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Interruption ! Vive le communisme !

« Il faut couper la mèche qui brûle avant que l’étincelle n’atteigne la dynamite. »
Walter Benjamin, Sens unique

« Interrompre le cours du monde » (Walter Benjamin). L’œuvre de Walter Benjamin recèle une giberne d’interruption. L’interruption de l’histoire, du temps linéaire, du progrès. Il déploie une politique de l’interruption. Cette politique est traversée par son messianisme révolutionnaire, reprenant la mystique juive pour retrouver une puissance révolutionnaire capable de tenter sa chance dans la conflictualité de son époque. Toute « chance révolutionnaire » est prise par un messianisme, la question n’est pas de jeter aux rebuts de l’histoire le messianisme, mais de faire exister « un messianisme sans Messie » (François Proust, L’histoire à contretemps) à la manière de Benjamin. Nous n’avons rien à attendre de ce monde, que ce soit de la Politique et de ses communicants, rien à attendre de cette machine abstraire qu’est le capital, rien attendre de ses Lumières. Nous vivons pleinement l’expérience du « défaitisme constructif » décrit par Heiner Müller, autrement dit notre tâche est d’organiser le pessimisme. Et raviver le communisme par le prolongement de ces signes déjà existants.

Chez Benjamin, le communisme correspond à un effort de remémoration. Réactivant l’image proustienne, Benjamin invoque un « tissage de ses souvenirs » (Walter Benjamin, L’image proustienne) pour remémorer au plus près de son âme la fameuse tradition des vaincus. Le communisme de la remémoration benjaminienne est un tissage de fragments historiques situé dans les expériences vécues permettant de défaire la terreur de l’ordre existant. « Car un événement vécu est fini, il est à tout le moins confiné dans la seule sphère de l’expérience vécue, tandis qu’un événement remémoré est sans limites, parce qu’il n’est qu’une clé pour tout ce qui a précédé et pour ce qui a suivi » » (Walter Benjamin, L’image proustienne). Le communisme reste un moyen sans fin, une remémoration des formes et des gestes communistes devenant un stratagème commun pour parvenir aux gestes révolutionnaires. Le monde, comme mensonge promu par cette machine abstraite, perd de son emprise à chaque moment où nous regardons derrière nous les plumes volatiles de l’histoire. Trouvant au détour de certains regards une complicité sur cette ligne d’horizon. C’est sur cette ligne qu’en fin de compte commence à s’organiser le pessimisme.

« La conscience de faire voler en éclats le continuum de l’Histoire est propre aux classes révolutionnaires dans l’instant de leur action » (Walter Benjamin, Thèse sur le concept d’histoire). L’instant révolutionnaire coïncide avec la libération de la puissance du communisme et le moment décisif de l’interruption de l’état des choses. Marx pensait que les révolutions étaient la locomotive de l’histoire mondiale. Aujourd’hui, les révolutions sont l’événement capable d’appuyer sur le « frein d’urgence » pour arrêter le train de la catastrophe. La révolution chez Benjamin est une question de sabotage. Techniquement, comme faire dérailler le train capitaliste et rendre inaudible son misérable mythe du progrès, pour ainsi répandre l’anarchie. Donc rendre possible la rédemption. Réparer les correspondances entre le monde et nos âmes. En d’autres termes, le frein d’urgence ou l’interruption est une rupture dans une situation. L’interruption consiste non seulement à arrêter ou à briser la machine, c’est rompre de telle manière qu’apparaisse ce qui se cache de vivant dans cette situation. Interrompant l’économie, le social et répandre le communisme comme véritable état d’exception.

« Que mon communisme est plus éloigné d’un “credo” que toute autre forme et de tout autre mode d’expression ; qu’il sacrifie son orthodoxie à n’être rien, d’absolument rien d’autre que l’expression de certaines expériences faites dans ma pensée et mon existence ; qu’il est une expression drastique, mais pas inféconde, de l’incapacité de la science actuelle d’offrir une place à ma pensée, de la forme économique actuelle d’offrir une place mon existence ; qu’il représente la tentative évidente et raisonnable, pour celui qui a été privé totalement ou presque de ses moyens de production, pour proclamer dans sa pensée comme dans sa vie son droit à disposer de tels moyens ; que mon communisme est tout cela bien d’autres choses encore, et en chacun rien d’autre que le moindre mal (voir la lettre de Kraus à ce propriétaire terrien qui s’exprimait sur Rosa Luxembourg) — dois-je vraiment de le dire ? » (Lettre de Benjamin à Scholem, 6 mai 1934, Correspondance Benjamin-Scholem).

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