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L’autodéfense sanitaire, une biopolitique mineure

Errance d’un fiasco, itinérance d’une inconsistance. Constat sur l’autodéfense sanitaire. Passe-temps abstrait pour métropolitains angoissés et impuissants devant l’évidence de la situation : leur mode de vie produit par le monde techno-militaro-industriel offre une vie fragile. L’épreuve de vivre une vie fragile, c’est subir l’inclinaison à l’ordre, être déterminé par ces ordonnances. Quand certains réclament : « Il faut défendre la fragilité ! », il faut comprendre « Il faut défendre la société » ! Pour justifier cette horreur terriblement réactionnaire, les gauchistes retournent à la bonne vieille méthode moraliste du sujet, instrumentalisant les pauvres, les « handicapés », ceux que la société reconnaît comme faibles et parasitaires, reprenant alors le récit des gouvernants. La vérité semble toute autre, la faiblesse c’est de tenir à être un sujet, c’est-à-dire être gouverné, ce qui de surcroît nécessite logiquement de subir des conditions de vie misérables. Pourtant les gauchistes s’indignent toujours de la banalité de la terreur : les pauvres sont les plus touchés face au Covid. Cela est une évidence, les pauvres sont toujours les plus touchés par l’effroi du capitalisme et personne n’a eu besoin de la pandémie pour le savoir. Au risque de déplaire au récit mal ficelé de l’autodéfense sanitaire, les pauvres des cités, des campagnes, n’ont sincèrement rien à faire de leur masque et de leur vaccin. Le covid n’est qu’un problème de plus sur une vie déjà bien abîmée par l’état des choses. Pareil pour lesdits « handicapés », réduits à une position sociale où tout le monde parle pour eux sans jamais les écouter.

De déni en déni, l’intensification du contrôle généralisé se répand tranquillement dans un silence mortifère. Si le covid tue bel et bien, on ne peut nier l’accélération brutale du contrôle comme paradigme universel. Cette séquence a ouvert un boulevard aux différents plans spécifiques des GAFAM. La santé est devenue pour eux le nouveau business plan en pleine expansion. Implicitement — quoique ne prenant plus la peine de se cacher — les GAFAM se constituent comme des appareils d’État parallèles et reconfigurent rationnellement le monde par le contrôle universel, dressant alors un nouveau paradigme biopolitique. Imposant leur vision du monde totalisante, ils prolongent la mort-vivance occidentale jusqu’à son paroxysme et définissent le sauvetage de l’humanité par le rafistolage cybernétique. La vie et la santé sont donc des objets bien convoités et surtout des objets à façonner.

Les rares partisans de l’autodéfense sanitaire ont regretté l’incapacité des gouvernements à prendre en charge « correctement » cette situation pandémique, reprochant à l’État de mal « gérer la crise » — autrement dit de mal gouverner. On a même lu des anarchistes appeler à une clémence envers l’État. Mais cette séquence aura au moins permis de mettre en évidence le gouffre qui sépare le militantisme et la vie. Car à mesure que le militant sanitaire s’enfonce dans son effort surmoïque de cocher toutes les cases de toutes les luttes — de préférence sur sa bio Twitter et avec des hashtags — il s’éloigne toujours davantage de la vie, ne sachant plus quel monde il souhaite. Au nom d’une prétendue inclusion des plus faibles, les militants sanitaires parlent en fait pour eux-mêmes. Et les protocoles qu’ils souhaitent appliquer dans leurs « milieux » ne servent finalement à rien d’autre qu’à se distinguer des autres, à se valoriser socialement. Cette épidémie pouvait être l’occasion de (re)penser notre rapport à la connaissance médicale ou d’envisager une pluralité des épistémologies, d’appréhender ce que signifie être malade ou encore de poser existentiellement la question de la mort — et accessoirement de faire la révolution. Mais la posture des militants sanitaires durant cette période aura donné le triste exemple d’une curieuse habitude qui semble bien installée chez eux : reproduire les mêmes logiques que l’institution en-dehors d’elle. Voire, faire pire. Car même dans l’institution médicale, pourtant au cœur du dispositif biopolitique, rares sont les médecins — ou les malades — aussi zélés qu’eux. Et l’on assiste encore dans les hôpitaux aux sourires complices lorsque l’on enlève les masques une fois dans la salle de pause. Les militants sanitaires semblent avoir découvert que les maladies existaient et qu’elles pouvaient provoquer la mort. Mais dans quel monde vivaient-ils auparavant ? En mettant toute leur énergie dans le « zéro covid solidaire » ils reprennent à leur compte — et l’assument — une approche biopolitique de la santé et de la vie. Ainsi, par un étrange tour de passe-passe rhétorique, vivre avec la possibilité de la maladie et de la mort, autrement dit « vivre avec le virus » relève, selon eux, d’un eugénisme ; par ce geste, ils parachèvent l’anéantissement du peu d’humanité qui pouvait encore exister dans la relation entre un malade et un médecin, à savoir la rencontre comme moment où, lorsque nous sommes malades et que nous nous adressons à quelqu’un qui pourrait nous aider, l’expérience que nous faisons de la maladie nous fait faire l’expérience de la vérité de notre existence. La singularité de la rencontre doit laisser la place à la gestion statistique de nos vies. Le militantisme sanitaire qui voit dans le port généralisé du masque FFP2 et la disparition des maladies l’avènement d’un communisme nous montre bien l’impasse existentielle dans laquelle ces « milieux » se trouve. L’augmentation des tentatives de suicide chez les adolescents en 2020 était la tragique illustration de l’absurdité d’un monde où, au nom de la bonne santé, on décida de suspendre la vie. D’un strict point de vue de santé publique et de gouvernementalité, les gouvernements ont correctement réagi face à cette situation. En France, peu de personnes courageuses ont physiquement bravé le confinement et autres couvre-feux. La politique de la peur tenue par sa police a triomphé. Les corps sont restés assignés et les individus ont vu leur dépression croître jour après jour. Les gouvernements ont tenu bon, ils ont rempli leur part du contrat : que rien ne bouge. Ainsi, le grand corps social a pu se maintenir face à l’infection et au risque d’implosion. Les gouvernements tolèrent les morts, tant que cela ne produit pas la chute du régime. Ils peuvent empiler les morts et enfermer la vie, car ceux qui s’indignent ne sont qu’un cri silencieux dans le rouage de l’appareil d’État.

