Si j’arrive à dire
la mort
pour dire que
j’ai cherché la vie partout et
la mort ne laisse aucun repos
dans les murmures
les plus médullaires
les cimes les plus enorgueillies
le long des peaux raidies
et la craquelure des lèvres
loin des sourires de retorderie
au travers des pièces où ne scintillent
que les bouts réutilisés des seringues
de nos silences
et les braises de nos espoirs
qui s’endorment
dans ma jeunesse abdiquante
frustrée jusqu’aux chaussettes
et dans cette vieille jeunesse guerrière
qui ne baisse les bras que
pour ramasser un pavé
ou un ami élancé tel un oiseau
dans un ciel aviné d’espoir
que le soleil embarrassé s’empresse
de laisser au noir
et même cette victoire
il nous aura fallu l’enterrer
celle avec laquelle on pouvait
tant s’amuser dans une forêt
que dans l’étouffement de la ville où
nous inventions nos victoires à venir
au seuil des magasins d’inutilités
quand le matin inventait nos regrets
là où l’on parle de café
comme on parlerait d’or
philosophie quotidienne
des réveils orphelins aux journées
qui oublieront au travers d’un rire fébrile
qu’il faut émousser ses caprices
pour affûter son exigence
le long des regards qui ne disent rien
sinon quelques années de Valiums
somnolents au dessus des jeunes
qui avant même d’abdiquer à la douleur
se shootent déjà avec
tant est devenue grande
et innommable à la fois
l’inconfort de la réalité imposée
Autour de moi des malheurs
des malheureux comme à l’intérieur
du corps pollué
ils se perdent à chercher
sont aspirés dans les bois
à chaque fois qu’ils trouvent
ces malheurs et ces malheureux
s’invitent et se cancérisent
s’atrophient
se disent les cordes pour remonter
tandis qu’ils se lient pour descendre
c’est la solitude inversée qui mandibule
le long du bras
je sais ce que tu vois
et ce que tu n’apercevras jamais
dans l’entaille intime de ta veine
tressé aux autres toujours
loin du gouffre entre toi et toi
plus sombre qu’irréversible
toujours à réitérer
dans l’espoir profond de ce jamais
Tu uses de musique comme d’une béquille
pour parfois t’adonner à regarder la vie
sans être vu
mais rien n’y fait vu que
de multiplicités uniques
ils ont fait une unique multiplicité
d’un unanime espoir
un désespoir unanime
On joue aux humains sur les tables du temps
combien de secrets faudra-t-il encore oublier
pour une révélation possible ?
tant de complaisances
pour aucune concession
toujours à prendre parti
sans jamais prendre part
tant de voyages
mais si peu d’instants
autant d’images
que de mensonges
deux pouces dans la gorge
pour faire cesser ces croassements
et nous qui avions préféré
trimbaler notre jeunesse
sur les trottoirs
plutôt que dans un album photos
c’est la même ritournelle chaque soir
ils se disputent
puis se bagarrent
avons dressés les chiens errants
se rouler en boule
sur le ventre du monde
mais ne cueillir que des trahisons
avons survolé l’île aux âmes
et enterrés des cœur battants
des poètes au mot fluet
et au style volumineux
sommes-nous devenus
ces spectateurs intelligents ?
Ne reste qu’à dire
la douleur
la terre se fissure
comment la fiction s’est emparée
des gestes les plus simples
comment la joie s’est parée
des instants antalgiques
loin du sommeil des bougies
comment leurs cris
de liberté et d’émancipation
résonnent cruellement
le vieux rire crissant
d’une novlangue archaïque
et comme cela me laisse tel que j’étais avant
au beau milieu d’une liesse
torchée aux alcools post-modernes
criarde et hautaine
prisant une pléthore d’empathie
dans des relations
que nombre endurent
mais que peu commettent
à se séparer au plus ils s’ouvrent
à se subir d’opacité
et parce qu’il y eu des temps
où la tristesse se partageait
il faut comprendre que
le dernier arbre abattu
n’émouvra plus personne
Et là où certaines vérités
permettent encore un brin de vie
on ne parle plus qu’au passé
quand le soir tombe et
enfonce avec lui
le bonnet de la folie
recouvrant les yeux exténués
de ceux qui répètent les mêmes gestes
mimant les partis
pour toujours
quelques temps
à jamais
Puis ces ballons de fumée
strangulation de notre mutisme
suffocation de la terre
rosée des visages ensevelis
râle de pollution citoyenne
usines à bonheur hautement consommables
qu’on aimerait s’y noyer parfois
sous forme d’aiguille
pour entendre tout ce qui
ne peut plus être dit
d’un éclat
des êtres qui s’étaient fait
promesse de compréhension
et qui dans ce pacte
à travers le temps
comme autant d’aspérités
de graisse et d’aphtes
se sont alourdies la langue
devenue plomb
et ce sont les coussins
qui maintenant fument
nos dernières cigarettes
et dire que nous cherchions
simplement à échapper
aux passions
unanimement gentrifiées
mes enfants
essuyez vos larmes
rangez vos lames
éprouvez votre âme
je sais que vous n’y êtes pour rien
que vous ne buviez pas pour vous amuser
qu’on a renfoncé
de grandes doses de nihilisme
dans vos petits cachets
mais il reste toute la catastrophe de la vie
à commettre et à ressentir
à aimer comme cela n’est plus permis
là où la psychiatrie a supplanté
le social qui sent le sapin
pendant que les déserts dorment
rêvant de semences
et d’un peu d’eau
Encore
Paul Celan
quand le froid
permet l’éclosion d’une âme
ou l’égrainement d’un livre
à la place de tous les autres
qui quand il ne savait pas
« était dehors
chez les autres mondes »
déjà
mais quand ?
