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Blanchot, le changement d’astre

Maurice Blanchot n’est pas qu’un littéraire, qu’un homme qui écrit des romans éloignés du monde en s’enfermant dans son appartement. Il participera aux révoltes de son temps en y jetant son âme. Il n’aura jamais toutefois de parcours de militant professionnel rattaché à une organisation ou à une idéologie. Il restera toujours éloigné de ce monde dans une rigueur éthique, assez isolé à travers son désir continu de solitude, mais aussi paradoxalement bien entouré avec ces quelques amis avec qui il pensera et s’organisera. Le choc de la Seconde Guerre mondiale bouleversera Blanchot tout au long de son existence, aussi bien sur le plan éthique et personnel que littéraire et politique. Comme cela est bien connu, au cours des années 1930 et au début des années 1940, il écrivait pour des revues d’extrême droite. Malgré sa pensée fasciste, il accueillera et sauvera la femme et la fille de son cher ami Emmanuel Levinas. À la fin de cette guerre, pendant ce temps silencieux en termes d’écriture politique, il développera en silence un rejet de ses horribles pensées d’antan et une passion du communisme qu’on découvrira en 1953 avec le grand livre de Mascolo Le Communisme dont il fera un commentaire et dont il sera un lecteur assidu. Tout ce cheminement depuis les années 1930 en dit déjà beaucoup sur la vision qu’il va développer dans ces textes révolutionnaires. C’est donc à la fin de la guerre, au fil des rencontres et des amitiés, au fil des lectures que Maurice Blanchot va devenir communiste. C’est à la fois un cheminement existentiel à l’intérieur de sa solitude (suite au désastre de la Seconde Guerre mondiale) accompagné de lectures et la rencontre de nouvelles amitiés qui l’amèneront à ce que nous savons. L’amitié, d’une haute importance pour ces deux penseurs, se perçoit aussi bien dans leurs vies que dans leur cheminement intellectuel. Blanchot luttera et écrira uniquement avec ceux qu’il a appris à aimer. Notamment avec le fameux groupe de la rue Saint-Benoît, mais aussi plus tard en Mai 68 avec le « Comité d’actions écrivains-étudiants ». Pour penser la théorie communiste tout comme l’action révolutionnaire, il restera toujours près de ses amis. Il écrira au sein de revues comme Le 14 juillet, comme La Revue internationale dont il était l’initiateur et qui comme son nom l’indique devait regrouper des textes de camarades du monde entier (notamment son ami Elio Vittorini en Italie). Il participera avec ces amis de la rue Saint-Benoît au Comité d’actions d’étudiants-écrivains, auquel il donnera la forme de tracts anonymes dont nous ne savons malheureusement aujourd’hui lesquels appartiennent à Blanchot. Ses écrits politiques ne cesseront donc de répondre à une situation donnée et de réfléchir en fonction de celle-ci, il ne fera pas comme son ami Mascolo des livres de pure « philosophie politique ». Blanchot est un simple révolutionnaire qui participa avec ses amis aux luttes de leur époque en essayant à son échelle d’écrire afin d’aider les combats. Au-delà d’être « fondamentalement un auteur de revues, d’un espace d’écriture collectif », « Blanchot paraît en retrait, son écriture se donne à lire comme une manière d’agir sur le monde ». Il n’y avait aucune quête malsaine de reconnaissance et de gloire, simplement un homme qui réfléchit et agit avec ses amis et dont seuls les textes parfois anonymes comptaient. Son rapport au communisme étant existentiel et amical, il se passera bien d’écrire des livres là-dessus. C’est pourquoi la lecture de ses textes ne nous est pas étrangère, bien qu’il parle depuis son monde des années 1960, il nous tutoie la plupart du temps. Il était ancré dans la réalité de son époque dont on peut trouver facilement des rapports familiers avec la nôtre. La plupart de ses écrits autour de Mai 68 traitent en effet de questions pratiques, de problèmes auxquels les révolutionnaires faisaient face, des vérités, des constats essentiels qu’il rappelait, et auxquels il essayait de participer toujours en affirmant un caractère radical. Il écrira aussi évidemment d’autres textes plus philosophiques comme L’Écriture du désastre ou L’Entretien infini, pour ne citer qu’eux, dans lesquels on peut trouver des fragments très précieux dans la compréhension et les possibilités face au désastre. Souvent, il privilégiera une écriture fragmentaire ce qui nous donne une pluralité de sujets évoqués, ainsi accompagnons-le dans cette méthode.

