L’abondance de la gouvernance

« Le désastre ruine tout en laissant tout en l’état. Il n’atteint pas tel ou tel, “je” ne suis pas sous sa menace. C’est dans la mesure où, épargné, laissé de côté, le désastre me menace qu’il menace en moi ce qui est hors de moi, un autre que moi qui deviens passivement autre. Il n’y a pas atteinte du désastre. Hors d’atteinte est celui qu’il menace, on ne saurait dire si c’est de près ou de loin – l’infini de la menace a d’une certaine manière rompu toute limite. Nous sommes au bord du désastre sans que nous puissions le situer dans l’avenir : il est plutôt toujours déjà passé, et pourtant nous sommes au bord ou sous la menace, toutes formulations qui impliqueraient l’avenir si le désastre n’était ce qui ne vient pas, ce qui a arrêté toute venue. »
Maurice Blanchot, L’Écriture du désastre

Les communicants de la politique ont annoncé la fin de l’abondance. C’est la fin d’un paradigme et le début d’un autre : celui de la pénurie. Néolibéralisme oblige, la politique de la crise règne toujours et son efficacité reste évidemment opérationnelle. L’annonce de la pénurie est une opération de tension permanente, c’est un mode de gouvernance. Le capital amplifie sa temporalité, celle constituée par la modernité comme unique temporalité possible : celle du calcul et de la gestion. La toile de l’économie du temps de la modernité provoque l’homogénéisation des différentes temporalités constituant les multiplicités de mondes, qu’il soit humain, animal, végétal. Nous n’échappons pas à cette soumission à l’amplification constante de l’urgence. Nous sommes pris dans ce dispositif psychique où l’urgence presse notre vitalité jusqu’à nous laisser vides de puissance d’agir, réduit à un corps creux devenu un simple automate du capital. Cependant, vouloir répondre à l’urgence du capital, c’est se destiner à être défait. Il est nécessaire aujourd’hui de sortir la tête des eaux troubles de l’urgence, de prendre une temporalité qui mette à distance cette emprise. Ainsi, reprendre cette nécessité tactique d’empêcher la recomposition actuelle de la gauche dans toute son étendue hétérogène, accentuer la tonalité de la soustraction en cours, et continuer de construire une puissance matérielle. Quant à la possibilité d’un soulèvement, sa condition n’est pas déterminée par la crise, mais certainement par son relâchement et par un désir insaisissable d’en découdre avec l’ordre existant.

Entêtement

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