Les bagues aux souches
les drones aux cimes
la folie aux racines
et ne reste que
l’audace du désespoir
pendant que nous tournons
en rond autour d’un feu
et que nous sommes dévorés par la nuit
surplombée d’un nuage
miroitant des visages qui jaillissent
et bavant des sourires
que l’alcool a rendu si éphémères
calcinés dans le sommeil des bougies
Le magnétophone a pris la poussière
sa batterie s’est acidifiée
le sang dans le cobalt
et ne jamais oublier la gaine
pour recharger l’intelligence de son téléphone
bientôt greffe
des gestes désormais codifiables
Si j’arrive à dire
l’amour
tel qu’il brûle
quinconce l’approche
il faut une grande dose de sensibilité
pour ne plus rien trouver aux printemps
dire que j’ai été incapable
de monter dans ce train
que j’ai pris
et qui nous a séparé
Il fait -8 dehors
les cheminées toussent un bois bleu aseptisé
charbon contemporain
mais une réalité au moins
aux évidences de l’obscure
Si j’arrive à dire
l’amertume de manquer
et les étoiles sont susceptibles
dans l’interstice des mensonges
la lune se venge toujours
de nos amours
dans le poison quotidien
où l’on hurle dans des camisoles de force qu’on perd la partie du vrai
ping-pong de l’abîme
et Bruxelles ni rien d’autre
ne seront plus jamais avec nous
ne restent que les oiseaux
qui continuent de chanter
la surdité de nos désirs
au-dessus du sommeil des bougies
nous ne faisions rien de mal pourtant
mais rêver de vivre se paye à crédit
signification substantielle
et après la vie
et la vie après
mais toi
d’un clin d’œil
rempli de mystère
tu perçais la moindre méchanceté
aussi je n’ai pas compris
comment tous ces bouts de textes
subissaient la loi de la gravité
Si j’arrive à dire
j’aimerai que ma voix vous tombe dessus
quand parfois je tiens encore une réalité par la main
parce que c’est amusant d’avoir une autre main dans la sienne
et l’éthique n’évoque plus rien
sinon une notion abstraite
où les philosophes ont détruits la philosophie
où on joue aux humains
sur les tables oblongues du temps
à scruter qui rira le plus naturellement
quand nous démêlerons les aveux bariolés
pour faire des palais des cantines
des rois de la poussière
de toute cette tristesse un point de réconciliation
et non un alibi de sociabilité
commençons aussi cela par exemple
arrimons nos mémoires au même pilier
communisons au commencement
admettons la fausseté de nos altruismes
car aller aux lamentations n’est rien
en revenir est atroce
et voilà
jeunesse à l’hôpital
aux tables longues du temps
trinquent les coupes de la souffrance
il faut maintenant les boire
comme de l’eau
pour dire
l’inanité
qui
séquestre
et les vies introuvables
tu pars
dire la douleur amère
pour continuer de vivre
tu pars
fermer les paupières
puis chaque jour renaître
dans la morsure
qu’un venin émousse
comment dire que tu veux boire
tout
ce
qui
touche
mais il est des invités qui
taillent la gorge
tu pars
dénouer les cordes des malheurs
et danser sur ces tablées
aux vérités qui manquent toujours de sel
tu pars
car tu n’en peux plus
de boire tous ces couteaux
car la réalité cabotine
tu pars et
que j’aimerai boire ton corps
pour toutes les fois
où tu me laissas entrer
mais
le
monde
encore
plus un bruit
ni un silence
comme si cette douleur
de la veille
avait pourrie
te voilà partie
comme une abeille
Si j’arrive
cette douleur
quand tout s’envole
puis tout s’envole
la mort
de toutes ces nuits où
nous sautions dans les flaques
de nos gueules de bois
les pieds joints
les bras tressés
jurant la fusion des métaux
agrippant la vie
comme si elle
nous avait été prêtée
trop soûls pour comprendre
que nos désirs n’étaient alors
que le chagrin d’une solitude
informulée
Maintenant
plus une goutte
d’alcool
je bois
à la veine
je cause
à la génétique
ainsi
trinquant
à ta santé
je fais tinter
et bouger
les ombres
De cette ruelle épargnée
je fredonnerais encore
que je me souviens péniblement
des verres épais
aux bruits étouffés
que nos rires avalaient
mais que le serment mélancolique
ne pourra jamais recracher
et que pour ne plus boire
j’ai dû renoncer à laisser
ces moments mourir
asphyxiés sous le sommeil des bougies
dans la petite cheminée d’une caravane
où les mises-en-demeure
sont des allume-feu
où la rouille des bateaux
et des cabanes communisent
où les âmes se traînent
et se blessent si joliment
aux échardes de la vie
et où les bougies
sont les dernières
à aller au lit.
Amir