*Refus total et rupture radicale comme condition de toute révolte véritable. Il réaffirme constamment la nécessité d’un refus total et radical. Mascolo disait que le premier geste d’un communiste est le refus, Blanchot aussi. Le simple sentiment de refus et de haine vis-à-vis de l’état actuel des choses comme point d’ancrage. Aussi, la grande crainte qui le hante lors des révoltes est ses multiples récupérations, des gens qui vont se satisfaire des fameuses concessions, dont il n’a que trop conscience. Cela le hante de voir le soulèvement se conformer, perdre en puissance de refus. Il pose alors la nécessité d’affirmer le stratagème du refus et de la rupture totale. Rupture aussi avec toutes formes de pouvoir, avec la notion même de pouvoir qu’il s’agit aux yeux de l’écrivain français d’abandonner afin de rester dans « le pouvoir infini de négation. » Refus avec ce monde « n’ayant de rapport qu’avec une loi que nous ne reconnaissons pas, avec une société dont les valeurs, les vérités, l’idéal, les privilèges nous sont étrangers, n’ayant donc à faire qu’à un ennemi d’autant plus redoutable qu’il semble plus complaisant, avec lequel il doit être entendu que, sous aucune forme, même pour des raisons tactiques, nous ne pactiserons jamais ».

*Le piège de la parole. Le discours comme ustensile au service de l’adversaire. Ne rien réclamer, ne rien demander publiquement. Négativité affirmée, désir créateur caché. Affirmer un total refus et rupture nécessite l’affirmation du silence du mouvement, car « toute affirmation telle que peut la formuler un discours nécessairement aliéné ou faussé, il y a le risque d’être récupéré par un système établi (celui des sociétés capitalistes industrielles) ». Blanchot perçoit d’emblée le risque de s’exprimer face à l’ennemi, notre langage lui-même étant faible et quasiment incapable techniquement de s’opposer victorieusement. Pour autant, si dialoguer est un piège, abandonner le langage serait aussi dommageable. Il s’inscrit donc dans un communisme d’écriture, dans un communisme de pensée, qu’il n’écrit qu’au sein de revues, de comités et de manière anonyme avec la conviction qu’il faut penser et créer un langage différent, « il y aura recherche d’un langage plus radical, se situant hors discours, hors de la culture, qui, tout en étant déclaratif, devrait continuer à maintenir le travail d’une interrogation incessante ». Un langage hors de la culture, un langage capable de réaliser une communication entre les êtres. Pour autant, il conçoit un soulèvement silencieux, un soulèvement des corps, comme la manière la plus radicale et efficace de s’opposer à nos ennemis. « La force corrosive de l’anonymat humain. »

*« La seule faute serait de position : c’est d’être “Je”, alors que le Même du moi-même ne lui apporte pas l’identité, est seulement canonique, afin de permettre le rapport infini du Même à l’Autre ; d’où la tentation (la seule tentation) de redevenir sujet, au lieu de s’exposer à la subjectivité sans sujet, la nudité de l’espace mourant. » Subjectivité sans sujet. « Une existence sans identité. »

*Le livre comme preuve de la défaite. Blanchot s’attriste de tous les livres qui traitent de Mai 68 qui sont synonymes de la défaite. Lui pense la rupture du livre comme rupture de l’histoire.

*La rupture du temps comme indice d’une révolution réelle. Comme lecteur de Benjamin, Blanchot conçoit la révolution comme rupture du temps, l’histoire qui s’interrompt.

*Mai 68 et la vision blanchotienne. Il désigne ce soulèvement de la manière suivante : « Un mouvement de rupture radicale, violent certes, mais d’une violence très maîtrisée et, dans sa finalité, communiste, tout en mettant en cause, par une contestation incessante, le pouvoir et toutes les formes de pouvoir. Il apparaît donc essentiellement comme un mouvement de refus, se gardant de toute affirmation ou programme prématuré ». Mouvement sans programme de refus destituant.

