Un texte de Giorgio Agamben
Comment serait-il possible de changer véritablement la société et la culture dans lesquelles nous vivons ? Les réformes et même les révolutions, tout en transformant les institutions et les lois, les relations de production et les objets, ne remettent pas en question les couches plus profondes qui façonnent notre vision du monde et qu’il faudrait atteindre pour que le changement soit vraiment radical. Pourtant, nous faisons l’expérience quotidienne de quelque chose qui existe d’une manière différente de toutes les choses et institutions qui nous entourent et qui les conditionnent et les déterminent toutes : le langage.

Pourquoi revenir rue Saint-Benoît ?

Une conversation entre Gerardo Muñoz et Philippe Theophanidis
Il me semble que le premier problème du groupe de la rue Saint-Benoît est de résister aux périodisations et aux catégorisations de l’histoire littéraire, qui cherche toujours à « restituer » l’objet pour l’éloigner encore plus de la pensée. Sur un ton ouvertement ironique, il convient de rappeler que Dionys Mascolo, dans une interview tardive, a décrit l’expérience de la rue Saint-Benoît comme une sorte de communauté monastique . Mais cela semble également insuffisant si l’on s’en tient à l’idée que les différents styles de ceux qui ont circulé sur la scène de la rue Saint-Benoît se sont réunis pour mettre en œuvre un mouvement de pensée profondément expérientiel, enraciné dans la vie et pas seulement dans la réalité ou dans la dimension sensorielle de la lettre

Le temps de l’écologie

Un texte de La cabane qui brûle
Le monde tel que nous le connaissons est au bord de la rupture. Nombreux sont ceux qui parlent d’un virage à droite, voire d’une fascisation, c’est-à-dire du retour du fascisme historique dans de nouveaux atours ; d’autres parlent de la crise ultime du capitalisme, voire même du naufrage de la civilisation humaine, et, d’ailleurs, ces deux visions ne s’excluent pas mutuellement. Nous souhaitons affirmer une troisième position : nous considérons que ce qui nous attend n’est ni la crise finale du capitalisme, ni le naufrage de la civilisation humaine, ni le retour du fascisme historique dans ses habits neufs ; bien au contraire : nous faisons face à la possibilité d’un régime écologique d’accumulation, qui prolongera la catastrophe présente en lui donnant une qualité nouvelle. Ce régime se dessinera en faux par rapport aux scénarios mentionnés auparavant, par ces phénomènes : le totalitarisme vert, la stabilité dans l’instabilité, la déshumanisation des hommes.

Comment tout a commencé

Un texte de Moses Dobruška
Le texte suivant est initialement paru en allemand à la mi-décembre 2023 dans le numéro 0 de la Neue Berliner Illustrierte Zeitung, journal de rue berlinois placardé sur les murs de la métropole, vendu par les clochards et en kiosque pour 2 euros. Il a été presque immédiatement traduit en espagnol, en anglais, en grec et certainement dans d’autres langues que nous ignorons. Il semble que l’état du débat public ait atteint en France un degré de raffinement, d’intelligence et d’exigence de vérité si élevé qu’il n’a jusqu’ici pas semblé utile d’y ajouter cette modeste pièce, en la traduisant, par exemple. La lucidité reste manifestement dans ce pays « la blessure la plus proche du soleil » – ce doit être pour cela que c’est finalement une revue de poésie, Pli, qui, dans son quinzième numéro désormais disponible en librairie, a pris l’initiative de la traduction, et non quelque organe à prétention politique ou philosophique. Bonne lecture !

La politique de l’ombre

Un texte de Françoise Proust
À suivre son cours naturel ou son destin, toute action survient à la fois trop tôt et trop tard : trop tôt pour intervenir efficacement dans l’histoire et infléchir sa direction, et trop tard pour rattraper les chances manquées et corriger la courbe. Tout présent se dédouble et se résume en faux passé et mauvais présent. Il serait vain de vouloir forcer cette contre-temporalité de l’action, en prétendant vouloir trouver, à la manière libérale ou révolutionnaire, un nouveau type d’action qui serait, lui, « à temps ». Qu’on la pense comme « convenable », du seul fait qu’elle favorise le libre commerce des personnes et des biens, ou « juste », du fait qu’elle coïncide avec le sens de l’histoire, toute action supposée d’avance « à temps » succombe, sans le savoir, à la loi du temps, et cela de la pire manière. Elle l’accomplit soit cyniquement soit naïvement. Mais il serait tout aussi illusoire de chercher une échappatoire dans la temporisation.

Théologie de la descente :
La voie étrusque de Lezama Lima

Un texte de Gerardo Muñoz
Vers la fin de sa vie, le poète José Lezama Lima commencera mystérieusement à signer les lettres qu’il adresse à ses amis et à sa famille comme « l’Étrusque du Trocadéro », un « membre de la religiosité étrusque », et même « l’homme qui vit dans le village étrusque ». Pourquoi s’appeler « Étrusque » à ce moment précis de sa vie, et qu’est-ce que cela peut bien signifier ? La question de la signification du masque étrusque de l’auteur a été tellement ignorée par les critiques littéraires que les meilleurs commentateurs ont noté que « être étrusque » signifie simplement son « cosmopolitisme » et son « européanisme bien appris ». Bien entendu, cela n’explique pas grand-chose.

Au nom du péché originel

Un texte de Costa Maledetto
Nous ignorons bien des choses du monde, encore plus de ceux qui nous en privent. À ce titre, notre ignorance en matière de théologie est regrettable, car elle implique quelques conséquences effectives. Par le simple fait que nous reproduisons bêtement les mêmes erreurs, et que nous voyons nos réalités collectives se transformer en catastrophes affectives. Cela révèle manifestement notre impuissance et notre illettrisme éthique. Quand l’éthique, démise de toute morale, est pourtant la faculté de reconnaître ce qui nous meut. Une capacité à porter une attention particulière au monde, à ce qui nous traverse. Retrouver nos sens et saisir les forces de cette obscure matière qu’est la théologie, c’est tenter de sortir de ses griffes, et rendre tangible l’émergence d’autres réalités collectives non fondées sur le sacrifice. Il est peut-être bon de rappeler que cette ignorance tient à une mystification, une croyance. Celle que le monde moderne en aurait fini avec la théologie.

Le Léviathan automatique :
cybernétique et politique dans les écrits d’après-guerre de Carl Schmitt

Un texte de Nicolas Guilhot
Le rôle des nouvelles technologies, et des réseaux sociaux en particulier, dans la récente poussée populiste soulève à nouveau la question de la relation entre la politique et la technologie. L’utilisation stratégique des technologies numériques de mise en réseau, ou l’armement sélectif de la transparence à des fins de manipulation de masse, représente certainement une réfutation brutale des visions iréniques de l’Internet comme inaugurant un monde transparent de connaissances instantanément et universellement accessibles, permettant à des millions d’utilisateurs de devenir des décideurs éclairés dans une démocratie ouverte. Loin de nous libérer des contraintes médiatiques de la représentation politique moderne et de la centralisation de la prise de décision, les nouvelles technologies ont également rendu possibles de nouvelles formes de domination et de pouvoir.

La théologie politique de l’entropie : un Katechon pour l’ère cybernétique 

Un texte de David Bates
Carl Schmitt a commencé à développer le concept de Katechon pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il est surtout connu pour le rôle prépondérant qu’il joue dans son livre d’après-guerre sur l’ordre mondial, Der Nomos der Erde (Le Nomos de la Terre, 1950). Compte tenu de la théorie bien développée et cohérente de la théologie politique de Schmitt, et de son inspiration catholique reconnue, on peut affirmer que le Katechon – la figure mondaine qui tient l’Antéchrist à distance jusqu’au retour du Christ – doit être interprété à travers le prisme de ses orientations théologiques.

