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Politique conspirative

« La vérité est ailleurs. »
X-Files

Complotistes, conspirationnistes, voici les nouveaux maux de cette époque nihiliste. La Science, la Vérité, les Idées, toutes ces grandes hégémonies se sont écroulées à notre grande joie. Le mensonge de ce monde est partout. Nous même nous l’exprimons chaque jour dans notre vie quotidienne, où nous jouons chacun des rôles. Nous mettons en scène notre vie, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans ce qui reste du réel, nous livrons notre intimité aux algorithmes, au lieu de la partager à nos amis. Nous ne nous exprimons plus, au risque de perdre le peu qu’on a. Nous avons toujours nié la vérité, mis à distance, par peur de vivre autre chose, car ce monde-là ne tient que par cela. Nos systèmes politiques sont des régimes du mensonge, pas besoin d’aller voir du côté des systèmes totalitaires, nous avons juste à regarder nos belles démocraties contemporaines. « La propagande est fille de la démocratie » (David Colon, Propagande) Cette mère envahissante chérit son besoin vital de tout contrôler. Ses rejetons, Ivy Lee, George Creel, Albet Lasker, Edward Bernays, Ernest Dichter (et la liste est bien longue), ont élaboré un art de la manipulation de masse, ou la vie est sous influence. Aujourd’hui, toutes ces techniques sont mises en place, non plus dans le simple but de convaincre, mais de conduire les comportements des individus. L’infrastructure technologique a rendu la lisibilité du monde presque impossible. Depuis les fake news et les post-vérités, en passant par les check news, la vérité importe peu, elle est noyée par l’accumulation d’informations. Les médias, les réseaux sociaux et leurs algorithmes produisent leur propre régime de vérité. Ce qui compte avant tout est de maintenir l’état des choses. « En bref, lorsque la vérité devient “tout ce qui permet de vendre”, elle cesse d’exercer une régulation indépendante en épistémologie. Il faut insister sur le fait que les néolibéraux ont introduit “relativisme” bien avant l’avènement du postmodernisme. » (Philip Mirowski) Maintenir le brouillard, vendre toujours plus et ainsi créer de nouveaux marchés. Dans la sphère de la gouvernance, les politiques restent en accord avec leur fonction. « Les mensonges ont toujours été considérés comme outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue, mais aussi celui d’homme d’État. » (Hannah Arendt, La crise de la culture) On pourrait résumer cette façon de faire de la politique par ce pastiche : le mensonge est nécessaire, le progrès l’implique.

Ce que nous vivons depuis deux ans déjà avec le covid montre notre capacité d’adhésion envers le mensonge. Si le virus existe bel et bien, la gouvernementalité mondiale et ses amis industriels, eux aussi existent bel et bien. Leurs intérêts n’ont jamais été notre santé. Chaque gouvernement a le devoir de tenir sa population en laisse, quant à l’industrie pharmaceutique, elle a le devoir de générer un maximum de profit à leurs actionnaires. Si cette période a vu fleurir le grand retour du conspirationnisme. C’est par un désir de rendre lisible la situation, c’est-à-dire que le conspirationniste est dans une quête de vérité. Il n’est pas plus fou que n’importe quelle personne de son monde. Il tente de produire un schisme face à l’ordre établi, ceci sonne comme un éclat politique cherchant désespérément un monde de vérités. Cet éclat doit être pris au sérieux et ne pas simplement le conjurer comme le font les médias et la gauche, pour laisser ses devenirs à l’extrême droite. Il y a bien des affects communs entre le révolutionnaire et le conspi, qu’il faut écouter et rendre intelligible historiquement, pour permettre de partager un plan de perception commun et agir en conséquence. Notre histoire, plus que récente, nous l’a démontré avec l’insurrection des gilets jaunes de 2018. Cet événement est un bel exemple d’une puissante rencontre, soi-disant improbable.