*« Sade appelle donc régime révolutionnaire le temps pur ou l’histoire suspendue fait époque, ce temps de l’entre-temps ou entre les anciennes lois et les lois nouvelles règne le silence de l’absence des lois, cet intervalle qui correspond précisément à l’entre-dire ou tout cesse et tout s’arrête, u compris l’éternelle pulsion parlante, parce qu’il n’est plus alors d’interdit. » Le temps révolutionnaire comme celui de l’intervalle, du fossé entre la destruction de l’Ancien Monde et l’empêchement d’arriver du Nouveau Monde.

*Dialectique policière du contrôle et de la répression. La « dialectique de la répression » se présente ainsi : elle « se développe selon une méthode bien connue. Elle a sa puissance propre d’organisation, ce qui signifie que, quelles que soient les intentions de départ, elle est exactement faite pour organiser n’importe quelle réalité sociale et politique en ce complot qu’ensuite elle dénonce ». La police crée des réalités. Essayant de comprendre le changement de celle-ci, il saisit de suite le caractère paranoïaque du pouvoir et de la police, dont il voit pleinement le changement de paradigme : « Désormais la vie quotidienne change. La police est dans la rue, sans rien qui la distingue ; cela veut dire : elle est partout, d’autant plus visible qu’elle se veut invisible ; et regardez bien, vous la découvrirez aux abords des cinémas, en face des drugstores, au mieux dans les cafés de tel ou tel quartier, parfois même dans les musées (car les clandestins sont réputés s’y réunir), et finalement la police c’est vous. »

*La guerre comme vérité. Se poser la question de la répression, c’est se poser la question de la manière de l’éviter. Il proposera l’idée qu’il faut développer une guerre toute nouvelle dont le pouvoir ne soupçonne même pas les règles. D’ailleurs, l’idée que nous sommes en guerre s’abrite dans d’autres textes de Blanchot : « se maintenir dans le rappel de cette vérité : ici (le monde français) où nous pouvons tout dire, presque tout dire, nous ne pouvons parler qu’en territoire ennemi, dans un espace où toute parole, captée par l’adversaire, sera mise à son service — un ennemi amical, bienveillant, féroce. Jamais nous ne prendrons assez conscience de cela nous appartenons à une société avec laquelle nous sommes en état de guerre ; nous habitons en région occupée. » Le pouvoir ennemi est tout autour de nous. Ainsi « cette situation de guerre […] doit être la vérité quotidienne, la possibilité à vivre et à réfléchir ». Ce sentiment de dégoût et de refus de l’état actuel des choses implique la lourde pensée de ne jamais oublier la guerre en cours que nous subissons.

*La souffrance de notre temps : « Un homme décharné, la tête penchée, les épaules courbées, sans pensée, sans regard. » Le Bloom expérience du vide douloureux.

*« L’expérience inexpérimentée du désastre, retrait du cosmique qu’il est trop facile de démasquer comme l’effondrement […], nous oblige à nous dégager du temps comme irréversible, sans que le Retour en assure la réversibilité. » Mettre fin au temps linéaire par la tentative de retour de l’expérience cosmique.

*« La patience du désastre nous amène-t-elle à ne rien attendre du “cosmique” et peut-être rien du monde, ou au contraire beaucoup du monde, si nous réussissions à le dégager de l’idée d’ordre, d’arrangement sur lequel veillerait toujours la loi ; alors que le “désastre”, rupture toujours en rupture, semble nous dire : il n’y a pas loi, interdit, puis transgression, mais transgression sans interdit qui finit par se figer en Loi, en Principe du Sens. » Essayer de faire du désastre un avantage. Le désastre comme révélateur de notre participation au monde, comme révélateur de ce qu’est le monde. « La requête d’anarchie. »

*Dans son dernier livre L’Écriture du désastre, il résume en une seule phrase ce qu’il disait déjà en 1968 : « Sans la prison, nous saurions que nous sommes tous déjà en prison. » Design prisonnier. « Grand magasin : la ville de Paris ». Design marchand.

*« Ce qui étonne quand on visite Paris, Lyon ou Marseille, du haut du Sacré-Cœur, de Fourvières, de Notre-Dame de la Garde, c’est que Paris, Lyon, Marseille aient duré. » Léon Daudet.

*« Camps de concentration, camps d’anéantissement, figures ou l’invisible s’est à jamais rendu visible. Tous les traits d’une civilisation révélés ou mis à nu. » L’occident comme astre originellement destructeur, d’anéantissement.

