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La bonne conscience, cette pensée rassurante

« Il faut combattre toute sécurité, toute santé morale existante. »
Dionys Mascolo, Le Communisme

La séquence sociale actuelle, après le mouvement des gilets jaunes et la crise du Covid qui ont dévoilé des brèches de la société, nous questionne quant à la place qu’occupent ou que cherchent à occuper les mouvements dits de l’« autonomie » dans le contexte présent.

Alors que l’inflation bat son plein et que les raffineries se mettent en grève, tandis que le gouvernement réquisitionne des grévistes et que la CGT et la gauche appellent à une grève générale pour l’augmentation des salaires, certains militants voient se profiler un « automne chaud ». S’il ne fait aucun doute que l’époque nous promet de nouvelles insurrections, nous nous posons des questions sur la pertinence à vouloir relancer le mouvement social. En effet, les quatre dernières années ont en quelque sorte destitué les « radicaux » qui cherchent à retrouver un peu d’espoir dans la froideur du social. Car l’annonce d’un « autonome chaud » pose question : là où certains voient dans l’inflation la crise pour relancer la lutte des classes, il se pourrait qu’elle relève plutôt d’une gouvernementalité par la crise qui nous tient depuis le début du siècle. Le retour du mouvement social semble davantage l’occasion pour certains de se rassurer en retrouvant leur place de radicaux, de reprendre leurs postes en tête de manifestation et refourguer leur moral dans les différentes AG. La bonne conscience est de mise, si toutefois rien ne se passe.

Ce retour du mouvement social s’accompagne du retour de toutes ces figures usées jusqu’à la moelle : les syndicalistes, les militants réformistes, les trotskystes, les autonomes et autres anarchistes. Tout ce petit monde vient reprendre son rôle dans le scénario du mouvement social et jouer son bout de scripts. Le spectacle bat son plein et tout reste en ordre. Les scénaristes du pouvoir ne peuvent que s’en réjouir. De cette façon, l’« Autonomie » semble se muer en conscience répressive. « L’objet de la conscience répressive c’est son but qu’elle croit dominer. Comme il y a un écart entre ce but et la réalité immédiate elle devient théologienne et raffine sur les différences entre programme minimum ou immédiat et programme maximum, futur, médiat ; mais plus le chemin de son effectuation devient long, plus elle s’érige elle-même en but et se réifie sous forme d’organisation, devient incarnation du but » (Jacques Camatte, Errance de l’humanité). On aurait tort de penser que la conscience répressive concerne exclusivement les formes réformistes ou léninistes ; elle séjourne partout où il y a du social. Dans le piège du social, les militants radicaux sont obnubilés par une chose : être l’avant-garde de la lutte. Ceci les amène à se constituer en garant d’une conscience répressive qui consiste à établir la bonne conscience, par cette morale néo-chrétienne, doublée d’une police du langage et triplée d’une politique de la faiblesse. Étonnamment, la stabilité de cet état vaporeux permet de se rassurer sur le fait d’être agi.

Le mensonge est opératoire. Il n’est pas attribut, mais rapport social. Ainsi, il sévit dans notre propre perception des choses. Le mensonge véritable concerne toutes ces strates d’explications médiatisées par la machine abstraite de l’économie. Alors il n’est plus question de vérité, il n’est question de rien. Chaque plan de perception tend à se rassurer dans les normes discursives de son rôle social et se lie donc à chaque fois au mensonge, quand chaque situation appelle une vérité, donnant l’espace d’une pleine présence à soi et au monde. « Non, la révolte n’est pas de se révolter contre tout ce qui est révoltant. C’est de s’attaquer d’abord au mensonge des choses, à l’édifice de mensonge qu’est le monde extérieur » (Dionys Mascolo, Le communisme). C’est être capable de sentir le tissu éthique d’une révolte et voir les vérités portées dans la situation. Nous sommes tous susceptibles de nous tromper ; néanmoins, se tromper une nouvelle fois de la même façon pose question et il semblerait que les milieux dits autonomes n’aient pas digéré les multiples vérités des gilets jaunes et de la séquence du Covid, d’où ce énième espoir en toutes les formes qui se présentent de gauche. En somme, le cycle des mouvements sociaux est désormais terminé : d’une part parce ses formes ont été dépassées, d’autre part parce qu’il ne s’agit que d’une forme réactionnaire. Ce dépassement ouvre un autre cycle, celui des mouvements de dissociation sociale.

Saisir la tonalité de ce nouveau cycle demande de miser sur des formes inconnues, non réductibles aux schémas classiques d’une « post-ultra gauche » ; combattre la santé du moi, et fracturer la bonne conscience, lever la tête et essayer de faire preuve de clairvoyance. « Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne : ils ont à détruire toute garantie existante, toute sécurité privée existante » (Karl Marx, Manifeste du parti communiste). Il n’y a rien à capitaliser, rien à mettre en sécurité ; seulement mettre à mal le règne du mensonge.

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