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L’écologie, économie contre la vie

« Si le terme “ÉCONOMIE” ne s’était pas trouvé dévoyé par d’autoproclamés “économistes”, jamais celui d’“écologie” n’aurait eu à s’inventer. Sous l’écologie, point une économie qui ne dit plus son nom. »
Alain Denault, L’économie de la nature

Aujourd’hui, l’écologie politique a pris du poil de la bête. Devenant le dernier combat d’une jeunesse métropolisée cherchant à sauver le peu qu’il leur reste. L’écologie politique intègre le champ des luttes révolutionnaires. Cette lutte désigne une distinction avec le terme écosystème, l’écologie politique introduit la question de la finalité d’une régulation des cycles et des équilibres biologiques. Elle se perçoit comme une conscience de notre environnement. Admettant par le même geste notre interdépendance avec les écosystèmes, que nous détruisons. Le geste politique de cette écologie est la tentative de sauvegarder les écosystèmes. Autrement dit, l’écologie politique est la tentative affirmative d’une solidarité et notre responsabilité envers le monde, dans une certaine façon de transformer la biosphère en organisme. Ces quelques phrases montrent les divers problèmes de l’écologie politique par ses liens étroits avec l’économie, la biologie et la deuxième cybernétique. Une généalogie s’impose à nous pour tenter de défricher une partie de ce problème.

Le darwiniste Haeckel en 1866 grâce à l’apport de Eugène Warming, produit le néologisme « écologie » à partir des mots grecs oikos et logos, pour désigner une discipline scientifique de l’étude des habitats naturels des espèces vivantes. Une lecture erronée de ce néologisme serait de définir l’éco-logie comme opposé radical de l’économie. Pourtant, ce n’est pas par hasard que ce néologisme fut constitué par la racine oikos. Si l’économie est une science de l’administration et de la gestion par le calcul, l’écologie n’est pas simplement ce qui relie les êtres avec leur milieu, mais bien l’administration de ce qui les lie. Ce qui façonne la discipline de l’écologie est l’économie politique. L’économie (oikonomia) dans sa première forme désigne la gestion de la maison et devient au cours du XVIIIe siècle économie politique. Ce changement de paradigme s’effectue autour de plusieurs penseurs influents. Rousseau, en tête de file, énonce l’économie comme la gestion d’une population dans son Discours sur l’économie politique. Par la suite, Le tableau économique de François Quesnay et La richesse des nations d’Adam Smith participent activement à ce changement de paradigme, en actualisant le geste du XVIIe siècle de maîtrise et de possession de la « Nature » comme le formulait un certain Descartes. Les deux branches des économistes que sont les physiocrates, priorisant les ressources agraires, et les mercantilistes, priorisant quant à eux la nécessité d’un excédent de la balance commerciale, c’est-à-dire qu’une grande quantité de métaux précieux puisse entrer à l’intérieur du royaume. Ces deux courants pensent le contrôle des ressources nationales pour surseoir aux besoins de la population. Néanmoins la pensée économiste influe sur les socialistes utopistes du XIXe siècle, que ce soit Proudhon ou Marx. La Nature n’est rien d’autre qu’une ressource à exploiter. La métaphysique occidentale a dû toujours établir le concept de Nature comme catégorie réductrice pour permettre de maîtriser cette troublante catégorie. Francis Bacon définit le but de la science comme domination de la nature pour le bien-être de la société. Définition qui n’a pas pris une ride pour certains.

Les prémisses de l’écologie viennent des naturalistes des Lumières. De John Ray en passant par Carl Von Linné, ils établissent l’économie de la nature comme le moyen scientifique de répondre à l’œconomia (économie du salut) des théologiens du XVIIe siècle. Si l’écologie politique oublie un peu ses origines et n’oublie pas un autre versant tout aussi problématique avec la figure historique de Henry David Thoreau. Le désobéissant avec son livre Walden s’enlise dans le vocabulaire de l’économie, les critères d’évaluation et de comptabilité marchande. Thoreau erre entre « l’économie de la vie » et « l’économie politique » : « Outre le produit consommé et le produit en réserve lors de cette évaluation, estimés à 4 dollars 50 cents — le montant de la réserve faisant plus que compenser la valeur d’un peu d’herbe que je ne fis pas pousser. […] Mais poursuivons mes statistiques. […] Oui, je mangeai la valeur de 8 dollars 74 cents » (Thoreau, Walden). Thoreau n’a jamais quitté le monde qu’il méprisait, il l’a emporté avec lui, devenant un vulgaire comptable perdu dans les bois. Un certain Charles Darwin, pendant ce temps-là, présente sa théorie de l’évolution des espèces portant grandement la marque d’une économie concurrentielle et libérale. Alors, quand Haeckel diffuseur des idées de Darwin en Allemagne, fonde l’écologie, il tente de combler une carence entre économie et écologie en intégrant la biologie. L’écologie s’inscrit historiquement à la jonction de la géographie et de la biologie. Le processus d’institutionnalisation de l’écologie ne s’effectue qu’assez tardivement, au cours des premières décennies du XXe siècle ou l’économie politique disparaît pour devient principe hégémonique d’unité du monde. On remarque l’émergence d’écoles d’écologie, liées à des universités et à des laboratoires de recherche. En 1935, Arthur George Transley propose le terme d’« écosystème », dérivant du syntagme système écologique. Il est prolongé par le biologiste étatsunien Raymond Lindeman, par la volonté d’intégrer les approches trophiques et énergétiques. L’institutionnalisation de l’écologie répond donc à l’étendue matérielle du capitalisme sur la planète. L’émergence de l’écologie ne répond telle pas à une reconfiguration capitalisme ?