* L’abandon comme pratique communiste. Abandon de l’ancien français mettre a bandon, « laisser au pouvoir de ». Il ne s’agit plus de contester leurs paroles, leurs valeurs, leurs idées. Il conseille de « tout concéder à ceux qui ont déjà tout. Oui, toutes les valeurs, la vérité, le savoir, les privilèges honorables, la beauté, y compris celle des arts et celle du langage, l’humanité donc, nous les abandonnons à ceux qui se sentent en accord avec la société établie : cela leur appartient, le Bien est de leur côté. Qu’ils vivent avec ce bien comme avec Dieu ou avec ce qu’on appelle humanisme : cela est à eux, ne vaut que pour eux, ne leur permet de communiquer qu’entre eux. Alors, les autres ? Aux autres, c’est-à-dire, si possible, à nous, la pénurie, le défaut de parole, la puissance de rien, ce que Marx nomme à bon droit “le mauvais côté”, soit l’inhumain, certes une idéologie encore, mais déjà radicalement autre et telle que, pour l’atteindre, il nous faudra et toujours à nouveau nous libérer des valeurs, y compris de la liberté comme valeur déjà acquise. Autrement dit, et en toute gravité, non sans peine : destruction de la catégorie de l’universel ». Construire alors d’autres vérités. Conspirer. « La première tâche est alors de montrer les barreaux et même les peindre en rouge. » Afin de les détruire par la suite. « Faire de la nécessité de l’impuissance la vertu du sabotage. » Faire de la nécessité de l’abandon la vertu du sabotage.

*Le communisme exclut lui-même nous dit cet enseignement riche de conséquences que « le communisme : ce qui exclut (et s’exclut de) toute communauté déjà constituée ». Il ne s’enfermera jamais dans le petit jeu des identités, et ne doit jamais se faire piéger par quelconques valeurs, discours. Il est de fait un processus excluant vis-à-vis de toute communauté, du pouvoir et de son monde. C’est quasiment un processus orphique.