Étendards noirs du Khorasan

Un texte de Flavio Luzi
C’est en 1922 que Carl Schmitt a publié son ouvrage fondamental, Politische Theologie, Vier Kapitel zur Lehre der Souveranität. La phrase d’ouverture du troisième chapitre, celle qui retient l’attention de quiconque souhaite engager un combat au corps à corps avec la catégorie de théologie politique de Schmitt, compte parmi les plus célèbres et les plus citées du texte : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés ». Son sens, cependant, nous est devenu de plus en plus difficile à pénétrer, caché par l’épaisse couche de brouillard du débat qui, comme toujours, accompagne, en la tenant tendrement par la main, la destruction de l’expérience. 

 L’automaticité, la plasticité et les origines déviantes de l’intelligence artificielle

Un texte de David Bates
Le cerveau contemporain est en grande partie un cerveau numérique. Non seulement nous étudions le cerveau par le biais de technologies qui reposent sur des visualisations numériques, mais l’activité même du cerveau est souvent modélisée par des images numériques. Et le cerveau est, de différentes manières, toujours considéré comme une machine numérique, une sorte d’ordinateur neuronal. L’héritage de l’intelligence artificielle (IA) persiste dans les neurosciences et les sciences cognitives contemporaines.

Sur l’automatisation et le temps libre

Un texte de Yuk Hui
La question n’est pas de savoir si l’automatisation complète niera le capitalisme et aboutira dialectiquement à une société postcapitaliste. Si nous soulevons la question du post-travail en tant que tel, nous ne tiendrons pas compte de l’histoire sociale de l’industrialisation et nous considérerons à tort l’automatisation comme quelque chose qui se produit uniquement dans les usines, comme le capital fixe de Marx. Nous devrions plutôt reconnaître, comme
Gilbert Simondon l’a déjà fait il y a près de soixante ans, comment les développements capitalistes contemporains rendent discutable l’analyse originale de Marx sur l’aliénation, et chercher de nouvelles voies pour aller de l’avant.

La textocratie, ou la logique cybernétique de la French Theory

Un texte de Bernard Dionysius Geoghegan
Toute histoire de la cybernétique et de la théorie de l’information qui cherche à aller au-delà d’un simple inventaire des influences – c’est-à-dire de l’impact des sciences naturelles sur les sciences sociales, ou des projets d’ingénierie de l’armée américaine projetant leurs modèles sur les sciences sociales et humaines plus souples – doit s’attaquer à leurs origines simultanées et à leurs itinéraires multiples. Dans les grandes lignes, la cybernétique et sa sœur, la théorie de l’information, ont émergé dans les années 1940 et au début des années 1950 des sciences mathématiques et se sont concentrées sur l’ingénierie technologique des mécanismes de communication, de rétroaction et de codage pour faciliter les transmissions dans les systèmes organiques et inorganiques.

L’Empire réticulaire

Un texte de Jean Bartimée
Dès l’origine l’empire porte en lui l’élément le plus signifiant de son étymologie : porter le commandement dans. C’est bien à l’intérieur que s’exerce le commandement ; sinon, il aurait été impossible que le roi soit « empereur en son royaume », l’un serait une simple équivalence de l’autre. C’est là une des grandes erreurs de la théorie politique occidentale et ce qu’il faut dénouer. Depuis Michel Foucault, on sait que la question du pouvoir n’est pas celle de l’institution. Il n’est pas de pouvoir comme entité, mais comme relations présentes en permanence, à tous les niveaux. Ainsi en est-il de l’empire. C’est l’une des forces de Tiqqun d’avoir montré que l’Empire n’est pas une question territoriale, mais une question de relations de pouvoir.

Erich Unger, La formation d’apatride du peuple juif aujourd’hui

Un texte de Gerardo Muñoz

L’année même où Carl Schmitt, dans son ouvrage Théologie politique (1922), apparaissait sur la scène intellectuelle de la République de Weimar pour défendre l’exception de la décision contre l’immanentisme, un court opuscule intitulé Die staatenlose Bildung eines jüdischen Volkes (La formation apatride du peuple juif, 1922), écrit par le philosophe juif Erich Unger, était publié comme une réponse intempestive à la question de l’« identité juive » (Judentum) et de son destin dans le sillage de l’effondrement de la civilisation. Le fait que cet essai – ainsi que son livre Politik und Metaphisik ed 1921, que Walter Benjamin a décrit comme la réflexion politique la plus importante de son époque – soit resté en marge de l’histoire intellectuelle, de la théorie politique et de l’histoire de la pensée est une chose à laquelle tout le monde doit sérieusement réfléchir.

Une nationalisation de l’histoire

Un texte de Ammon Raz-Krakotzkin
Yeshurun fut l’un des poètes hébraïques marquants du XXe siècle et il eut un rôle important dans la constitution de la culture hébraïque israélienne, même si on le classe habituellement dans l’opposition – culturelle et poétique. Il a écrit ce texte en 1970, quarante-cinq ans après avoir émigré de Pologne. Il y fait le point sur lui-même tout en marquant son adhésion à la culture hébraïque israélienne dans laquelle l’individuel et le collectif se confondent.

Un monde aux multiples fins : eschatologie et perspectivisme

Un texte de Mårten Björk
Le soldat juif allemand et philosophe de la religion Franz Rosenzweig soutenait que la mort est une crise et une apocalypse ; un jugement et un dévoilement. A travers la mort, la vérité sur nous-mêmes et sur le monde que nous habitons se révèle ; mais en quel sens la mort peut-elle être comprise comme une apocalypse et comme une crise ?

La sound science et la Covid. Réponse à un article anticomplotiste.

Un texte de Guillaume Delaite
Où l’on découvrira comment la rhétorique anticomplotiste appartient à une véritable tradition de propagandistes : la sound science. Et comment cette propagande a pu irriguer tant de sphères intellectuelles en apparence si opposées. Petit exercice explicatif en réponse à un article de L’empaillé. Cette réponse a été refusée par sa rédaction.

L’universitas metapolitica, esquisse d’un chemin possible de désertion

Un texte d’Ezra Riquelme
La tâche centrale de la métaphysique qui vient est d’intensifier la désertion en cours, en la rapportant à un ensemble de liens entre métaphysique et forme de vie. L’époque réclame de notre part un peu de rigueur à tenir liés ensemble ces deux dimensions afin de bâtir les conditions nécessaires pour défaire l’économie, et d’éprouver largement le dépassement de l’inconstance que sont les sociétés, les collectifs, et les nations. La métaphysique qui vient s’annonce imprévisible et hardie, elle prend au sérieux la recherche de vérité. Il s’agit donc de partir d’une expérience du vrai, car le caractère de cette expérience correspond à la mise en relation entre une pensée et une vie. Mais comment parvenir à cette métaphysique qui vient et à esquisser un autre chemin que celui de la catastrophe ?

Histoire de la vie (de la bombe atomique) : « Oppenheimer »

Un texte de Ricardo G. Viscardi
« Oppenheimer » donne non seulement son titre au film1, mais le patronyme désigne aussi la personne inhérente, comme condition de possibilité, à la fabrication de l’engin nucléaire (métonymie : un terme donne son sens à l’ensemble de l’expression). Mais une fois l’explosion nucléaire survenue, le même personnage devient partagé entre les alternatives politiques et les massacres humains qu’un certain « Oppenheimer » a été capable de déclencher, même doublement (scientifiquement et éthiquement).

Les alchimistes de la révolution : du Manifeste du parti communiste au Manifeste conspirationniste et inversement

Un texte de Hunter Bolin
Au printemps 1847, après de nombreuses pressions, Marx et Engels acceptent de rejoindre la Ligue des justes à une condition : que la Ligue exclue la pensée conspirationniste de son programme. Comme le dit Engels, « Moll a rapporté qu’ils étaient autant convaincus de la justesse générale de notre mode de pensée que de la nécessité de libérer la Ligue des vieilles traditions et formes conspiratrices »1. Marx, journaliste à l’époque, considère que son rôle social est d’éclairer son public et d’éliminer toute forme de conspiration ouvrière, à laquelle il n’a jamais pris part lui-même.

