Des années 1980 jusqu’aux années 2000, le terme communisme a été banni de l’histoire. Le néolibéralisme triomphant, le communisme, restant associé à la terreur du Socialisme, fut mis en errance, muet de toute expérience. Il fallut attendre la revue TIQQUN pour remettre sur la scène de l’Histoire le mot communisme. Quelques années plus tard, en 2009 à Londres, une conférence est organisée à l’initiative d’un certain Alain Badiou, qu’on ne présente plus, ni lui ni son ego. Il ouvre ce cycle de conférence avec son intervention : L’Idée du communisme. Cette initiative a pour réelle intention de capter la réminiscence du mot communisme initié par TIQQUN et par le mouvement anti-CPE de 2006. Il espère ainsi capturer sous son prisme philosophique les futures tentatives insurrectionnelles. Aujourd’hui, le communisme est repris par un certain nombre de philosophes, d’économistes, tous essayent de nous ressortir le bon vieux projet politique social et économique, c’est-à-dire un énième socialisme. Revenons plus tôt au problème que Badiou a entrepris avec son Idée du communisme.
La pensée politique de Badiou peut s’énoncer brièvement par il n’y a de politique qu’organisée. Il effectue le déplacement de la question du Parti en la question de l’organisation. Badiou fait face à ce problème depuis plusieurs décennies, l’organisation serait une structure différente de celle du Parti. Amateur de plateaux télé, le grand philosophe aime partager sa vérité et ses idées. Il juge selon lui, la période dit « mouvementiste » comme faible par son manque d’organisation forte et son absence d’un leader. Badiou rêve encore de Lénine et de Mao. Sa pensée politique se trouve prise au piège d’un paradoxe concernant le plan structurel de l’organisation, ressemblant étrangement à celle du Parti, mais cette tentative ne saurait être qu’une technique de travestissement de sa part. Le travestissement du Parti sous l’habile de l’organisation change effectivement son objectif final. Il n’est plus question de la prise du pouvoir de la part de l’organisation, car cette question selon lui ne se pose qu’en dépit de l’accession d’une période postrévolutionnaire.
Dans la reconfiguration de son projet politique, Badiou établit un personnage conceptuel avec la figure du militant. Ce personnage conceptuel est constitué de différentes figures historiques, notamment par Platon, Saint-Paul, Lénine et Mao. Badiou effectue une continuité entre ses figures historiques par ce qu’il nomme l’Idée et la défense de l’universel. Dans L’Hypothèse communiste, l’Idée du communisme se définit par trois composantes : politique ; historique ; subjective. Badiou qualifie ainsi ce qu’il entend par Idée : « J’appelle “Idée” une totalisation abstraite des éléments primitifs, une procédure de vérité, une appartenance historique et une subjectivation individuelle. On peut immédiatement donner une définition formelle de l’Idée : une Idée est la subjectivation d’une relation entre la singularité d’une procédure de vérité et une représentation de l’Histoire ».1 Avec cette définition de l’Idée, Badiou place ces fameuses trois composantes comme les éléments d’une équation mathématique. L’addiction de la politique détenant un processus de vérité avec la figure historique d’appartenance réalise une subjectivation individuelle.
L’Idée est un procédé de subjectivation. L’Idée communiste est un procédé de subjectivation politique, il précise : « L’Idée communiste n’existe qu’à la lisière de l’individu et de la procédure politique, comme cette composante de la subjectivation qui se soutient d’une projection historique de la politique. L’idée communiste est ce qui constitue le devenir-Sujet politique de l’individu comme étant aussi et en même temps sa projection dans l’Histoire ».2 La subjectivation politique provoquée par l’Idée communiste est toujours prise dans sa projection historique. Cette projection dans l’Histoire pour Badiou n’est que l’ordre du symbolique, pour lui l’Histoire n’existe pas réellement. « Il faut donc commencer par les vérités, par le réel politique, pour identifier l’Idée dans la triplicité de son opération : réel-politique, symbolique-Histoire, imaginaire-idéologie. »3. Pour identifier l’Idée dans la triplicité, il faut déterminer les vérités. Badiou répond à cette indétermination des vérités par une procédure générique d’où émerge un événement. Le Sujet (collectif), ou l’organisation, révolutionnaire a pour tâche de rester fidèle à l’événement.
« L’Idée du communisme peut projeter le réel d’une politique, toujours soustraite à la puissance de l’État, dans la figure historique d’un “autre État” pourvu que la soustraction soit interne à cette opération subjectivante, en ce sens que “l’autre État” est lui aussi soustrait à la puissance de l’État, donc à sa propre puissance, en tant qu’il est un État dont l’essence est de dépérir ».4 L’Idée du communisme de Badiou est construite sur la même logique que les thèses de L’État et la révolution de Lénine suivant Marx sur la transition de l’État. Cette réactualisation de la conception marxiste-léniniste de la révolution, n’est qu’un énième bis repetita. Répétant encore et encore que l’organisation révolutionnaire se doit de prendre l’État et d’effectuer ensuite la transition de l’État socialiste vers le non-État communiste. La fidélité des révolutionnaires à l’Idée du communisme ne suffit pas à conjurer les erreurs du passé, car la logique déployée est le cœur même des erreurs d’antan.
« Récapitulons aussi simplement que possible. Une vérité est le réel politique. L’Histoire, y compris comme réservoir de noms propres, est un lieu symbolique. L’opération idéologique de l’Idée du communisme est la projection imaginaire du réel politique dans la fiction symbolique de l’Histoire, y compris sous la forme d’une représentation de l’action des masses innombrables par l’Un d’un nom propre. La fonction de cette Idée est de soutenir l’incorporation individuelle à la discipline d’une procédure de vérité, d’autoriser à ses propres yeux l’individu à excéder les contraintes étatiques de la survie en devenant une partie du corps-de-vérité, ou corps subjectivable. »5 Le fonctionnement de l’Idée du communisme est un pur élément fictionnel, conçu pour justifier une procédure de vérité permettant une identification des masses, l’Idée devient l’unité des masses à une discipline. La figure du militant est la figure pastorale du berger chez Platon. Il faut bien guider les masses révolutionnaires à leur Salut, sachant pertinemment que le salut du berger est bien différent. Le berger a d’autres plans pour son troupeau.
« C’est pourquoi la situation subjective de la politique est devenue partout si confuse. »6 Badiou saisit enfin une chose, la fin de la Politique. « Sans Idée, la désorientation des masses populaires est inéluctable. »7 Le grand patriarche cherche une masse à guider. L’Idée du communisme est une tentative de nier une vérité essentielle : le monde n’est plus régi par de grands principes hégémoniques. La politique n’est plus le moteur des soulèvements, elle est tout juste sa parodie. Le point de départ des soulèvements est le tissu éthique comme souffle animant les corps. Le communisme ne correspond pas à une Idée hégémonique tentant de gouverner un monde. Il reste à percevoir autrement le monde sensible. Le communisme s’incarne dans des corps et dans des lieux comme rencontre immanente, où se joue l’articulation suivante entre le sensible et l’intelligible sans pourtant qu’un de ses plans prenne le pas sur l’autre. Il s’agit de tenir cette articulation pour la bonne santé des formes de vie.
Ezra Riquelme
1P185 BADIOU Alain, Circonstances ; 5 : L’hypothèse communiste, Paris, Éditions Lignes, 2009.
2P187 Ibid.
3P190 Ibid.
4P195-196 Ibid.
5P198 Ibid.
6P203 Ibid.
7P203 BADIOU Alain, Circonstances ; 5 : L’hypothèse communiste, Paris, Éditions Lignes, 2009.