X

Conjoncture et révolution

Il ne faut pas se lasser de rappeler que l’un des termes clés de notre vocabulaire politique – la révolution – a été emprunté à l’astronomie, où il désigne le mouvement d’une planète sur son orbite. Mais un autre terme qui, dans la tendance générale à substituer les catégories économiques aux catégories politiques qui caractérise notre époque, a également pris la place de révolution, provient du lexique astronomique. Il s’agit du terme « conjoncture », sur lequel Davide Stimilli a attiré l’attention dans une étude exemplaire. Ce terme, qui désigne « la phase du cycle économique que traverse l’activité économique dans une période donnée de courte durée », est en fait une modification du terme « conjonction », qui signifie la coïncidence de la position de plusieurs étoiles à un moment donné. Stimilli cite le passage de l’essai de Warburg sur L’ancienne divination païenne dans les écrits et les images de l’époque de Luther, où conjonction et révolution sont juxtaposées : « Ce n’est qu’au cours de vastes périodes de temps, appelées révolutions, que l’on peut s’attendre à de telles conjonctions. Dans un système soigneusement élaboré, on distinguait les grandes et les plus grandes conjonctions ; ces dernières étaient les plus dangereuses, en raison de la rencontre des planètes supérieures Saturne, Jupiter et Mars. Plus les conjonctions coïncidaient, plus le fait apparaissait terrifiant, même si la planète la plus favorable pouvait influencer le pire ». Et il est significatif que précisément un révolutionnaire comme Auguste Blanqui, déçu dans ses attentes, ait pu concevoir à la fin de sa vie l’histoire de l’humanité comme quelque chose qui, comme le mouvement des astres, se répète à l’infini et récite éternellement les mêmes représentations. Ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux est un phénomène de ce type, où une conjoncture économique, par nature contingente et arbitraire, cherche à imposer sa terrifiante domination sur l’ensemble de la vie sociale. Nous ferions donc bien d’abandonner sans réserve le lien entre la politique et les astres, et de rompre dans tous les domaines le lien qui prétend unir le destin astronomique et la révolution, la nécessité et la conjoncture économique, les sciences de la nature et la politique. La politique n’est pas inscrite dans les sphères célestes ni dans les lois de l’économie : elle est dans nos mains faibles et dans la lucidité avec laquelle nous refusons toute prétention à les enfermer dans des conjonctures et des révolutions. 

15 janvier 2025
Giorgio Agamben

Retrouvez le texte original sur https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-congiuntura-e-rivoluzione

Retour en haut