Nous avons juste à regarder le soi-disant plus grand philosophe contemporain, le plus lu du monde anglo-saxon : Bruno Latour. Le bon vieux Latour est la figure symbolisant la réalité conceptuelle de l’écologie. Latour est le penseur de la diplomatie, réformateur annihilant toute politique d’extranéité. Il évince les nombreuses causes du ravage contemporain, le capital n’existe pas dans le laboratoire psychique de Latour. Pour lui, pour résoudre l’étendue du ravage par l’accomplissement réel du projet moderne. Hélas, ce projet a bien été mis en place depuis un certain temps déjà. Latour n’est rien d’autre qu’un énième produit du monde technoscientifique. Ne pouvant voir la vie en dehors d’un microscope, Latour est face à Gaïa, toujours dans une position extérieure passive au monde. Où la seule question de détruire les forces du ravage nécessite une prise de conscience. Ce n’est pas la conscience écologique ou autre qui soulève les corps, c’est quand les corps ne se sentent plus séparés du monde que les corps se soulèvent. Alors, quand un enseignant de philosophie et pisteur de loups devient la figure de l’écologie politique, le problème s’entend toujours plus. Baptiste Morizot est l’aile gauche de Latour, il réussit avec son ami Damasio à capturer l’imaginaire des ZAD pour leur sombre projet politique et néanmoins lucratif. Dans son livre Raviver les braises du vivant : un front commun, Morizot articule une nouvelle forme de citoyenneté capable d’illégalisme quand le conflit l’impose. Il tente d’esquisser une nouvelle gauche prenant comme commun le front écologiste : « Mais réappropriation citoyenne ne veut pas dire désengagement de l’État. L’État doit renforcer son rôle de défense du vivant, soutenir et impulser les initiatives citoyennes, et ne pas se retirer du jeu » (Morizot, Raviver les braises du vivant : un front commun). Morizot avec sa vision étatique ravive les braises autoritaires germaniques du siècle dernier. Il n’y a rien d’étrange à parler de vivant quand on piste des loups : « Il s’agit simplement d’aller vers une gestion plus prudente pour les générations futures » (Idem). Pour ce genre de personnage, la vie est à gérer sous l’œil bienveillant de son fusil. L’écologie politique n’est rien d’autre que la lutte externe d’une nouvelle forme de gauche pour sauver un monde destructeur, comme fut le projet de la première cybernétique de Weiner.

Se défaire du concept d’écologie, c’est se débarrasser du paradigme économique qui se cache derrière. Combattre n’implique plus la nécessité de sauvegarder ce monde ravageur même plus doux, mais bien combattre pour d’autres formes de vie, entraînant une autre façon d’être-au-monde. Si le concept de Nature pose évidemment différents problèmes, que se soit par un caractère fascisant et fascinant pour les occidentaux, un concept comme Gaïa perpétue le geste d’un environnement où l’on ne peut se situer que dans l’étrangeté du monde. La vie contre nature comme l’écrit Mårten Björk, hors de la nature, hors de la vie, une nouvelle conception de la vie échappant à l’accomplissant métaphysique de la thanatopolitique. La vie ne se réduit pas à la conception lamarckien uniformisant les règnes minéral, végétal et animal à la vie, ni à l’incapacité occidentale de définir la vie qu’à partir de la mort comme étant non-mort. Étonnamment la prolifération de films ou de séries TV de zombie symbolise avec non moins d’ironie la réalité existentielle occidentale. Nous sommes des zombies en quête de chair fraiche de la vie, néanmoins à force d’engloutir tous ces tissus de vie, cela nous ne rend pas plus vivant, une faim insatiable ne fait que croître. La vie se trouve certainement ailleurs, hors de la zombification du monde, certainement dans le monde même.

Ezra Riquelme

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