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Tableaux sans cadre

1- Tokyo

« Ces artistes nous montrent que nous ne sommes pas “face au paysage”, ni “sur terre” mais qu’au contraire nous faisons corps avec elle, créant cette “communauté du sol” dont parlait Rachel Carson, à l’origine du mouvement écologiste ».


On pourrait dire qu’on est allé pour voir. Un pote y participe, c’est tout. La vanité ne peut plus nous surprendre, alors on y va. On monte au Palais de Tokyo, dans le domaine de Paris. L’exposition s’appelle Réclamer la terre. Les textes d’écofeminisme et d’écologie politique sont sur une table basse. L’année 2022 est peut-être plus claire que les autres qui ont précédé la série. Les bandes dispersées comme les tribus se sont réunies le 24 avril. Certains boivent encore des coups sur la rue de Belleville, côté Répu. Une époque vient de terminer. L’orange n’a plus de jus. On était témoins de l’effondrement de la gauche. Maintenant, c’est le temps de sa résurrection. Aucun avion n’a jamais atterri sur Notre Dame des Landes. Les enfants savent ce qu’est un gilet jaune. Un virus se met à parler. Les amitiés meurent.

Un artiste nous invite à marcher sur la terre. Il a bâti une espèce de cabane. Un temple léger peut-être. Au centre, il dispose un ovale de terre. Faut s’enlever les chaussures pour y mettre les pieds. On rit devant la proposition. On n’a pas besoin d’en parler pour sentir cette cosmicité qui ne cache pas le ridicule. Oui, quelqu’un pourrait dire que c’était toujours comme ça, l’art contemporain. Un peu à la ramasse politiquement, très opportuniste à l’égard des luttes, enfin. Cette terre m’interroge, pourtant.

Un grand accord qui sonne comme une musique de pub. On se perd. Les artistes font des figures esquizo, d’espoir et désespoir. Alors on tombe sur un atelier : « Nos cabanes » (5-12 ans) Les ateliers Tok-Tok se métamorphosent en une grande cabane terrain d’expériences, où les enfants, sans leurs parents, sont invités à leur tour à construire des cabanes, à expérimenter et à imaginer de nouvelles façons de vivre. Ils découvrent les formes et les couleurs qui se cachent dans une feuille, une goutte d’eau ou un rocher, réalisent des petits êtres fertiles pour réenchanter le monde, font chanter la terre et les écorces… ».

Oui, les choses sont plus claires. Un grand accord, comme une nouvelle langue. Une morale sur un fond triste. L’écologie politique nous montre comment il faut sentir et se rapporter au vivant. Comment sentir. Que faire. Le tableau transparaît des forces d’accumulation, et celles qui restent excessives. Celles qui échappent encore. Je ne sais pas ce que pensent mes complices.

Un évangile déchire les atmosphères. La même bouche parle santé pour dire technologie. Peut-être pour mesurer le niveau du microplastique dans le sang. Écologie est un mot d’une généalogie désespérée. Et la gauche revient, parce marre de Macron, parce que Le Pen, et surtout parce que la fin du monde. Les intellectuels, comme Morizot, qui côtoyaient les ondes subversives, multiples, trouvent, eux, et une myriade de militants, que la seule solution est un État musclé. Sauveur, paternel. Des lois. La composition, bien sûr. La banque, pourquoi pas ? Alors, doucement tout le monde se met d’accord. « Il faut obliger les gens, sinon on est foutus ». Les sensibles sont les biocrates. Je fixe ce bac de terre. Je me dis, cette fois-ci, l’alignement est parfait. Bon dieu, j’imagine les années d’hiver. On sort du palais. Et on s’assoit pour manger un bout sur le quai.

IKS

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