« L’extractivisme consiste à extraire, directement dans le milieu naturel et sans retour vers lui, des ressources naturelles qui ne se renouvellent pas ou peu, lentement, difficilement ou coûteusement. »
« Les activistes de l’écologie viennent épuiser les dernières ressources subjectives en les mobilisant en pure perte contre ceux qui “épuisent les ressources naturelles”. Tout comme leurs “ennemis”, ils ne se soucient guère de la façon dont se forment et se reconstituent de si précieuses ressources – de courage, d’enthousiasme, de confiance, de savoirs. C’est en tant qu’extractivistes à leur manière qu’ils aspirent à être reconnus comme interlocuteurs de niveau égal par l’autre mafia de l’extr/activisme. »
Moses Dobruska, Comment tout a commencé
Novembre 2023
On extrait de la Terre quelque chose en valeur, on extrait on tire on ôte, pour nourrir le manque qui fabriquera le manque, on creuse on évide, pensant le monde intarissable, faisant du monde l’objet au service de fonctions, on extrait la matière qu’on s’invente inerte autant qu’on ignore la vie, vie qu’on échange, qu’on transacte qu’on épuise. On épuise chaque jour et la Terre et les corps, qui passent et y passent, on épuise on extrait, sous couvert de mesure, mais l’homme ne maîtrise rien, et d’aucune science ne sortira la forme. L’empreint est sans retour, d’empreint il n’est rien, pillage plutôt, pendant que l’homme fatigue sa terre en creux, il se diminue dedans.
L’extraction donne un mode opératoire, l’extractivisme. Accumule par la pille et pour l’export, ainsi la matière est, puis disparaît, le mouvement sans fin fige, précisément, une fin. Parmi les mots en isme d’origines latines, on trouve dogmatisme. On trouve aussi mécanisme. On extrait les minéraux, l’eau malgré elle, on extrait même les hommes de leurs milieux, en leur ôtant le milieu qu’ils sont. On fait des environs des musées de restes qu’on épargne en réserve, on fore tant qu’on peut, perce-terre comme tue-mémoire, des parcs à souvenirs, où l’on éduque à préserver le sujet, et l’accaparement. L’activité humaine, bien trop active, perpétue l’ellipse, au-delà de la formule. Qui se rêve à marcher sur le vide, du peu de vues qu’il s’accorde, fausse la perspective des temps.
On enlève, la matière intérieure, corps constituant, on enlève, l’âme et le temps, d’une terre faite de strates, on puise sans remord dedans, de quoi produire l’argent court, couper court comme on dit, et produire à l’accéléré nombre de voies d’impasses, pour seule raison qu’il faut produire encore. On enlève on s’enlève tout autant, lorsque les extracteurs en affaires se pensent en dehors et sûrement bien au-dessus. Chaque mètre carré de chaire-à-Terre ôtée, pour la cupidité de quelques-uns, seront autant de siècles amputés, si ce n’est plus. On enlève et on élève des êtres, sacrifiés pour une cause sans corps, à charger contre des trous, des fosses, à charger contre le désert, pour en faire de succincts événements, qui n’ont pour but qu’une lumière aveuglante. Cette lumière tant convoitée que l’on nomme encore pauvrement visibilité est là même qui brûle ceux qui, en rond, s’y cognent dans une nuit définitive.
On extrait on se sert, de fleurs de peaux, de corps de sens disponibles, on extrait on se sert, de toutes les ressources bonnes-à-prendre, révoltés sincères ou patients en quête d’actions palliatives, libre-service et libre-échange s’entretiennent si bien. Il y a des similitudes, entre ceux qui puisent dans la masse-Terre de quoi servir leur débordante cupidité, et ceux qui s’affairent à voir en la masse une opportunité au service. On fait toujours de l’extrait, un corps à disposition.s.
Il faut croire que l’on prélève de tout, le langage loin d’être épargné, s’expose à de ronronnantes fins communicationnelles, quand il ne s’agit pas de pures manipulations. On normalise toutes formes d’expression, ses débords balisés, entendons-nous bien, mais toujours dans le cadre de règles érigées par les mêmes qui dictent les dispositifs de conduites qui servent leur autorité. Il semblerait qu’il y est une science du mensonge.
La langue est une matière comme une autre, et il n’est plus rare, par les temps qui courent, de constater l’épuisement de profondeurs consistantes dans ce qu’il reste de conversation. Les automatismes gagnent, rongent, mutilent. Le temps que l’on accorde à l’autre diminue. Et les ressources en mots elles aussi s’épuisent, tant ceux qui les portent sont détachés de toutes sortes d’expériences véritablement vécues. La langue est un faire. De quoi faire de chaque corps les conducteurs de dispositifs extérieurs. Quand ce ne sont pas de simples mais terribles jeux de dupes. Qui de l’un assure sa place en réifiant, qui de l’autre conserve son assise par une habile tenue sous silence. Dans un pareil monde, tout semble tendre à l’épuisement tant tout donne à n’être perçu qu’en termes de ressources, humaines ou non, profitables toujours, et d’autosatisfactions.
