Où sommes-nous ?

En enfer. Toute discussion qui ne part pas de cette prise de conscience est tout simplement sans fondement. Les cercles dans lesquels nous nous trouvons ne sont pas disposés verticalement, mais dispersés à travers le monde. Partout où les hommes se rassemblent, ils produisent l’enfer. Les cercles et les fossés sont partout autour de nous, et nous reconnaissons, comme dans les caprices de Goya, les monstres et les diables qui les gouvernent.
Que pouvons-nous faire dans cet enfer ? Pas tellement, ou pas seulement, comme le disait Italo, préserver un fragment de bien, ce qui en enfer n’est pas l’enfer. Car lui aussi a été contaminé, en tout ou en partie – en tout cas, ne fuyons pas. Arrêtons-nous plutôt, taisons-nous, observons et, au moment opportun, parlons, arrachons le rideau de mensonges sur lequel repose l’enfer. Car l’enfer lui-même est un mensonge, le mensonge des mensonges qui bloque le passage vers le non-enfer, vers l’existence joyeuse, simple et anarchique. À l’état sans fin que l’enfer recouvre toujours de son état, comme s’il n’existait aucune autre possibilité en dehors des gouffres et des cercles où vous avez toujours été nécessairement inscrits. Soyez vous-même le point, le seuil où l’état cesse, où le possible, la seule vraie réalité, jaillit. La pensée ne consiste pas à réaliser le possible, comme les démons vous y invitent, mais à rendre le réel possible, à trouver une issue à l’inévitabilité des faits que l’idéologie dominante cherche à imposer dans tous les domaines – et d’abord en politique. Tandis que, dans le vacarme infernal qui vous entoure, chacun tente de réaliser le possible, diaboliquement, techniquement, à tout prix, pour vous, chaque état, chaque chose, chaque brin d’herbe, si vous les percevez dans leur vérité, redevient silencieusement, lucidement possible.

15 septembre 2025
Giorgio Agamben

Retrouvez l’article original sur https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-dove-siamo

Retour en haut