Bifurcation dans la civilisation du capital II.

Un texte de Mohand
Si le « point de vue de la révolution » a cru pouvoir déceler une possibilité subversive dans la reformulation écologique des problèmes produits par la communauté du capital, c’est parce que l’écologie politique revendiquait illusoirement partir depuis un ailleurs de l’économie. Cette illusion n’est pourtant pas dénuée d’effectivité. C’est pourquoi une partie de ceux qui tentent de maintenir une réalité à l’idée de révolution y succombe.

No sens

Un texte de Maxime Bordais
C’est au cœur d’une ville énigmatique que j’écris ces quelques lignes, reclus dans le fond d’une chambre. Je ne sais pour quelle raison je suis là, transperçant les longues journées sous le rayonnement du soleil. Ne rien faire, sinon succomber au jour étouffant, perdre son regard dans un fond obscur bien calme. N’être rien d’autre qu’un corps brûlant sous un banc tripatouillé de graffitis. Être une cible joyeuse des faisceaux lumineux

La conspiration néolibérale

Un texte de Ezra Riquelme
On entend dire que l’ère du néolibéralisme toucherait à sa fin. Certains, comme l’abruti de Francis Fukuyama, préconisent de retourner au stade antérieur, le libéralisme. Ils sont suivis de près par la gauche qui rêve d’imposer le keynésianisme au monde entier. Il y a de quoi se poser quelques questions au vu de ces différentes perspectives. Peut-être vaudrait-il mieux prendre le contre-pied de telles perspectives et regarder depuis un autre plan, reprendre l’ère néolibérale à la racine.

Les cercles de la destitution

Étrangement, la destitution n’a plus le vent en poupe. Cela est dû aux arrêts brutaux des derniers soulèvements dans le monde par une douteuse pandémie. 2019 fut l’année où la gouvernementalité mondiale a décidé de mener une gigantesque opération contre-révolutionnaire à l’échelle planétaire. Quel meilleur prétexte qu’une pandémie pour enfermer une grande majorité de la population mondiale chez elle ?

Les infrastructures travaillent sur le temps

Un texte de Timothy Mitchell
Habituellement, lorsque l’on écrit à propos des infrastructures, on commence par la question de l’espace et l’on traite celle du temps comme une conséquence de la première. Les infrastructures créent des canaux et des connexions qui lient des points séparés, facilitant le mouvement entre eux. Les nouvelles routes de la soie chinoises illustrent cette association entre infrastructure et maîtrise de la distance. Ses promoteurs insistent sur le lien créé entre les continents et sur l’interconnexion des océans. Pourtant, cette insistance sur les infrastructures en tant qu’elles permettent de conquérir l’espace masque ce qui est souvent le plus important dans leur construction.

Conspirations et imaginaire libéral

Un texte de Nicolas Guilhot
Ce n’est que lorsqu’ils se sont installés au centre de la politique américaine et se sont considérés comme les gardiens des institutions démocratiques que les libéraux ont rejeté l’idée de conspiration comme une vision erronée de la société et de l’État. Ce n’est pas une coïncidence si l’expression « théorie du complot » est devenue un terme d’opprobre dans les années d’après-guerre, lorsque les visions néolibérales de la société comme ordre spontané reposant sur des mécanismes de coordination décentralisés ont commencé à s’imposer.

Démocratie et infrastructurel du capital

Un texte d’Ezra Riquelme
Le passage en force du gouvernement Macron pour sa réforme des retraites a changé profondément la nature du conflit, mettant en avant une nouvelle fois la question épineuse de la démocratie. Pour autant, Macron a réussi à détourner l’attention du mouvement par l’amplification de la haine envers sa propre personne. Plus que jamais tout le monde le hait, il ne reste pas grand monde pour lui trouver un brin de sympathie. C’est une vérité éthique commune et généralisée. Néanmoins, cette vérité a perdu de sa puissance de rupture, prisonnière du piège conçu par le gouvernement.

De l’« inconscient » au monde

Un texte de Zibodandez & Alii
Les groupes se font et se défont. Un groupe n’est qu’une forme dont la durée d’existence est déterminée par la nécessité de son émergence – incommensurable, heureusement ! Car la durée d’existence d’un groupe est toujours singulière et dépend de sa propre expérience. Au gré de nos diverses itinérances – politiques ou non –, les groupes sont le nid des communautés terribles (Tiqqun). S’enfermer en groupe, c’est se fixer et voir l’identité prendre ses aises.

Les deux visages du pouvoir

Un texte de Giorgio Agamben
Qu’on le désigne par l’hendidys « constitution/gouvernement » ou par « État/administration », le concept fondamental de la politique occidentale est un concept double, une sorte de Janus à deux visages, montrant tantôt le visage austère et solennel de l’institution, tantôt le visage plus ombrageux et informel de la pratique administrative, sans qu’il soit possible de les identifier ou de les dissocier.

Les deux visages du pouvoir IV : anarchie et politique

Un texte de Giorgio Agamben
C’est un constitutionnaliste allemand de la fin du XIXe siècle, Max von Seydel, qui a posé la question qui semble aujourd’hui incontournable : « Que reste-t-il du royaume si l’on supprime le gouvernement » ? En effet, le temps est venu de se demander si la fracture de la machine politique occidentale n’a pas atteint un seuil au-delà duquel elle ne peut plus fonctionner. Dès le XXe siècle, le fascisme et le nazisme avaient déjà répondu à cette question à leur manière par l’instauration de ce que l’on a appelé à juste titre un « État dual », dans lequel l’État légitime, fondé sur la loi et la constitution, est flanqué d’un État discrétionnaire qui n’est que partiellement formalisé et où l’unité de la machine politique n’est donc qu’apparente.

Les deux visages du pouvoir III : le royaume et le gouvernement

Un texte de Giorgio Agamben
« Le roi règne, mais ne gouverne pas ». Que cette formule, qui est au cœur du débat entre Peterson et Schmitt sur la théologie politique et qui, dans sa formulation latine (rex regnat, sed non gubernat), remonte aux polémiques du XVIIe siècle contre le roi de Pologne Sigismond III, contienne quelque chose comme le paradigme de la structure duale de la politique occidentale, c’est ce que nous avons essayé de montrer dans un livre publié il y a près de quinze ans. Là encore, à la base se trouve un problème authentiquement théologique, celui du gouvernement divin du monde, lui-même finalement expression d’un problème ontologique.

Les deux visages du pouvoir II : politique et économie

Un texte de Giorgio Agamben
« Le destin, c’est l’économie », c’est un peu le refrain que les hommes dits « politiques » nous répètent depuis des décennies. Et pourtant, non seulement ils ne renoncent pas à se définir comme tels, mais les partis auxquels ils appartiennent continuent d’être qualifiés de « politiques » et les coalitions qu’ils forment dans les gouvernements et les décisions qu’ils ne cessent de prendre se déclarent « politiques ».

Les deux visages du pouvoir 

Un texte de Giorgio Agamben
Qu’on le désigne par l’hendidys « constitution/gouvernement » ou par « État/administration », le concept fondamental de la politique occidentale est un concept double, une sorte de Janus à deux visages, montrant tantôt le visage austère et solennel de l’institution, tantôt le visage plus ombrageux et informel de la pratique administrative, sans qu’il soit possible de les identifier ou de les dissocier.

Pasolini, Mishima : la subversion cosmologique en partage

Un texte de Virgile dall’Armellina
Les années que nous vivons sont situées entre deux centenaires. Celui de la naissance de deux écrivains, artistes et penseurs majeurs : Pier Paolo Pasolini, né le 5 mars 1922, et Yukio Mishima, né le 14 janvier 1925. Nous voudrions inviter à nous examiner ce que leur héritage pourrait apporter à la compréhension de la situation politique, et inciter à relire ces auteurs dans une perspective de dépassement du capitalisme.