Puis l’on tire hors de nous la part de silence dont est fait ce langage. Langage ponctuant, sans verbe apparent, ce langage à corps, qui sait conserver malgré les traques qui l’assaillent, d’étranges et inconnues propriétés. Alchimies depuis lesquelles les concordances hasardeuses et souvent justes, d’une pensée intime, d’un temps et d’une rencontre. Conspiration d’élans sur un plan de vérité, dont Lukács dirait d’âme à âme. Nous voilà proches de territoires sans noms, de géographies imprenables ; liaisons de maquis intérieurs qu’aucune mesure ne peut ni n’a jamais pu mettre au pas, qu’aucune rationalisation n’arrivera à domestiquer. Non pas lieu de fuite, mais refuge par extrême cas, plutôt erre ouverte de discrètes assemblées distantes et dispersées. Une langue faite d’écarts.
Il y a des contres-formes. Et ces contres formes peuvent êtres signifiées par des corps. Mais la poésie de la vie où patiente celle de la guerre exige à minima une attention certaine aux raffinements et aux intelligences, en sommes et peut-être, un haut niveau de sensibilité. Cette sensibilité à tenir n’est pas de l’ordre des représentations précuites qui scellent et terminent notre étroite culture, et font de nous des individus si bénévoles à l’inconsistance, aux divertissements et divers apparats de l’industrie désormais diffuse et spectrale du mensonge. Y subsistent des exigences vitales qui ne sont pas négociables, et qui par bien des égards, se trouvent amoindries par les temps de crise toujours promis.
Le monde qui va et organise la ronde étourdissante des êtres en demande de ronde exècre ces sensibilités souvent inadaptables et adéquatement revêches. C’est sans doute pour cette raison qu’il ne cesse de vomir et d’imposer toujours les mêmes mots, ceux d’ordre et d’autorité en sont. Sans doute pour ces pâles raisons que son unique but est d’appauvrir plus encore les corps et les cœurs, actant leur mise à disposition, ce bénévolat historique qui collabora et collabore encore à organiser d’invivables et perpétuelles ténèbres. Tandis que l’on prétendait vendre du rêve, c’était en réalité un étalage de cauchemars qui nous était destiné. L’être se fait de croyances.
Reconnaître les liturgies partout où elles se montrent, les démonter. Ce service du peuple est propre au manège pathétique d’êtres sans âges en quête de gouverneurs, de salut ou tout simplement de sens, quand bien même il faudrait l’inventer. La cérémonie s’étend à l’ensemble de la sphère politique quotidienne, certains la justifieront par le nom de société. Constater bouche bée la perpétuation de pareilles pratiques est peut-être plus destructeur encore que d’y prendre part, mais y prendre part reste tout simplement impossible, tant les apparats sont criards, tant notre exigence de vérité ne peut être compromise. Nous sommes incompatibles avec le monde en cours, nous nous organisons en conséquence. Et si notre exil ne peut-être qu’offensif, le Parti doit se défaire de la fable des groupes, redevenir indiscernable, imprévisible.
Descendu des montagnes, le retour au monde est brutal. On y retrouve la ville et ses quotidiens routiniers abrutissants, ses vils flics désormais chez eux, ses arnaques journalières, ses dispositifs d’empressement et de dépouille, ses cloisons et ses fabriques d’enfermement, civil est l’asservissement. Misère et bourgeoisie y grognent au même diapason, l’une et l’autre bave aux lèvres, deux histoires de produit. On essaie d’y trouver une beauté bigarrée, mais le fond de l’air est lourd et cette lourdeur scelle une triste et regrettable unité. Unité dans le désœuvrement, où chacun consent à avoir mis son âme au ban, ce qui le tient au fond, dépouillé du pouvoir même de mener à bien sa propre vie, vie brutale monde normal.
Nous y sommes.
Qu’adviendrait-il si les métaux lourds et précieux se faisaient la malle, qu’adviendrait-il si l’eau ne pouvait plus nulle part être retenue, qu’adviendrait-il si plus aucune forme de vie ne pouvait être circonscrite aux liturgies sacrificielles, si smart, si positives et si responsables soient-elles ? Qu’adviendrait-il si le mensonge ne pouvait plus se suffire à lui-même, si la persuasion manquait son coup, si la moindre tentative d’endormissement ne trouvait en réponse qu’émeutes et affronts, qu’adviendrait-il si l’on en venait à chier dans chacune de vos bottes, à reconsidérer le peu de temps que la vie nous offre ?
(…)
Justus Bloom
Mai-juin 2024