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Pourquoi lire Agamben ?

Alors que toute interrogation critique est ramenée sur l’enfant terrible du complotisme, qu’il devient impossible de trouver le moindre espace à la critique d’une gouvernementalité toujours plus aboutie, c’est précisément ce que nous proposons de questionner avec ce premier numéro.

Non pas la description d’une mécanique du complotisme qui semble être devenu l’objet privilégié à tout commentaire journaliste et universitaire, mais plutôt cette logique profonde qui tend le monde vers un devenir logisticien. Raillé pour ses prises de position, amené à la figure d’un cassandre sénile, le philosophe italien Giorgio Agamben n’en continue pas moins de distiller ses mises en garde qu’il découle de son long travail de philosophie politique autour de l’état d’exception. Mais, c’est lorsque nous prenons conscience de nos renoncements que l’absurde de la situation fait toute sa place à monstruosité. Ce qui paraissait digne des rêves surréalistes des esprits ingénieurs les plus malades est chaque jour plus matérialisé dans notre réalité. L’impossible contrôle totalisant qui semblait hors de portée pratique se rapproche toujours plus par ces petits pas qui évitent stratégiquement le bouleversement brutal. C’est ici la chance historique de tout gouvernement de pouvoir effectuer la reconfiguration des pratiques de pouvoir selon de nouvelles modalités fondées sur le contrôle. Alors, disons-le : il n’y aura pas de retour à la normale. Ce qui est là l’est pour durer, corps et esprits ne se déferont pas si facilement de mécanismes si profondément incorporés. Entre une épidémie qui n’en finit pas de finir justifiant toutes les aberrations législatives et les petites polices du quotidien, l’avenir semble être pris dans une glaise molle et collante. Lorsqu’on accusait Agamben de crier trop vite et trop fort, fou qu’il était depuis son monde de concepts, nous vivions chaque jour la confirmation du mouvement en cours de ces petites polices vers la grande police dans cette toile de sécurité globale que le gouvernement appelle de ses vœux. Ceux qui voudraient une biopolitique positive en oubliant son caractère stato-répressif en sont pour leurs frais. La mise en œuvre du pass sanitaire, des contrôles d’identité, la partition de la population selon des critères arbitraires, des infirmiers et infirmières gérer comme des stocks, l’exemption des militaires et policiers des consignes, l’infantilisation et les mensonges nous amène à trouver une dialectique à mettre en place. Comment gérer la contradiction entre la lutte contre le pass sanitaire et l’antivaccination parfois crasse ? Comment éviter le tri entre le bon antipass qui serait le non-vacciné, car précaire et éloigné de « l’offre de soin » et le mauvais non-vacciné qui serait antipass car un peu trop politique, un peu trop remuant, complètement trop critique ? Quid de la place de la science face à une hypothèse rationaliste totale ? Une certaine dérive délirante d’une frange antipass fascisée nous confronte à la même problématique de pureté que lors des Gilets jaunes à laquelle nous n’avons toujours pas plus de réponses que des gestes et des intuitions.

Même si nous ne faisons que soupçonner le futur et qu’il nous appartient de faire en sorte qu’il ne se réalise pas, une certaine sidération ne doit pas nous faire oublier notre sens politique qui nous a déjà permis de dénouer les imbrications théoriques des situations.

Entêtement

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