Le prêtre aztèque à l’Élysée

Un texte de Virgile dall’Armellina
« Est-ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ? » Ces mots, Emmanuel Macron les prononce face aux deux journalistes autorisés à se rendre au palais de l’Élysée pour l’interroger. Une fois n’est pas coutume, ils n’ont pas l’air d’être trop impressionnés par le chef de l’État. Conscients peut-être du niveau de colère de leurs auditeurs, ils entendent signifier qu’ils feront leur travail et poseront de vraies questions au Président.

Giordano Bruno, l’art des métamorphoses

Un texte d’Owen Sleater
Plus que jamais, nous sommes dans l’errance. Une errance commune pourtant difficilement partageable, une errance sur tous les plans. Il est toujours bon de se perdre un temps, cela peut permettre quelques découvertes, comme l’œuvre de Giordano Bruno, qui regorge de conseils tactiques pour notre époque. On ne peut guère résumer aisément la vie de Bruno, théologien hérétique pratiquant les mathématiques, la physique, la métaphysique et la magie. La métamorphose comme seuil éthique de son existence.

La métropole est notre fantasme de l’État total

Un texte de Henry Fleury
Si nous connaissons tout le malheur que produit la métropole sur nous : l’aliénation, le contrôle, la discipline, la domestication, la pollution, et finalement l’impuissance généralisée, nous ne pouvons pas nous borner à penser la manière dont elle nous punit. Si elle existe, si tant d’entre nous s’y inscrivent, c’est nécessairement que nous la désirons, qu’elle active une certaine définition du bonheur, aussi horrible soit-elle.

La métropole ou la captivité du monde

Un texte de Gerardo Muñoz
Les soins préventifs en cas de pandémie ont révélé la face cachée d’une série de processus en cours que l’on ne voyait pas. Bien que nous ayons pu percevoir que nous ne vivions plus dans une ville, un regard capable de voir dans l’épais brouillard est devenu plus clair. Ce n’est que maintenant, dans notre proximité immobile, que nous pouvons réaliser tout ce dont nous n’étions pas capables : apprécier les braises dans la nuit du présent est aussi une manière de prêter attention non seulement à ce qui nous échappe, mais aussi à ce qui est, entre le sol et le ciel, en cours de décomposition.

Sur l’anarchie aujourd’hui

Un texte de Giorgio Agamben
Si pour ceux qui entendent penser la politique, dont elle constitue en quelque sorte le foyer extrême ou le point de fuite, l’anarchie n’a jamais cessé d’être d’actualité, elle l’est aujourd’hui aussi en raison de la persécution injuste et féroce à laquelle un anarchiste est soumis dans les prisons italiennes. Mais parler de l’anarchie, comme on a dû le faire, sur le plan du droit, implique nécessairement un paradoxe, car il est pour le moins contradictoire d’exiger que l’État reconnaisse le droit de nier l’État, tout comme, si l’on entend mener le droit de résistance jusqu’à ses ultimes conséquences, on ne peut raisonnablement exiger que la possibilité de la guerre civile soit légalement protégée.

Échographie de la Police

Chaque nouveau mandat présidentiel s’accompagne de nouvelles réformes pour améliorer les conditions d’autonomisation de la police. Plus l’ordre social se fissure, plus la police augmente son nombre d’hommes et d’armes. Et plus son nombre augmente, plus son autonomie politique s’accentue. Quant à l’institution judiciaire, elle court après la police, dans l’espoir que la fiction sociale ne fissure pas davantage. « Seule une Fiction peut faire croire que les lois sont faites pour être respectées » (Michel Foucault, Des supplices aux cellules). C’est là que la police vient matérialiser cette fiction dont l’État a besoin pour s’établir comme phénomène naturel

Metropolis

Un texte d’Owen Sleater
À force de vagabondage dans un monde étroit, on constate des flux de foules traversant ce qui semble être des rues. Pourtant, rien n’y habite franchement. Tout circule sans y vivre un attachement profond, et l’errance est la seule possibilité de passage. La métropole est comme un gigantesque décor entre musées et chantiers sans fin. Vivre n’a pas sa place en métropole, tout juste la survie, c’est la condition préalable de cette expérience de domesticité. La métropole s’étend partout un peu plus, élargit l’étendue du réseau où sévit perpétuellement l’économie. Les villes, les campagnes, les déserts, les forêts, chaque milieu est alors façonné selon les courbes épurées du projet métropolitain, pour ainsi être réduit à de simples pôles d’une sinistre cartographie de cette infrastructure impérialiste. La métropole est un environnement de mobilisation totale.

Le lieu de la politique

Un texte de Giorgio Agamben
Les forces poussant à une unité politique mondiale semblaient tellement plus fortes que celles dirigées vers une unité politique plus limitée, comme l’unité européenne, qu’on pouvait écrire que l’unité de l’Europe ne pouvait être qu’« un sous-produit, pour ne pas dire un sous-produit de l’unité globale de la planète ». En réalité, les forces poussant à l’unité se sont révélées tout aussi insuffisantes pour la planète que pour l’Europe.

Technologie et gouvernement

Un texte de Giorgio Agamben
Le fait est que les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci. Tant les régimes les plus totalitaires, tels que le fascisme et le bolchevisme, que les régimes dits démocratiques partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu’ils finissent par se transformer presque par inadvertance dans la direction requise par les technologies mêmes qu’ils pensaient utiliser à leurs propres fins.

Affirmer la rupture

Un texte de Maurice Blanchot
Le but ultime, c’est-à-dire, aussi, immédiat, évident, c’est-à-dire caché, direct-indirect : affirmer la rupture. L’affirmer : l’organiser en la rendant toujours plus réelle et plus radicale.
Quelle rupture ? La rupture avec le pouvoir, donc avec la notion de pouvoir, donc en tous lieux où prédomine un pouvoir. Cela vaut certes pour l’Université, pour l’idée de savoir, pour le rapport de parole enseignante, dirigeante et peut-être pour toute parole, etc., mais cela vaut davantage encore pour notre conception même de l’opposition au pouvoir, chaque fois que cette opposition se constitue en parti de pouvoir.

Qu’est-ce que l’Occident ?

Un texte d’Owen Sleater
Dans le contexte actuel, où tout le monde a pu s’apercevoir que la guerre froide n’a jamais pris fin, laissant libre cours aux conspirations des propriétaires de son monde, le mot Occident est énoncé maintes fois. Certains veulent sauver l’Occident tandis que d’autres veulent le détruire. Pourtant, au regard de la configuration actuelle du monde, tenue par les forces de la gouvernance mondiale divisée en deux blocs, l’opposition mise en place n’existe que dans le but de rendre tangible l’incarnation du pouvoir symbolique de la gouvernementalité mondiale.

La destruction constante de l’expérience

Un texte d’Ezra Riquelme
Il y a une chose qui se transmet de génération en génération, l’incapacité de vivre une expérience et de la partager. C’est le malheur que porte l’homme contemporain. Être dépossédé de son expérience, privé de son histoire, l’impossibilité chronique du partage de l’expérience avec d’autres. Rien de nouveau sous le soleil. Dès 1933, Walter Benjamin faisait ce constat accablant dans Expérience et pauvreté à propos de notre époque moderne

Liberté et insécurité

Un texte de Giorgio Agamben
Il est probable que la dialectique cybernétique entre l’anarchie et l’urgence atteigne un seuil, au-delà duquel plus aucun pilote ne pourra diriger le navire et les hommes, dans le naufrage désormais inévitable, devront se remettre en question sur la liberté qu’ils ont si imprudemment sacrifiée.

