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L’ancien et le nouveau

Pourquoi sommes-nous capables de décrire et d’analyser l’ancien qui se dissout et à l’inverse nous ne réussissons pas à imaginer le nouveau ? Peut-être parce que nous croyons, plus au moins inconsciemment, que le nouveau soit quelque chose qui vient – on ne sait d’où – après la fin de l’ancien. L’incapacité de penser le nouveau se trahit ainsi par l’usage imprudent du préfixe post : le nouveau est le post-moderne, le post-humain – dans tous les cas quelque chose qui vient après. C’est précisément le contraire qui est vrai : la seule manière que nous avons de penser le nouveau est de le lire et d’en déchiffrer les traits cachés dans les formes de l’ancien qui passe et se dissout. C’est ce que Hölderlin affirme clairement dans le fragment extraordinaire sur La patrie qui décline, où la perception du nouveau est inséparable du souvenir de l’ancien qui s’éteint et doit même, d’une certaine manière, en assumer amoureusement la figure. Ce qui a fait son temps et semble se dissoudre perd son actualité, se vide de son signifiant et redevient d’une certaine manière possible. Benjamin suggère quelque chose de ce genre lorsqu’il écrit que dans l’instant du souvenir, le passé qui semblait accompli nous apparaît incomplet et nous fait ainsi don de la chose la plus précieuse : la possibilité. Seulement le possible est vraiment nouveau : s’il était déjà actuel et effectif, il serait déjà toujours décidé et vieilli. Et le possible ne vient pas du futur, il est, dans le passé, ce qui n’a pas été, ce qui peut-être ne sera jamais, mais ce qui aurait pu être et qui pour cela nous concerne. Nous percevons le nouveau seulement si nous réussissons à saisir la possibilité que le passé – c’est-à-dire la seule chose que nous ayons – nous offre un instant avant de disparaître pour toujours. C’est ainsi que nous devons nous référer à la culture occidentale qui partout autour de nous aujourd’hui se défait et se dissout.

7 avril 2025
Giorgio Agamben

Retrouvez le texte original sur https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-il-vecchio-e-il-nuovo

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