Il est toujours bon de rappeler que la biopolitique mise en place en France est le fait du cabinet McKinsey — dont l’accointance avec la CIA est bien connue. La vaccination de masse française orchestrée par le cabinet McKinsey a répondu à la définition de la société comme grand corps uni, c’est-à-dire solidaire. Cette solidarité coïncide avec la stabilité de l’organisation de l’ordre qui permet le bon fonctionnement de la machine ou plus exactement du grand corps social. Le système de santé est un sous-système social, un système de contrôle et de gestion. Il s’articule dans la sphère publique et privée pour permettre d’obtenir des informations afin de mettre à jour l’ordre social. La fonction principale du système de santé est de surveiller et de contrôler toutes déviances biologiques, psychologiques, le reste n’est que secondaire. La vaccination obligatoire est un cas d’école, produire un bio-contrat social par injection pour rester pleinement un citoyen. La société a pu se retrouver et ainsi se séculariser dans la tête de certains.

Les arguments négationnistes et eugénistes colportés par Cabriole et Jef Klak sont à la hauteur de leur mauvaise foi. La folie des statistiques s’est emparée de Cabriole, qui vit à travers une interface qui se nourrit insatiablement de ses angoisses. Tout ceci résulte certainement des effets secondaires du vaccin. « Vous en reprendrez certainement une autre dose ? ». Si la Silicon Valley et les gouvernements se rapportent différemment à l’eugénisme, leur point commun reste le contrôle universel. Il y a en effet deux formes d’eugénisme contemporain. Le premier, et le plus grossier, est l’eugénisme traditionnel de la droite et de l’extrême droite avec leur pathétique dialectique des forts et des faibles. Le second, plus sournois, est l’eugénisme de gauche, un eugénisme diffus qui contribue à une vision transhumaniste du monde, allant du refus de la douleur au choix des caractéristiques physiques de ses enfants, sous couvert de bons sentiments et par cette justification positiviste : « tout le monde veut être en bonne santé ». Mais il faudrait déjà se poser la question de ce qu’est une bonne santé ; certainement pas celle de jouir du désastre universel. La bonne santé promue par l’ordre est une vision foncièrement économique et sournoisement eugéniste. « La bonne santé est aussi et surtout la capacité de se conserver tel que l’on est le plus longtemps possible. Il y a un optimisme comptable de la conservation qui est, à la fois, la condition et le résultat de l’équilibre budgétaire » (Olivier Razac, La grande santé, p. 122).

L’avant-garde de l’autodéfense sanitaire dit ne pas vouer un culte à la science. Mais en jouant les apprentis sorciers de l’épidémiologie, ils réaffirment ce qu’ils considèrent être une bonne science face à une mauvaise, laissant de côté l’appareillage historique et technique de cette bonne science. En effet, ce militantisme sanitaire considère que « seule l’émergence de forces […] qui portent un discours clair et fondé scientifiquement nous permettra de trancher dans la confusion, et donc de combattre la désinformation et la séduction des récits négationnistes ».

« D’une part, la santé publique trouve son véritable objet dans des dysfonctionnements individuels à réparer. D’autre part, la gestion statistique du risque permet une globalisation bientôt mondiale de la police sanitaire. La cybernétique sociale réalise pleinement l’articulation synergique entre la discipline des corps individuels et le gouvernement de la vie des populations qui était le projet du biopouvoir moderne. L’objectif ultime de ce projet serait de relier les peurs les plus intimes aux dangers planétaires, que chaque comportement soit choisi selon sa charge de risques pour l’humanité. […] Le bien-être promis par la normalité fonctionnelle est indissociable d’une angoisse permanente pour la faute individuelle qui peut participer à la catastrophe universelle » (Olivier Razac p. 241-242).