La vérité et le nom de Dieu

Un texte de Giorgio Agamben
Depuis près d’un siècle, les philosophes parlent de la mort de Dieu et, comme c’est souvent le cas, cette vérité semble désormais tacitement et presque inconsciemment acceptée par le commun des mortels, sans pour autant que ses conséquences soient mesurées et comprises. L’une d’entre elles – et certainement pas la moins pertinente – est que Dieu – ou plutôt son nom – a été la première et la dernière garantie du lien entre le langage et le monde, entre les mots et les choses. D’où l’importance décisive dans notre culture de l’argument ontologique, qui tenait Dieu et le langage insolubles, et du serment prononcé sur le nom de Dieu, qui nous obligeait à répondre de la transgression du lien entre nos mots et les choses.

Le complice et le souverain

Un texte de Giorgio Agamben
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur la situation politique extrême que nous avons connue et dont il serait naïf de croire que nous sommes sortis ou même que nous pouvons en sortir. Je crois que même parmi nous, tout le monde n’a pas compris que ce à quoi nous sommes confrontés est de plus en plus un abus flagrant dans l’exercice du pouvoir ou une perversion – aussi grave soit-elle – des principes du droit et des institutions publiques. Je crois plutôt que nous sommes confrontés à une ligne d’ombre que, contrairement à celle du roman de Conrad, aucune génération ne peut croire pouvoir franchir impunément

Traduction des formes de vie

L’Esprit de l’Occident s’est constitué comme un absolu universel, déterminé par une logique de capture permanente des formes hétérogènes. Son appétit insatiable mène l’Occident à une accélération toujours plus accrue, pour permettre à sa logique de réduction de l’hétérogène de s’étendre sur les différents plans de la matérialité humaine. Une homogénéisation constante survient sur toutes les formes de métamorphose échappant aux logiques occidentales essentialistes de gestion et de calcul.

Mascolo, communisme, communication et vérité

Un texte de Louis René
Il y a des livres dont la densité de la forme et du contenu travaille l’esprit au fil des lectures, rendant presque impossible d’écrire sur, mais possible d’écrire avec. Le communisme de Mascolo est l’un de ces livres. Il prend comme point de départ la question la plus primordiale qui soit, la question du communisme. Pour cela, il faut être capable de saisir sensiblement cette question, ne plus partir de conditions économiques, sociales ou politiques, mais partir de la vie même, partir de l’éthique.

Voici venu le temps de pleurer sur notre sort

Un texte de Marshall Sahlins
On ne dira jamais assez que les animaux sauvages ne sont pas des « animaux sauvages ». Je veux dire qu’ils ne sont pas les « bêtes sauvages » que les hommes sont par nature, poussés par leurs désirs insatiables, semant la guerre et la discorde entre eux. Voici venu le temps de pleurer sur notre sort : « homo homini lupus », l’homme est un loup pour l’homme. Cette expression des pulsions humaines les plus noires, que Freud utilise après Hobbes, remonte à̀ un aphorisme de Plaute du deuxième siècle avant notre ère.

La culture est la nature humaine

Un texte de Marshall Sahlins
Qui sont alors les plus réalistes ? Je crois que ce sont les peuples que j’ai évoqués, ceux qui considèrent que la culture est l’état originel de l’existence humaine, tandis que l’espèce biologique est secondaire et contingente. Ils ont raison sur un point crucial, et les rapports paléontologiques sur l’évolution des hominidés leur donneront raison, ainsi que Geertz qui en a brillamment tiré les conclusions anthropologiques. La culture est plus ancienne que l’Homo sapiens, bien plus ancienne, et c’est elle qui est la condition fondamentale de l’évolution biologique de l’espèce.

Doctrine de la consonance

Un texte de Louis René
Dans le ravage contemporain, la Modernité est un champ de bataille déployant entre autres deux pseudo-perspectives : celui d’un capitalisme vert et d’un capitalisme liquidateur. Ces deux perspectives étroitement liées sous tous leurs aspects, non qu’un objectif de rendre impossible une multiplicité de bifurcations, écrasent la constitution des plans d’âmes.

L’auto-conservation du capital et l’horloge de l’apocalypse

Un texte d’Ezra Riquelme
En août dernier, une étude de la Banque HSBC prévoit une diminution drastique de la population mondiale pour 2100, soit la disparation de plus que 4 milliards d’êtres humains. Les causes que ce bureau d’étude nous balance pour justifier cette disparition de la moitié de l’humanité : la baisse du taux de natalité, le vieillissement de la population. L’annonce d’un tel scénario n’a pour véritable but que de maintenir une pression constante sur les esprits et les préparer à une intensification de l’horreur. Revoilà les années d’hiver !

Misère du capital humain

Un texte de K.H.M
Chaque reconfiguration du capital consiste à renforcer notre impossibilité d’agir dans le monde, être dépossédés du monde et de soi-même, voilà la politique de l’Économie. L’accroissement de cette dépossession généralisé est le fait de la colonisation en profondeur d’une ressource essentielle l’humain. Le « capital humain » est l’objet des puissants de ce monde.

Éloge de l’éthique

Un texte de Ezra Riquelme
Certaines personnes ont la vocation de la politique. C’est une chose bien méprisable. D’autres, au contraire, ont une passion effective, mystérieuse et souvent silencieuse. Cette chose est l’éthique et ses chants taciturnes restent étrangers aux personnes animées par cette vocation de la politique. C’est ainsi que l’être occidental déploie la politique comme une programmation d’une éthique à la totalité des formes de vie, conduisant ainsi à la catastrophe que nous éprouvons. De l’Antiquité grecque à la formation des États modernes, l’Occident démontre sa flagrante inconsistance à produire une éthique satisfaisante à ses sujets. D’où le besoin de recourir à la loi comme substance pour colmater la fêlure de cette forme de vie sociale. Ce qui est remarquable dans l’étendue de la fêlure occidentale est son étrangeté à la vie. Il y a donc sur ce vaste territoire de ruine qu’une expérience, celle de la loi. Autrement dit, vivre l’expérience permanente de la catastrophe.

État et anomie. Considérations sur l’antéchrist

Un texte de Giorgio Agamben
Le terme « antéchrist » (antichristos) n’apparaît dans le Nouveau Testament que dans la première et la deuxième lettre de Jean. Le contexte est certainement eschatologique (paidia, eschate hora estin, vulg. filioli, novissima hora est, « petits enfants, c’est la dernière heure »), et le terme apparaît aussi significativement au pluriel : « comme vous avez entendu dire que l’antéchrist vient et que maintenant beaucoup sont devenus antéchrists ». Non moins décisif est le fait que l’apôtre définit la dernière heure comme le « maintenant (nyn) » dans lequel il se trouve lui-même : « l’antéchrist vient (erchetai, indicatif présent) ». Peu après, il est précisé, si besoin est, que l’antéchrist « est maintenant dans le monde (nyn en to kosmoi estin) ». Il est bon de ne pas oublier ce contexte eschatologique de l’antéchrist, s’il est vrai — comme Peterson, et Barth avant lui, ne se lassent pas de le rappeler — que le dernier moment de l’histoire humaine est inséparable du christianisme.

Politique et événement

La politique est morte. Ce vieux constat n’a pas pris une ride. Pourtant en France au pays du social et du pouvoir. La politique dit « classique » plus personne n’y croit, même les hommes politiques, mais le problème est ailleurs. On a pu s’en rendre compte lors des dernières élections. Vu l’importance pour certains du vote antifasciste Mélenchon, la politique n’est pas morte pour tous. Les nombreuses publications de radicaux qui appellent à constituer une politique émancipatrice en témoignent. Pourtant l’histoire rappelle sans cesse qu’aucune politique n’a été émancipatrice, c’est tout le contraire qui s’est produit.

