Ils n’avaient plus le temps. Ils marchaient d’un pas pressé. Leurs yeux, jamais ne devaient croiser d’autres yeux. Leurs oreilles, jamais éprouver le silence. Leurs corps, jamais être chamboulés ; trop chaud, trop froid, trop humide, trop lumineux, trop gros, trop, trop, trop.
Ils en étaient venus à admirer les objets de leur asservissement, ainsi que leurs concepteurs. Le plus étonnant sans doute était leur faculté à penser que cet ordre fut naturel. En réalité, bien entendu, ils étaient envoûtés.
Mais ce qui faisait de cette époque un moment-clé, c’était que cet agencement général mènerait à la disparition de l’espèce.
Et tous le savaient.
Le bruit d’un basculement prenait la forme d’un sourd silence dans toutes les têtes. Impossible pourtant. Impossible de le penser. De construire ce devenir-autre. La propagande sur la nature humaine, sur le progrès, et puis, tout ce qu’il y avait à quitter. Le risque.
Mais tout allait finir. Les scientifiques mêmes le disaient. Véritable casse-tête donc.
« Alors n’y pensons pas. Délectons-nous cradement, nous serons les derniers »
…
Mais… mais. On chasse une pensée, même si elle persiste, éventuellement. Mais là c’était le bruit assourdissant du silence qu’ils ne pouvaient faire taire. Car c’était dans leurs gênes.
User de son temps à une aventure alléchante, passe encore. Mais une non-aventure, un jeu qui n’en est pas un parce que tout est cadré, limité par d’autres qui n’ont même pas les mêmes règles ? Et qui font tout brûler, allègrement. Et ce en mentant droit dans les yeux à tout le monde. Non cela n’allait pas finir ainsi.
Si l’humanité existe et qu’elle aime les tragédies. Sans doute n’aime-t-elle pas les mauvaises comédies. Celles où on insulte le spectateur, son intelligence et sa dignité.
En réalité nous sommes nombreuses et nombreux, chaque jour un peu plus et nous attendons. Nous nous renforçons et nous nous reconnaissons.
Notre camp est celui de la joie et du désir. Loin de nous les bisounours en revanche.
Cela est une production de notre époque, propice à la débilité.
Et lorsque vos soldats feront défection ? Lorsqu’ils prendront acte du fait que le sens de l’honneur est de notre côté, pas du vôtre, où irez-vous ? Quand vos ingénieurs, vos techniciens, vos chauffeurs se rendront compte que nous créons le génie, que nous avons le génie, le temps et le respect, que ferez-vous ?
Eh bien comme d’habitude vous proposerez plus d’argent, et vous parlerez, comme d’habitude…
Mais il sera trop tard.
Il est déjà trop tard.
Nous ne voyons que vos actions, vos sortilèges sont maintenant inefficaces.
Personne ne nous achète.
La liberté est une exigence non négociable.
Au troisième millénaire, les règles ont changé.
C. Frézel