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Que l’on se souvienne de ce jour.

Air France aux commandes,
Rouhollah Khomeini rapatrié à Téhéran.
Main dans la main,
Il descend lentement l’escalier de l’avion
Mis à sa disposition
Pour arracher la vie à tout ce qui vit.

Avant cela, tout mis à sa disposition à Neauphle-le-Château.
Tout, à deux pas de Marguerite Duras.
La France prenait soin de son exilé,
Le dorlotait, l’abritait,
Pendant qu’il déclarait, écrivait, éructait
Son dégoût de femme, vie, liberté.

Et que l’on se souvienne de tous les exilés.
Les menacés, les traqués, les humiliés,
Jetés dans des taudis, traités en parasites,
Crevant dans l’indifférence,
Oubliés par habitude,
Méprisés avec méthode,
Assassinés avec douceur.

Dans la compassion narcissique,
Dans la complaisance de droite, de gauche, du centre,
Dans la suffisance des sachants,
Dans la complicité des maîtres, des décideurs,
Complicité—
Pour ne pas dire collaboration.

Dans l’échange.
Échange de bons procédés.
Échange de liberté contre peste.
Échange de qui contre quoi.
Pétrole contre vies humaines.
Total contre damnés de la terre.

Que l’on se souvienne de ce sentiment d’immersion,
Et de cette photo.
Ce que l’exil veut dire.
L’exil de Khomeini en France,
L’exil de cette mère célibataire abandonnée dans la nuit,
L’exil de ce mineur englouti par le crack.
Tous ces indésirables,
Les spams, les sans-noms,
Pourrissant dans l’attente,
Pourrissant entre les frontières,
Pourrissant dans les caves,
Pourrissant dans la mer,
Pourrissant sous la violence d’ici et de là-bas,
Les subisseurs de la société.

Que l’on se souvienne de Giscard.
D’avant, d’après.
Que l’on se souvienne de ce que ingérence veut dire.
Que l’on se souvienne de la jouissance de Foucault,
De ses positions, ses délires,
Combien de vies brisées, cher Michel ?
Combien de femmes violées avant d’être exécutées, cher libertaire ?
Combien de milliards, profits de la guerre ?
Huit putain d’années de destruction entre l’Iran et l’Irak.
Combien de bombes vendues ?
Combien d’armes fabriquées ?
Combien de tombes creusées ?

Que l’on se souvienne de cinq décennies de peste.
Que l’on se souvienne des flirts avec les pires sanguinaires.
Que l’on se souvienne de Rouhollah Khomeini et de tous les égards reçus.
Que l’on se souvienne de Rouhollah Zam,
Réfugié politique,
Kidnappé, arraché à son exil,
Emmené de force,
Exécuté de sang-froid,
Sans que personne ne bronche.

Fixer cette photo.
Respirer l’odeur du sang.
Le sang séché.
Le sang qui coule.
Le sang qui ne s’arrête pas.

Se souvenir de la chair brûlée dans les prisons.
Se souvenir de ces vies pendues,
Abattues d’une balle,
Détruites par des mains sales.
Se souvenir des cœurs brisés trop tôt,
Des corps atomisés aussitôt,
Des esprits anéantis dans le silence et l’indifférence.
Se souvenir—
De sa forme, sa couleur, son odeur.

Qui se souvient se lève.

Je me souviens.

31 janvier 2025
Parham Shahrjerdi

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