Anges et démons

Un texte de Giorgio Agamben
Les discours que l’on entend si souvent aujourd’hui sur la fin de l’histoire et le début d’une ère posthumaine et posthistorique oublient le simple fait que l’homme est toujours en train de devenir humain et donc aussi de cesser de l’être et, pour ainsi dire, mourir à l’humain. La revendication d’une animalité accomplie ou d’une humanité achevée de l’homme à la fin de l’histoire ne rend pas compte de cette incomplétude constitutive de l’être humain.

Institution, une politique ecclésiastique

Un texte d’Ezra Riquelme
L’institution est une passion française. On la retrouve à toutes les sauces, que ce soit l’institution républicaine, révolutionnaire, anarchiste, ou même la psychothérapie institutionnelle. La France est le pays de l’institution. Même la Révolution est devenue une institution, qu’on peut exporter aux quatre coins du monde. Cette spécificité française est particulièrement tenace chez les gens cultivés, à force de docilité éducative dans les grands corps de l’État et les écoles supérieures, on ne cesse de rechercher des institutions partout. La passion qu’y vouent les Français est le signe évident de son assimilation totale au christianisme, même si ce pays s’en croit pourtant libéré. Il faut revenir en deçà, revenir sur son histoire, sur sa signification originelle pour cerner ses logiques internes et ses imbrications sur la matérialité de l’existence.

Le narcissisme, un Moi liquidateur

Un texte de Louis René
Le désastre continue inlassablement son ravage sur les formes de vie humaines et non-humaines, détruisant par la même occasion la matérialité de l’existence de pluralité de ces formes de vie. Le désastre n’est pas simplement le produit d’un système économique et politique d’exploitation, mais résulte d’une façon d’habiter le monde. La question révolutionnaire exige d’être aussi posée dans des termes anthropologiques. Car le désastre émane d’une forme de vie : celle de la vie métropolitaine occidentale qui vampirise la presque totalité de la planète, et espère en vampiriser d’autres. Il faut alors regarder dans ses entrailles pour y voir la texture de ce qui l’anime. Ce que l’on trouve de bien sordide est le narcissisme, ce Moi liquidateur animé par ce désir insatiable d’accaparement et de destruction.

Cette fiction nommée Société

Un texte d’Ezra Riquelme
Les images se font et se défont, et l’une des plus tenaces est celle de la société. Elle s’impose dès lors comme une fiction, comme une fiction policière. Écrire une fiction, puis l’effacer, ainsi la réécrire une nouvelle fois encore. Tel se constitue le geste de la société : être fait et refait. Dans cette fiction aux effets bien trop réels, la matrice essentielle tient dans le principe d’exclusion/inclusion. Pour intégrer ses proies, la société doit détruire toute hétérogénéité, établir un ordre, ordonner les corps par certaines conduites.

La mort et les profondeurs de l’angoisse

Un texte d’Ezra Riquelme
Sur les terres crépusculaires s’érige la mort comme une icône de l’angoisse même de la vie. Au Moyen-âge et jusqu’au XVIIIe siècle, la mort s’éprouvait dans la vie quotidienne, avec une certaine « familiarité ». On peut noter par exemple au IVe siècle la « danse des morts » comme l’occasion de réaffirmer la vie, ce que l’Église ne pouvait supporter. À la fin du XVIIIe siècle, la mort s’établit comme sujet d’horreur, les lieux liés aux morts sont dès lors vus comme des lieux de pestilence, de maléfices. Certains cimetières ont subi littéralement un déménagement hors des villes. Le romantisme a participé à un retour de l’exagération du sentiment du deuil, avec le rejet de la mort, de la disparition de l’autre. Ce qui explique qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, les lieux liés aux morts sont vénérés. L’arrivée de la médecine moderne transforme une nouvelle fois le rapport avec la mort.

La vie contre la psychiatrie

Un texte de Zibodandez
À l’heure où la biopolitique parachève son emprise sur nos existences, la situation que connaît la psychiatrie nous apparaît être un cas paradigmatique : alors qu’elle prétend se désinstitutionnaliser, la psychiatrie – qu’il s’agisse de son institution et son en-dehors – n’a probablement jamais autant été à l’avant-garde de la biopolitique.

Xeniteia. Contemplation et combat

Un texte de Marcello Tarì et Mario Tronti
Qu’elle est douteuse cette idée, désormais conforme au sens commun, selon laquelle nous serions en train de vivre des temps apocalyptiques ! L’impression dégagée par les différents discours qui se succèdent dans l’infosphère est celle d’une superficialité, d’un effondrement qui n’est que « spectacle » d’apocalypse, et non pas celle d’une acception authentiquement prophétique. L’imaginaire de masse est davantage inspiré par les films et les séries TV hollywoodiennes que par le gros volume écrit par Jean dans son exil à Patmos.

Le communisme n’est pas une idée

Un texte d’Ezra Riquelme
Des années 1980 jusqu’aux années 2000, le terme communisme a été banni de l’histoire. Le néolibéralisme triomphant, le communisme, restant associé à la terreur du Socialisme, fut mis en errance, muet de toute expérience. Il fallut attendre la revue TIQQUN pour remettre sur la scène de l’Histoire le mot communisme.

L’ascèse communiste comme dépassement des formes sociales de la vie

Un texte de Louis René
La tragédie a poursuivi l’âme en peine de Georg Lukács. Son expérience de la sinistre et mortifère Première Guerre mondiale fut l’expérience de l’effondrement d’un monde, voyant la plupart de ses amis, de Max Weber à Emil Lask, prendre parti pour la guerre. « Défendre la société », tel était l’impératif catégorique pour en justifier l’horreur. Cette boucherie, lui révéla le véritable visage du social et de son emprise sur les êtres qui, pris dans cet orage d’acier, se voyaient transformés en tueurs sans âmes. Lukács comprit alors la voie à suivre pour sortir du pouvoir des structures sociales s’atteler au plan de réalité d’âme (Seelenwirklichkeit).

Le communisme des esprits
Communismus der Geister

Un texte de Johann Christian Friedrich Holderlin
Coucher de soleil. Chapelle. Une contrée vaste et riche. Fleuve. Forêts. Les amis. Seule la chapelle est encore dans la lumière. On en vient à parler du Moyen Âge. Les ordres monastiques considérés dans leur signification idéale. Leur influence sur la religion et, en même temps, sur la science. Ces deux orientations se sont séparées, les ordres religieux se sont effondrés, mais est-ce que des institutions du même genre ne seraient pas souhaitables ? Afin de démontrer leur nécessité pour notre temps, nous partons précisément du principe opposé, de la généralisation de l’incrédulité.

L’élaboration de la fin. Mythe, gnose, modernité

Un texte de Gianni Carchia
Il ne fait aucun doute que l’idée de modernité dominante aujourd’hui est soutenue par la conviction que le lien chrétien entre apocalypse et histoire a été rompu. Ceci a surtout été affirmé avec force par trois interprétations historico-philosophiques, dont il vaut la peine de rappeler ici les principes, justement pour tenter de montrer, par contraste, le sens de ce lien. Il s’agit tout d’abord de la conception soutenue par Hans Blumenberg de la modernité comme lieu de « l’auto-affirmation », ce qui revient à dire comme dépassement tant de la gnose que du dogme, tous deux étant compris comme des variations de l’apocalyptique. C’est une thèse qui a, dans les années récentes, été radicalisée par la philosophie de la compensation d’Odo Marquard, avec une louange de la modernité comme renaissance du polythéisme et abandon de tout schisme utopique. En second lieu, et d’une autre manière, le congédiement de l’apocalyptique se retrouve dans le théorème de la sécularisation élaboré par Karl Löwith.

Écologie du design, paradigme du pouvoir environnemental

Le pouvoir environnemental désigne la capacité opératoire de rendre une infrastructure technologique invisible, naturelle. L’objectif est d’informatiser l’environnement existant, c’est-à-dire faire de l’environnement un espace écologique d’objets connectés. Chaque relation devient simple interaction, le monde n’est plus, l’environnement est. L’infrastructure de la ville se fait métropole pour déployer son pouvoir environnemental.

