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Errances

« Au milieu du chemin de notre vie
je me retrouvai par une forêt obscure
car la voie droite était perdue.
Ah dire ce qu’elle était est chose dure
cette forêt féroce et âpre et forte
qui ranime la peur dans la pensée ! »
Dante, L’Enfer

Dans une époque où l’inclination à la soumission étatique a repris de l’aplomb, l’errance est devenue l’expérience commune d’une génération. Les âmes errent hors de leurs lieux, éloignées du monde sensible. Et certaines préfèrent continuer de s’enfoncer un peu plus dans une errance tragique. À force de petites manigances politiciennes, les communicants peuvent prétendre créer un soulèvement, il n’y a pas l’ombre d’un tremblement, juste la répétition paradigmatique du pouvoir et la perte de toute sensibilité au profit d’une stratégie politicienne de gauche. Cette situation funeste a permis le retour au premier plan des pensées étatiques. La mode de l’écologie n’y est pas pour rien dans cette histoire, elle est même le point crucial du déploiement du pouvoir environnemental. La justification parfaite pour engendrer la transformation nécessaire à la mise à jour de la gouvernance planétaire et l’accroissement frénétique du désastre. L’écologie permet la construction d’une architecture du désastre, fondée sur l’environnementalisation du monde. Cet environnement est un espace qui surplombe le réel, déterminé par le prisme métaphysique du capitalisme cybernétique. Faire du monde un gigantesque environnement modulable en vue de façonner nos comportements, produire ses sujets, tel a été l’ambition de la deuxième cybernétique. Le cadre est posé : se plier au cadre de l’écologie, c’est se plier à participer activement à ce vaste projet politique déjà engager depuis plus de 60 ans. Qu’est-ce que l’intensification de la domination cybernétique ? Ce n’est pas pour rien que la pensée constituante à toujours voué un culte à la cybernétique, avec leur fameuse bonne façon de manier la technologie, flinguant bien évidemment la dimension éthique de chaque technique. C’est bien la constitution d’une nouvelle société et de ses sujets dans laquelle la gauche joue sa sinistre partition. Le récent livre de Camille Etienne montre une nouvelle fois la volonté de la gauche d’étendre la gouvernance en invoquant le sauvetage la planète, et les radicaux sont devenus leurs soldats. Qui a bien pu saboter les pipelines Nord Stream 1 & 2 ? Pas Andreas Malm, c’est sûr. Leurs armes sont les grands principes comme la démocratie et la société, leur objectif est d’éteindre les embrassements destituants. La construction en cours de la troisième guerre mondiale tient un rôle déterminant dans les stratagèmes de contre-insurrection déployés depuis la Covid-19.

Entamer de réelles bifurcations demande de partir sincèrement du plan le plus intime de sa sensibilité. Défaire toute sécurité morale et sociale, désactiver la trame historique déterminée par la pensée constituante. Car on ne s’extrait pas de l’Empire pour rejoindre un autre Empire soi-disant plus juste et socialement acceptable en vue de l’émancipation générale de tous. On s’extrait pour retrouver la pleine sensation de sa sensibilité, pour retrouver l’entendue des attachements qui nous lient au monde. Cela réclame une certaine consistance, de tenir à des formes, mais tout ceci est depuis bien trop longtemps méprisé par le militantisme. À force de ne tenir à rien et de valoriser la jouissance esthétique du nihilisme, les corps s’évaporent dans l’air du capital. Le monde sensible s’éloigne, rongé par le cynisme, quand le monde sensible est beaucoup plus proche de nous qu’il n’y paraît. « L’amour engendre le monde, l’amitié le réengendre. » (Holderlin, Hyperion)

Entêtement

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