Alors nous devons aussi regarder derrière nous et percevoir ce que notre camp a à nous dire sur le conspirationnisme, pour entrevoir une histoire souterraine qui n’attend plus cas submerger les rives du désastre. Le XIXe siècle fut pour les historiens la belle époque des conspirateurs de tous bords. Certains noms réactivent cette histoire, de Buannaroti à Blanqui, les néo-babouvistes avec leurs clubs et les leurs sociétés secrètes. La conspiration est la pratique de l’époque. Demandez à Baudelaire ou à Flaubert : conspirer est l’air que l’on respire dans les faubourgs. On ne devient pas conspirateur comme l’on prend sa carte dans un parti, on devient conspirateur par nos liens, nos amitiés. Car ce qui s’éprouvait dans les clubs et les sociétés secrètes « c’est une façon de vivre et de lutter ensemble » (Alain Maillard, La communauté des égaux) Dans un sens, une forme de vie communiste égalitaire en acte s’y éprouve. L’un de leurs détracteurs, et pas des moindres, se trouve en la personne de Marx, méprisant cette égalité vécue entre les conspirateurs. Pour lui et son valet : « les babouvistes étaient des matérialistes grossiers, non civilisés » (Marx & Engel, La Sainte famille) Dans leur réécriture de la ligue des justes, Marx et son valet n’assumeront dans leur Manifeste du parti communiste aucune mention de l’égalité ni de « communauté de biens », bien trop doctrinaire et utopique à leur goût. L’égalité, selon eux est réservée au domaine de l’économie, voir Misère de la philosophie de Marx. De Buannarroti à Blanqui, la révolution est une lutte entre partis1 et non la lutte entre classes, encore une hérésie selon la vulgate de Karl. Les insurrections (entre 1830 et 1870) jusqu’à la Commune sont le fait des conspirateurs. L’historiographie marxiste a préféré écrire un passage d’un âge infantile du mouvement ouvrier avec ses conspirateurs à l’âge de raison, celui de l’âge adulte du mouvement ouvrier. La fin du temps des conspirations est celle du temps des organisations publiques, de la ligue communiste, à l’Association des travailleurs en finissant par les partis sociaux-démocrates. Quant aux anarchistes, ils finissaient dans la propagande par le fait et le syndicalisme. La propagande transnationale stalinienne fit du XXe siècle le siècle des mouvements. Ce récit bien ficelé se brise lorsqu’on regarde de plus près la vérité qui erre dans ce siècle, cette vérité est le fait des politiques conspiratives comme la seule puissance vitale capable de dépasser les réalités organisationnelles. C’est ce que Tronti n’a pas vu dans son petit XXe siècle, les politiques conspiratives sont partout en Russie avec Lénine et Kamo, en Espagne avec la FAI, en passant par l’Italie avec Potere Operario. Les expropriations russes, les autofinancements italiens sont du fait de la face invisible du parti, que l’on nomme politique conspirative. L’agencement que tous révolutionnaires doit maintenir est le visible et l’invisible. Tous les léninistes devraient savoir que le Lénine victorieux est le Lénine conspirateur, le Lénine politique n’est qu’une faillite totale. Ceux qui se masturbent sur le putsch d’Octobre des bolcheviques devraient se rappeler l’algarade de blanquistes que donnaient les marxistes à ceux qu’ils définissaient comme des putschistes et des aventuristes d’avant-garde non soucieux des masses. La seule véritable victoire du marxisme est du fait de Staline qui a étendu au monde entier le marxisme comme antagoniste factice face au capital. On pourrait aussi reconnaître à Koba, avec un léger sourire en coin, d’être un précurseur de la pensée néolibérale avec son titre : L’Homme, le capital le plus précieux. Le capital humain représente aujourd’hui ¾ du capital total. Telle est la route prise par l’histoire…

Pourtant, notre jeune siècle connaît un regain de vigueur de la politique conspirative. Les vieux marxistes encore vivants nous racontent que nous vivons une période politique de la faiblesse, car selon eux les mots d’ordre et les revendications ne sont plus à la hauteur de la vision émancipatrice du marxisme. Comme si la seule réponse face à la faiblesse était la force d’un parti ou de son synonyme d’organisation. La faiblesse, que nous vivons est l’héritage de nos aînés. Nous n’avons pas besoin d’organisations de masses, nous avons juste besoin de nous trouver, pour nous organiser. Telle a été la partition du premier mouvement autonome français : les « gilets jaunes ». Il faut peut-être le rappeler, les autonomes n’ont jamais existé en France, quoi qu’en disent les vieux schnocks des années 70 et 80. Les soi-disant autonomes n’ont été qu’une petite identité politique qui cherchait désespérément un sujet à leur révolution politique. Les fameux « gilets jaunes », méprisés par tous pendant un temps, puis appréciés par tous, sont vus par les sociologues et autres anthropologues de gauche comme la nouvelle égérie de la lutte des classes, pourtant il n’y a pas grande chose de la lutte des classes chez eux. Ce n’est pas la politique qui est venue à eux, ils sont partis de la dimension éthique, pour faire exister des gestes politiques. « L’éthique impose à tout homme le sentiment de communauté » (Lukacs, L’âme et les formes) Cette dimension éthique à faire naître chez les « gilets jaunes » ces communautés de rond-point ainsi que les maisons du peuple et leurs fameuses amitiés émeutières. Les « gilets jaunes » ont eu le courage de partir du sensible pour affronter l’appareil d’État, de refuser la politique, et faire de là où ils étaient. Aucun programme politique ne pouvait faire vivre cette tonalité dans le réel. Chacun est venu avec ses mots, c’est-à-dire avec son langage, pour établir des plans de perceptions communes et élaborer une façon d’agir ensemble. Tout simplement : conspirer. La politique conspirative des « gilets jaunes » a dicté une belle tonalité de l’insurrection, du sabotage. Ce n’est pas pour rien que de Santiago, à Hong-kong en passant par Atlanta, un écho résonna aux quatre coins du globe pour reprendre nos vies en main.

Une nouvelle géographie conspirative s’impose à nous, pour rendre intenable l’ordre existant.

Mischka

1Le parti dans la conception néo-babouviste est l’ensemble des partisans.

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