Écosystème, systèmes et gestion idéale

Un texte d’Henry Fleury
Il ne suffit pas de déconstruire les discours politiques sur la nature. L’inanité de ceux-ci sont d’une confondante évidence. Qui peut encore croire que les guignols de n’importe quel gouvernement pourraient nous sortir du désastre en cours ? Plutôt que de débunker chaque prise de parole de ces gens-là, entreprise aussi inutile que dangereuse, il faut remonter à l’origine de ce discours, en faire l’archéologie. C’est à ce compte-là et seulement à celui-ci que nous pourrons mettre au jour la construction philosophique d’une nature composée par l’homme comme objet d’action et de ressources. S’il nous faudrait un temps infini pour démêler les fils de la représentation de la nature et de la philosophie rationnelle totale de l’Occident. Au carrefour de cette question et de celle de la gestion toujours plus efficace de la vie se détache la notion de systèmes qui semblent être aujourd’hui le pivot de la rationalisation du monde.

Bifurcation dans la civilisation du capital

Un texte de Mohand
Il ne s’agit pas tant de suggérer que le capital peut aujourd’hui s’émanciper de l’humanité sur laquelle il extrait l’énergie nécessaire à sa production et à sa reproduction, mais de comprendre en quoi l’articulation d’une telle hypothèse avec le devenir catastrophique des conditions d’existence permet, peut-être, de ne pas tomber dans l’écueil d’une certaine « écologie politique » ; à savoir la généralisation et l’intensification du despotisme du capital et de la domestication de « l’humanité ».

L’écologie, économie contre la vie

Un texte d’Ezra Riquelme
Aujourd’hui, l’écologie politique a pris du poil de la bête. Devenant le dernier combat d’une jeunesse métropolisée cherchant à sauver le peu qu’il leur reste. L’écologie politique intègre le champ des luttes révolutionnaires. Cette lutte désigne une distinction avec le terme écosystème, l’écologie politique introduit la question de la finalité d’une régulation des cycles et des équilibres biologiques. Elle se perçoit comme une conscience de notre environnement. Admettant par le même geste notre interdépendance avec les écosystèmes, que nous détruisons. Le geste politique de cette écologie est la tentative de sauvegarder les écosystèmes.

Passion, liberté

La liberté s’articule autour de deux sentiments ou affects : le désir et la passion. Pour Levi, c’est sur ce seuil fragile d’une nouvelle inscription au monde d’avec l’universel indifférencié que se joue la passion. Absorbé dans un monde où les passions n’existent que trop peu, c’est précisément cela qu’il s’agit d’attraper à nouveau. La passion qui est le lieu de contact de l’individu avec le monde est ce qui permet au désir perdu dans l’immensité d’objets fictifs qui s’offrent à lui de comprendre quel est son objet réel. L’objet réel est le monde produit, la production du monde a toujours été la production de la séparation sujet-objet, c’est à travers le désir de transpercer cet objet réel que l’individu se libère en abolissant le rapport d’objectivité, en abolissant le monde comme objet séparé. Le monde qui s’est construit sur cette articulation est combattu par le désir et surtout la passion qui exprime le besoin d’un retrouver un rapport au monde qui soit autre qu’objectale. La passion dans ce processus de vouloir rentrer en contact avec le monde comme dépassement du rapport-objet tend aussi à abolir la subjectivité comme productrice du « monde », abolition de l’objet encerclant qu’est le monde en abolissant d’un même coup le sujet individuel.

Le Parc Humain comme paradigme de la biopolitique positiviste moderne

Un texte de Louis René
Dans Le pouvoir souverain et la vie nue, Agamben définit le champ comme le paradigme de la biopolitique moderne. Il y a une autre forme de ce paradigme qui se joue à présent sans remplacer le paradigme décrit par Agamben, mais plutôt en effet le complète. Nous pouvons implicitement constater l’autre versant de ce paradigme par le prisme du Parc humain comme paradigme positiviste. Le plus que méprisable Peter Sloterdijk a eu au moins le mérite de percevoir la mise en condition du parc humain. L’actuelle recomposition du corps social, l’acquiescement au contrat social ne se fait plus par un accord verbal, mais par un accord vaccinal. Rejoindre la biocitoyenneté est une expérience que beaucoup ont fait, avec les regrets que l’on connaît. Ce qui se trame est la formation d’une nouvelle cité. Un nouveau parc humain en somme.

Shelley, la désertion de la civilisation

Percy Bysshe Shelley fut animé toute sa vie par une grande flamme de la révolte qui brûlait en lui. Il n’a cessé de cracher sa haine et son dégoût à la face du monde. Celui-ci n’a cessé de nourrir sa colère, la réalité de l’injustice économique démesurée, la servitude complète des hommes obligés d’abandonner leur vie pour le travail, le sentiment d’une humanité qui se perd et se meurt dans des règles et modes de vie fictifs et détestables. Il rejetait de manière si féroce le monde à la fois dans ses œuvres que dans sa vie, ce n’était pas qu’une posture, mais une manière de vivre qui s’inscrit dans un profond sentiment révolutionnaire. Il avait le désir de vivre autrement, cela se ressent justement au sein de ses écrits, sans quoi évidemment on ne comprend d’ailleurs pas grand-chose à celle-ci. Dans ce récit trop peu connu de Shelley nommé Les Assassins que nous allons voir, il raconte ainsi une histoire qui reflète aussi ses désirs politiques et existentiels.

Carlo Levi l’état de liberté face à l’État

Un texte d’Ezra Riquelme
Croupi dans les abîmes de la pensée, le mot liberté flotte inerte. Pourtant ces derniers mois ce mot a été repris avec vigueur par les voix des gilets jaunes et des autres personnes luttant contre le pass sanitaire et l’absurdité de l’obligation vaccinale. Une nécessité s’impose à nous, en entendant ces voix et les voix qui les méprisent. Prendre le temps de penser ce mot usé qu’est liberté. Défaire l’emprise que l’État ou de la religion du capital possède sur ce mot. Car il semple évident que se joue quelque chose dans le mot de liberté. Certainement un caractère bien plus politique que la devise républicaine française. Dans ce caractère politique se trouve un mouvement, passant d’un état un autre, un état de liberté. Ainsi, le texte Peur de la liberté de Carlo Levi apparaît comme essentiel pour s’armer dans le combat de la libération face à la tyrannie de l’Occident.

De la liberté

La liberté est un mot qui fait horreur de nos jours. Souillé par le capital, par la modernité, oublié par les révolutionnaires et même par les libertaires. La liberté serait aujourd’hui une revendication d’extrême droite refusant de se soumettre à la vaccination de masse. Et pourtant la liberté a bien été reprise comme revendication minimale par les tentatives contre le pass sanitaire. Laissez le mot liberté serait une erreur grotesque et proclamerait la victoire de la pensée économique et démocratique sur ce terme.

La véritable constitution de la terre :
à propos de La tension planétaire entre l’Orient et l’Occident de Carl Schmitt

Un texte de Gerardo Muñoz
Ces courtes gloses ont été écrites à l’origine comme une analyse textuelle accompagnant la publication d’un essai pour la section « Archives et Discours » de la revue Le Grand Continent il y a quelque temps, mais n’avaient jamais été publiées. Je les mets à disposition ici avec des modifications mineures, voire aucunes. Les commentaires suivent des fragments spécifiques de La tension planétaire entre l’Orient et l’Occident et l’opposition entre la terre et la mer de Carl Schmitt publiés dans Revista de Estudios Políticos 81 (1955) et se révèlent à la lumière de l’œuvre globale de Schmitt.

