Dans l’abîme où nous sommes plongés, nous traversons des strates d’opacités. Essayant dans cette obscurité d’arracher la capacité de voyance. Cette capacité correspond à la faculté de percevoir l’éclosion de forme, et par la suite d’être capable d’agir. C’est l’ambition de retrouver une attention à la proximité pour ainsi voir plus loin, percevoir l’horizon. Sans le partage de cette aptitude, la question du communisme se résume inlassablement à la répétition de la mutilation éprouvée dans l’expérience d’une communauté terrible. C’est pourquoi voir implique la constitution d’un monde, d’un langage, pour ainsi saisir la consistance d’une forme-de-vie. Cependant, il est non négligeable de revenir au sujet même de la perte du monde ou de son sens. Ce sujet est l’ontologie de l’être occidental, qui traverse chaque partie de notre existence en une volonté de gérer nos vies, de la rationaliser. À force de vouloir tout gérer, tout contrôler, de tout garder sous son joug, il n’y a plus de vie possible et même la mort peut nous être interdite. La vie s’efface des mots, les paroles deviennent vides, elles n’impliquent plus grand-chose, nos gestes deviennent étrangers à notre propre parole. L’Occident par son ethos économique a brisé la consistance des mots, les a vidés pour les réduire à une fonction descriptive. Dès lors, il est extrêmement complexe de tenir le lien entre la parole et le geste. Si ce monde a bâti tout un ensemble de dispositifs pour rendre impossible de tenir sa vie et sa parole liées, c’est pour une bonne raison. Étendre son emprise sur les âmes, recouvrir la pluralité des langages par le langage du social, puis de la cybernétique, pour ériger le mensonge comme étant la seule vérité de ce monde. Si le mensonge tient encore, nous avons pourtant vu au cours des dernières décennies ses failles les plus profondes, la preuve étant que chaque offensive contre l’édifice de ce monde est animée par un besoin de mondes de vérité. Chaque soulèvement a porté en son sein un monde de vérité. Ne pas faire attention à cela, c’est refuser de saisir les bouleversements de l’époque, ne plus être capable de lire une situation, ni même d’y agir. L’époque réclame des paroles franches capables de vérités. Il est nécessaire pour être à la hauteur de ce besoin de partir d’une coordonnée essentiellement géographique et non moins exigeante, de faire de nos vies les garants de nos mots, tenir avec ardeur le lien entre parole et geste. C’est seulement ainsi que nous serons capables de parole franche et d’élaborer une alchimie du langage. L’élaboration de cette alchimie consiste à rendre possible la condition de traduction entre les langages, faire exister des correspondances entre les mondes. Tisser des complicités denses par-delà les barbelés du Moi, fracturer la mystique du social, voir que tout être est plus qu’un rôle social. En somme, il y a des rencontres à éprouver.
Entêtement