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Les GAFAM et la conquête de la santé

« Chaque génération élargit sa définition de l’égalité. Les générations précédentes ont lutté pour le vote et les droits civils. Ils avaient le New Deal et la Grande Société. Et maintenant, il est temps pour notre génération de définir un nouveau contrat social. »
Mark Zuckerberg, Discours à Havard, 2017

On pourrait penser à tort que les GAFAM sont simplement de grands opportunistes. Ce serait sous-estimer les ambitions létales de ces entreprises. C’est bien connu, tout bon businessman se doit d’être un parfait stratège. La manigance est de mise, chaque plan est programmé sur le long terme. Ces plans comportent des stratagèmes jouant sur les dimensions du visible et de l’invisible. La communication est une guerre permanente, ses énoncés sont tromperies, ses effets sont le brouillard pour ses frappes, pour les opérations qu’elle mène. La séquence du Covid a précipité le bon déroulement de l’un des plans chers aux GAFAM, passer d’une étape à une autre. La réussite du confinement ne peut se réduire au simple fait de l’agitation de la peur par les communicants du gouvernement, on passe un peu trop vite sur que nous éprouvons depuis tant années. Nous faisons partie d’une grande expérience du laboratoire, chacun d’entre-nous est l’un des cobayes de cette expérimentation de la recomposition du réel, c’est-à-dire nous sommes les sujets de la domestication cozy élaborée par les GAFAM comme plan opérant sur la quotidienneté de nos expériences vécues. Ainsi, la première étape de la grande reconfiguration de la vie et de l’« humanité » coïncide avec la mise en service de la domestication cozy, réduisant les corps à des écosystèmes virtuels connectés. Rendant « tenable » le fait d’être assigné à résidence pendant plusieurs mois. La seconde étape correspond à une gestion de la vie, ou plus exactement à la bonne santé des corps. Les GAFAM ont pour projet de continuer de façonner la vie par les différents processus technologiques de rationalisation. La santé est un continent existentiel et physique à conquérir.

Le réseau métropolitain, comme toile d’araignée géante, reconfigure l’ensemble de la vie. Son infrastructure s’entend dans nos rues, nos logis et sur notre corps. Après le smartphone, la montre connectée, l’enceinte connectée, l’aspirateur connecté. Tous ces objets connectés sont la nouvelle écologie de la vie quotidienne, un environnement technologique « invisible ». La banalité du contrôle et la surveillance comme véritable expérience sociale. Google, avec son moteur de recherche, récolte des millions d’informations médicales par jour. Aujourd’hui, Google se perçoit comme la première encyclopédie médicale consultée. Apple et ses objets connectés contrôlent notre état de santé. « Nous sommes de plus en plus présents dans la Santé grâce à l’Apple Watch et d’autres dispositifs », constate effectivement Tim Cook, PDG d’Apple, et affirme par la suite que protéger le genre humain est la plus grande contribution d’Apple. La « seconde nature » (Camatte) impose un environnement technologique connecté avec les écosystèmes virtuels déterminés par la composition des prothèses technologiques se transformant peu à peu en exosquelettes. Les dispositifs de contrôle se superposent et une nouvelle nature s’enracine.

Ceux étrangers à la vie ont toujours un projet à réaliser. L’entité des GAFAM actualise un vieux projet positiviste ou plutôt un vieux projet philosophique antique avec la biocratie. Priscilla Chan, épouse du cyborg Zuckerberg, a pour ambitions d’éradiquer toutes les maladies sur terre et de nous éduquer avec son entreprise philanthropique Initiative Chan Zuckerberg. Autrement dit, éradiquer toute forme de trouble aux normes toujours reconfigurables de leur future biosociété cybernétique. Pour cela, il faut néanmoins donner gracieusement toutes ses données médicales et biologiques, le reste ils s’en occupent. C’est un projet pensé « à long terme, sur 25, 50 ou 100 ans ». Anne Wojcicki, scientifique et ancienne épouse de Sergey Brin cofondateur de Google, est PDG de l’entreprise 23andMe, qui a pour activité commerciale et scientifique la mise en vente de tests de génome par lesquels elle récupère ainsi des millions de données génétiques dans l’espoir de prévenir vos futures maladies. Encore le même projet de contrôle universel, d’anticiper et de prévenir les risques de débordements. Entre les fondations philanthropiques et les sociétés de défenses, les intentions sont les mêmes, chacun incarne une manière de faire la guerre contre la multiplicité des formes de vie. Palantir technologique, société de défense spécialiste du renseignement contre insurrectionnel signe de nombreux contrats concernant la santé. Pendant la séquence du Covid, Palantir a essayé d’établir un accord sur le transfert de données avec AP-HP, qui n’a pas donné suite. Néanmoins, l’AP-HP a collaboré à récupérer les données statistiques de localisation des clients d’Orange et SFR. Palantir a aussi noué un partenariat avec Faculty, une start-up britannique qui accompagne les autorités dans la gestion du Covid offrant la base de données du National Health Service. La question des données est généralement appelée guerre du cloud, où l’Europe en quête de souveraineté sur les données flippe face aux mastodontes états-uniens. Car l’accaparation de ce juteux marché européen n’est qu’une question d’années.