Le fascisme, œuvre d’une toile de fond de la soumission

Dans un article intitulé « Réalisme et utopie dans La Personnalité autoritaire » qu’on retrouve dans la revue Prismes,Peter. E. Gordon accorde une analyse au livre ainsi qu’à la théorie articulée autour du concept de la « Personnalité autoritaire ». Il propose une lecture claire et fascinante qui s’inscrit dans un cheminement et une pensée philosophique plus globale qu’une simple considération psychologique que cet ouvrage nous donne au premier regard. Il va essayer de schématiser la conception de l’acceptation fasciste et du devenir fasciste analysé par les penseurs de la théorie critique.

Démocratie Holocauste

Un texte d’Ezra Riquelme
La crise permanente de la démocratie est le symptôme de son despotisme paranoïaque. Il n’y a pas de crise de la forme démocratique. Les défenseurs de cette idée de crise tentent d’occulter le réel, ce qui se cache dernière ce rivage est tout bonnement les diverses tentatives de dislocation de la forme démocratique s’amplifiant d’année en année. La menace fasciste n’est pas une menace, elle est le moyen dont le dispositif démocratique tient. Quand le fascisme prend les rênes du pouvoir, il accomplit pleinement et simplement le despotisme autoritaire de la démocratie.

Quatre positions du refus

Un texte de Gerardo Muñoz
J’irais jusqu’à dire que la stratégie du refus est quelque chose comme un dénominateur commun dans les positions critiques de la médiation politique. Bien que le refus puisse prendre plusieurs formes, j’ajouterais aussi que le refus est dirigé contre l’hégémonie au sens large (culturelle, politique, logistique, etc.). D’abord, le refus émerge de l’illusion que l’hégémonie contribue à toute véritable transformation substantielle ancrée dans le « réalisme politique ». Aujourd’hui, le réalisme est principalement employé comme un argument autonome visant à l’adhésion politique, même s’il ne fait que contribuer au statu quo et à la paralysie.

Foucault contre Marx.
Refus de la totalité et perspectives stratégiques

Par ses concepts, Foucault démasque les mécanismes de domination cachés derrière les théories de la souveraineté et du droit. C’est un travail de dévoilement qui met au jour les techniques de pouvoir. Il met à nu les artifices symboliques de la souveraineté pour ne plus faire apparaître que les rouages et engrenages d’une colossale machine à gouverner qui constitue l’invariant métamorphique de la domination. À partir de là, on assiste à une désactivation des dispositifs qui ne permet pas de les réagencer pour en faire de nouveaux qui ne soient révélés. C’est un processus permanent de lutte qui se fonde sur de nouveaux principes évitant les écueils d’une organisation partisane pleine de microdominations. Un aggiornamento salutaire.

Manifeste de Rivolta feminile — Rome, juillet 1970

Le Manifeste de Rivolta Feminile a marqué toute une génération de féministes durant les années 1970, lançant le féminisme de la différence qui prit corps dans les révoltes de femmes en Italie. Si le texte est critiquable sur de nombreux points, comme son binarisme et ses ontologies de l’homme et de la femme, plusieurs gestes de ce manifeste nous semblent néanmoins importants à partager par leurs caractères offensifs : le refus de l’universel masculin et marxiste, le refus de l’intégration normative : en somme, se défaire du social, pour partir de soi, c’est-à-dire partir d’expériences vécues pour élaborer une puissance de la révolte. Ce texte constitue à ne pas en douter une manière particulière de vivre le communisme.

Camatte l’hérétique

Prendre au sérieux Jacques Camatte, pour les lecteurs de Marx quelque peu assidus, c’est accepter de commettre une hérésie. Se laisser porter par cette pensée, c’est se mouvoir au-delà des habitudes et des facilités. Elle est une de ces voix qui parle à soi contre soi, mais toujours depuis soi-même. Elle pousse à trahir ce qui se tenait là, devant nous, inébranlable comme une loi. Traversant la prophétie de Bordiga d’une révolution mondiale en 1975, depuis la théorisation de la contre-révolution, de l’émergence de la révolution (1968) jusqu’à son intégration, la pensée de Camatte accepte de se transformer sans renier ses origines. Il ne s’agit donc pas donc de faire jouer Marx contre Marx pour tenter pour la énième fois de le sauver, mais de jouer Marx contre l’époque depuis Marx et d’être forcé de le dépasser.

Thèses sur Tronti

Les mouvements sociaux n’ont pas été vaincus par le capitalisme. Les mouvements sociaux ont été vaincus par le social lui-même. Voici l’énoncé du problème que l’époque nous soumet. L’hypothèse de la construction d’un mouvement est dès lors caduque.

Lukács, une dynamique de l’âme et des formes

Un texte de Pideme La Luna
Dans la pénombre, les rayons de soleil se font de plus en plus rares, les structures sociales liquident toute joie, toute possibilité de vivre sans elles, réduisant la vie à une expérience de laboratoire. Face à la vie biomédicale régnante, les différents axes du parti de la biopolitique poursuivent leur processus, le premier étant déjà bien organisé mondialement, le second essayant de s’organiser localement se pensant naïvement être l’antagoniste du premier. Pourtant, le second n’est rien d’autre qu’une arme diffuse de plus du premier. C’est ici que György Lukács peut nous aider dans cette quête de perception sensitive. Retrouver un sens dynamique à notre âme confinée.

Frantz Fanon et les Sept Piliers de la Terre

Franz Fanon, qui a vécu dans sa chair la révolution et la guerre algérienne, s’inscrit clairement dans la lignée d’écrits de stratagèmes révolutionnaires. Il théorisera à partir de son expérience vécue, il sera le transmetteur par écrit de que ce toute la révolution algérienne amènera de nouveau dans l’idée de révolution, de ses composantes, dans l’idée de la guerre, de la guérilla, dans un contexte purement décolonial. Les thèses de Fanon que nous allons voir s’inscrivent dans ce cadre-là. La seule différence et non pas des moindres est que Fanon retranscrit ici une réalité vécue par les combattants algériens, il n’en est en rien le commandant, le général ou le théoricien. Fanon en est le spectateur.

Blanchot, le changement d’astre

Maurice Blanchot n’est pas qu’un littéraire, qu’un homme qui écrit des romans éloignés du monde en s’enfermant dans son appartement. Il participera aux révoltes de son temps en y jetant son âme. Il n’aura jamais toutefois de parcours de militant professionnel rattaché à une organisation ou à une idéologie. Il restera toujours éloigné de ce monde dans une rigueur éthique, assez isolé à travers son désir continu de solitude, mais aussi paradoxalement bien entouré avec ces quelques amis avec qui il pensera et s’organisera.

Bouleversement de la sensibilité générale par l’amitié

À travers des pensées communes, l’amitié fait office de soin. En disant cela, Mascolo nous dit que le processus qui amène à de nouvelles dispositions de pensée, c’est l’amitié, que le bouleversement général de la sensibilité a pour fondation une détresse partagée avec l’ami. L’amitié est ainsi ce qui permet ou résulte de ce bouleversement général de la sensibilité. Au fond nous pouvons dire que le bouleversement général de la sensibilité a lieu par la pensée qui se méfie d’elle-même et qui donc provoque en soi de la détresse.

L’exigence communiste

Un texte de Louis René
On ne rencontre pas par hasard l’œuvre de Dionys Mascolo, et si on le fait, c’est souvent par la bienveillance d’un ami que nous posons notre regard sur ses écrits. Peu l’ont réellement lu de son vivant à part ses amis et quelques curieux personnages connus du monde de la pensée. Certains, comme Georges Bataille ou Gilles Deleuze, pour ne citer qu’eux, ont admiré l’œuvre de Mascolo. On doit certainement cet oubli, car en France, on lit les événements de Mai 68 sous le prisme mythologique de l’International situationniste ou bien par celui de la vision récente de la social-démocratie française. Face à cet oubli de mémoire, certains fossoyeurs du vieux monde sont allés déterrer ses écrits.

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