Il y a quelques mois à Montreuil, une petite clique essayait de penser une nouvelle biopolitique, aussi mineure soit-elle, autour d’une philosophe qui n’a jamais cessé de vampiriser lesdits « milieux autonomes ». Cette biopolitique mineure connaît plusieurs appellations d’origine contrôlée : « communauté sanitaire » ou « communisme du soin ». Faire de la santé l’essence de la communauté montre la profondeur du ravage existentiel sur les militants. La maladie comme commun, tous sont donc malades, voici une façon peu originale de définir la vie, digne des grands penseurs de la société et de la santé publique. Ce communisme du soin se caractérise par la mise en place de logiques de santé publique à petite échelle : être un sous-système de la société de contrôle. Chacun se doit de surveiller l’autre, chaque déviance sera alors à soigner. Et si on ne peut soigner la déviance, il est nécessaire de l’expulser comme signe pathologique du mal qui circule au sein de cette communauté terrible. C’est ainsi que la revue Jef Klak assume de défendre le traçage, au nom de la stratégie « zéro Covid solidaire » : « Plutôt que par des mouchards technologiques, ce suivi des cas pourrait être effectué par des équipes d’arpentage épidémiologique mobiles qui prendraient en charge les tests ainsi qu’un véritable travail d’information et de prévention. Cette stratégie nécessite de mettre en œuvre une coordination interrégionale à une échelle transnationale ».

Enfin, la rhétorique des militants sanitaire se fonde sur l’idée que l’État laisserait mourir sa population au nom de l’économie. C’est là méconnaître le fonctionnement des régimes biopolitiques néo-libéraux : « La santé est devenue une des plus grandes préoccupations pour les populations des pays riches. Aucun parti politique ne peut en faire l’économie. Tous en font un des trois points prioritaires de leur programme. Cependant, on considère souvent avec raison que la santé médicale n’est pas une réelle priorité pour les gouvernements. Elle passe toujours derrière les considérations économiques et sécuritaires. De même, les populations semblent finalement davantage préoccupées par le chômage ou la délinquance que par la santé publique. Il se crée là une distorsion qui masque l’enjeu réel du développement des systèmes de santé. Il faut considérer que la santé médicale classique n’est qu’un sous-ensemble d’une santé globale qui correspond à l’adaptation sociale. Les trois enjeux politiques principaux — le travail, la sécurité, la santé — liés à trois grandes peurs — la pauvreté, la délinquance, la maladie — deviennent donc un seul enjeu et une seule peur : l’intégration au système social. La santé devient la question politique centrale lorsqu’elle se confond avec la normalisation sociale. Le système de santé ne trouve véritablement sa place qu’en tant que sous-système de la société de contrôle » (O. Razac, La grande santé, p. 240).

Ce mot d’ordre de l’autodéfense sanitaire — « Zéro Covid solidaire » — pose question. Est-ce que l’élimination complète du virus rime avec l’élimination complète de la dimension aléatoire de la vie ? Ne serait-ce pas un énoncé eugéniste ? En Chine, une telle approche est appliquée matériellement à la lettre ; un exemple à suivre pour les partisans de l’autodéfense sanitaire. Car l’Empire du Milieu montre la réalité effective d’une telle mise en place : la terreur sur la vie. Mais pour sauver qui, ou plutôt quoi ? Sauver le socialisme, sauver la société, donc sauver l’économie — et non la vie. La meilleure façon de lutter contre le covid serait une révolution planétaire, mais ce n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.

Faire preuve de logique aurait été certainement le geste nécessaire pour ne pas sombrer dans la panique sanitaire. Mettre à distance les hurlements médiatiques et gouvernementaux, garder à l’esprit en temps de pandémie qu’on ne détruit pas une vie pour en sauver une autre. Si nous ne présentons pas de symptômes, nous ne sommes pas malades, si nous ressentons des symptômes, restons à distance des plus susceptible d’en pâtir. L’adage : « mieux vaut prévenir que guérir », repris comme ritournelle, active une conception hygiéniste de la médecine, renvoyant la santé à un équilibre où l’excès contribue au pathogène. Sortir de cette conception permet d’éviter le piège de la santé du corps social. L’excès n’est pas nécessairement un élément de diminution de puissance ; il peut effectivement coïncider avec une diminution, mais aussi avec un accroissement de puissance. Cette problématique n’a pas de réponse a priori, il faut écouter ses désirs et son corps et voir ce qui nous semble bon pour notre santé. En somme il faut sortir des représentations comptables des normes et définir le bon et le mauvais à partir de nos sensations.

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