L’exemple d’Amazon est significatif. Depuis 2017, l’objectif principal d’Amazon est de devenir le principal fournisseur de médicaments et d’assurance maladie dans le monde. Sa conquête commença par le rachat de la pharmacie en ligne PillPack, passant ensuite un partenariat avec Arcadia Group, cabinet de conseil dans les marques de santé. De là Amazon lance d’Amazon Care (clinique médicale virtuelle), obtient auprès des autorités dans la même année en 2019 la certification d’Hébergement de données de santé en France et fait l’acquisition d’Health Navigator. Il dépose l’année suivante la marque Amazon Pharmacy (au Royaume-Uni, Australie, Canada, Chine, Israël…), avant de le lancer aux États-Unis avec son bracelet connecté Halo. L’élargissement des secteurs d’activité n’est pas seulement un moyen de diversifier ses activités, mais d’étendre son emprise sur les corps. Devenir une entité infrastructurelle soi-disant indispensable à notre bonne santé. Une nouvelle organisation de la vie est au travail.

Les GAFAM s’appliquent au bon fonctionnement de leur pouvoir environnemental mis en pratique par les écosystèmes d’objets connectés. Démonstration de l’horizon du désastre. Le contrôle universel comme moyen total de gouverner. Cet objectif nécessite un effroyable déploiement technologique, qui permet de séculariser le pouvoir dans chaque moment de la vie, rendre le pouvoir invisible, mais pourtant omniprésent. Toute chose est alors gouvernée, le monde est sacrifié par le pouvoir environnemental. Nombreux sont les complices de ce projet. Des psychiatres comme Paul Dagum développe des algorithmes pour les big data. Cela donne l’entreprise Mindstrong. Le smartphone comme phénotypage, remplissant sa fonction de contrôle, mais surtout d’esk-croissance. L’application développée par Mindstrong est un biomarqueur électronique de santé mentale. Prévenir les risques au quotidien voilà la quintessence de la médecine cybernétique. Toute anomalie est donc un risque de propager un débordement sur la configuration sociale et sanitaire. Tout ressenti autre que la cybersensibilité sera pathologisée, être profondément touché dans son âme par le désastre universel sera rationalisé et pathologisé par le diagnostic d’écoanxieux.

Les GAFAM et leur champ d’opération permettent l’actualisation de la réalisation du projet occidental du contrôle universel et d’annihilation. Avec les conséquences que l’on éprouve déjà. La civilisation produit ses sujets et ses maladies. Ses remèdes sont à la hauteur du désastre, une histoire de chiffre. Alors, quand les GAFAM agitent le fameux « pour le bien de l’humanité », l’effet renvoie directement à l’effroi, à l’annonce tragique du destin de l’Occident. Vivre son autodestruction existentio-materielle comme une jouissance esthétique mortifère. La prétention de vouloir le bien de tous est de facto une manière de justifier l’exaltation sans borne d’assouvir les pires atrocités. Les pires horreurs de l’histoire ont toujours été commises sur cette justification maléfique. Vouloir le bien, c’est vouloir liquider toute forme hétérogène refusant les conditions de fixation à une réalité fictive. Si la réalité se réduit aux configurations axiomatiques du Capital, la « santé » n’est que la bonne santé de l’état des choses et tous ceux qui ne se plieront pas devant cette terreur seront liquidés.

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