Blanchot, Marx, Mascolo et le communisme

Dans l’un des fragments précédents, il est fait référence à Karl Marx, ce qui allait de soi pour un communiste de son époque, mais il est cité de manière originale : pas de référence au prolétariat, mais au « mauvais côté » qu’il nomme l’inhumain alors que pour Marx cela décrit la lutte des classes, le prolétariat. D’autres références assez banales où Blanchot fait dire à Marx des choses qu’on ne doit surtout pas négliger, comme le fait que Marx nous rappelle que nous sommes en état de guerre. Il écrira un petit texte intitulé « Lire Marx », dans lequel il énumère les paroles qui découle de sa lecture et qui peuvent être opposées : une lecture de sa pensée comme philosophie, une autre comme politique et enfin la dernière comme scientifique. Ce qui l’intéresse vraiment dans ce texte est de « comprendre que la parole d’écriture, parole de contestation incessante, doit constamment se développer et se rompre sous des formes multiples. La parole communiste est toujours à la fois tacite et violente, politique et savante, directe, indirecte, totale et fragmentaire, longue et presque instantanée ». Il se questionne plus sur la parole d’écriture, sur la parole communiste que sur l’analyse propre de Karl Marx qui n’a pas l’air de l’intéresser pleinement, même son style d’écriture est très éloigné de la littérature marxiste. Pourtant, on sait que Blanchot a lu Le Capital, qu’il a lu une grande partie de l’œuvre de Marx et qu’il le cite, mais je crois que son rapport à cette doctrine est très bien expliqué par Blanchot lui-même dans un texte de présentation d’une revue qu’il voulait créer : « quelles que soient nos options personnelles par rapport au marxisme, il reste que nous sommes adossés au marxisme, appuyés contre lui, fut-ce pour le contester ». Cette phrase résume bien les penseurs marxistes hétérodoxes qui s’inscrivent de par leurs époques et l’hégémonie de Marx dans la littérature révolutionnaire du XXe siècle, parfois même malgré eux, n’arrivant à aller au-delà. Il ne dira aucun mot négatif sur le marxisme, en tout cas à ma connaissance, mais il ne cessera de développer des pensées qui s’en éloignent fortement. Son rapport au communisme est bien au-delà du marxisme. À lui comme à ses amis. La lecture du livre de Mascolo Le Communisme se ressent beaucoup plus chez Blanchot (comme la lecture d’Henri Lefebvre qui l’influença de même) et c’est normal les deux pensaient et essayaient de vivre un communisme d’écriture et de pensée ensemble. Ces deux pratiques sont importantes parce que Mascolo et Blanchot pense la communication. « Le communisme est le processus de la recherche matérialiste de la communication. » S’ils accordent autant d’importance à ce sujet-là, c’est que la nature économique a détruit les rapports réels entre les êtres. Cette nouvelle nature des hommes a produit cet énorme ravage en brisant la communication entre les âmes. Si cela est évidemment tiré de la lecture de Marx, ils en font le point central de leur vision du communisme et en tire les conséquences politiques. D’où l’importance du besoin (même s’il peut lui aussi être travesti) comme ce qui permettra aux hommes de quitter les illusions de communication. L’amitié est tout aussi voire plus importante, car elle est la première expérience de partage de pensée, de mise en commun de détresse commune. Le communisme comme possible remède au pessimisme proustien du langage. Chaque personnage que nous sommes est enfermé dans son propre monde, dont tous sont étrangers les uns aux autres, incapables de se comprendre réellement. Le communisme comme tentative de résoudre l’incapacité de se saisir réellement, comme construction d’un nouveau langage. Un combat contre cette nature économique qui nous habite tous.
Blanchot s’accorde totalement avec la pensée de son ami, dont nous savons l’importance du livre et de la rencontre dans son cheminement personnel de pensée. L’impression qu’il nous laisse, c’est que sa lecture de Marx ne fut pas un chamboulement, il ne s’inscrit clairement pas dans la lignée d’intellectuels marxistes traditionnels, il gardera toujours un ton d’écrivain, c’est-à-dire un peu romantique, poétique, mais loin de ce scientisme traditionnel. En fin de compte, sa lecture de Marx passe par le prisme de son ami Mascolo. Et les conséquences politiques que les marxistes tirent Blanchot les ignore elle aussi. Bien plus proche de Benjamin et des pensées actuelles de la destitution. La force de Mai 68 selon lui est d’avoir réussi prodigieusement à être une force « sans pouvoir d’institutions ». Pour lui, vouloir prendre le pouvoir c’est déjà se conformer aux possibilités politiques actuelles alors qu’il s’agit d’en créer d’autres. Il préconisait de faire attention à la mystification de toute forme de pensées révolutionnaires ainsi que de pratiques : « Reconnaissons-le, Marx, Lénine, Bakounine, se sont rapprochés et ils se sont éloignés. Il y a un vide absolu derrière nous et devant nous — et nous devons penser et agir sans assistance, sans autre soutien que la radicalité de ce vide. Encore une fois, tout a changé. Même l’internationalisme est autre. Ne nous laissons pas mystifier ». Tout a changé et chaque nouvelle époque implique la nécessité de penser les nouvelles formes d’aliénation comme de libération, ce que trop de révolutionnaires négligent, la tâche n’étant pas facile. Blanchot ayant le grand mérite de l’avoir perçue et de ne pas s’être enfermé dans des idéologies préconçues. C’est grâce à cela que l’on comprend l’un des passages les plus mystérieux : « Le communisme ne peut être l’héritier. C’est de cela qu’il faut se convaincre : pas même l’héritier de lui-même, et toujours appelé à laisser se perdre, au moins momentanément, mais radicalement, le legs des siècles, fut-il vénérable ? Le hiatus théorique est absolu : la coupure de fait, décisive ». C’est assez déconcertant comme texte pour tout révolutionnaire qui s’inscrit dans la lignée de nos ancêtres vaincus. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit, c’est de faire comprendre que le communisme doit être saisi et pensé dans la brutalité de notre présent afin d’éviter tout fétiche malsain, toute erreur tactique et stratégique, toute paresse à éviter de penser la particularité de chaque présent en s’inscrivant dans de vieilles idéologies poussiéreuses. Je crois que le ton énigmatique de ce texte veut nous transmettre ce message difficilement écoutable à son époque.

« Entre le monde libéral-capitaliste, notre monde, et le présent de l’exigence communiste (présent sans présence), il n’y a que le trait d’union d’un désastre, d’un changement d’astre. » Obscurité éblouissante, abandon du Tout, participation aux astres nouveaux.

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