Été 2025

La malédiction du TINA

par Adam Curtis
L’idée directrice au cœur du système politique actuel est celle de la liberté de choix. La conviction selon laquelle, si l’on applique les principes du marché libre à divers domaines de la société, les individus seront libérés de la main morte de l’État. Les besoins et désirs des individus deviennent alors le moteur principal de la société. Mais cela a conduit à un paradoxe des plus étranges. En politique aujourd’hui, nous n’avons plus aucun choix. Très simplement, There Is No Alternative (Il n’y a pas d’alternative).
Cela ne posait pas de problème tant que le système fonctionnait convenablement. Mais depuis 2008, une crise économique continue s’est installée, et le système semble de plus en plus incapable de se réformer par lui-même. On pourrait s’attendre, face à une telle crise, à l’émergence de nouvelles idées, de solutions alternatives. Or cela ne s’est pas produit.

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Connais-toi toi-même

par Emanuele Dattilo
Nietzsche disait que la maxime delphique « Connais-toi toi-même » était une phrase ironique. Peut-on vraiment se connaître soi-même ? Peut-on prescrire à une telle connaissance ? Et surtout : est-il souhaitable de se connaître soi-même ?

La connaissance de soi présuppose, comme l’ironie, une certaine duplicité : il y a le moi que je connais et le moi-même que je voudrai connaître. Exactement comme dans une phrase ironique ou auto-ironique : moi je ne suis pas le moi dont je parle et je me réjouis ainsi de montrer qu’il y a une certaine distance entre moi et ce que je dis. Mais la connaissance de soi présuppose aussi, presque toujours, une certaine méconnaissance de soi : si je désire me connaître, c’est parce que moi je suis, pour moi-même, la chose plus opaque, la plus mystérieuse et la plus obscure. Peut-être est-ce l’impératif même de me connaître moi-même qui me sépare de moi, qui me divise et me confond ?

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Pistes pour le croire (II)

par Haji
Tenir pour évident que le croire émane spontanément du cœur, comme une exigence éthique vibrant dans le plus grand comme dans le plus petit, depuis la totalité du cosmos. Bien au-delà de sa peine intime, les larmes de Chateaubriand puisent à la source d’une tristesse qui le dépasse, et qui est comme un océan de chagrin cosmique.
Depuis le cœur donc, « croire au corps » ; en tout cas si l’on souscrit à la proposition de Deleuze qui précise : « et pour cela s’adresser au corps avant les mots, avant que les choses soient nommées ». Se défier alors des mots et d’une forme de langage qui les porte ; se défier du signe-absence qui se répand partout comme une ombre sur le monde. En ce sens le nihilisme pourrait s’entendre comme la domination de l’absence sur la présence – le rien qui recouvre tout.

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Le Moyen Âge imminent

par Giorgio Agamben
Un passage du livre de Sergio Bettini, L’arte alla fine del mondo antico, décrit un monde qu’il est difficile de ne pas reconnaître comme semblable à celui que nous vivons actuellement. « Les fonctions politiques sont assumées par une bureaucratie d’État ; celle-ci se renforce et s’isole (préfigurant les cours byzantines et médiévales), tandis que les masses deviennent abstentionnistes (germe de l’anonymat populaire du Moyen Âge) ; toutefois, au sein de l’État, de nouveaux noyaux sociaux se forment autour des différentes formes d’activités (germe des corporations médiévales), et les grands domaines fonciers, devenus autarciques, annoncent l’organisation de certains grands monastères et de l’État féodal lui-même. »

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Des parcs sans fin. Notes sur une victoire

par Nigredo
Un témoignage de première main qui nous est parvenu quelques mois après la fin de la bataille pour le parc Don Bosco à Bologne.

Au parc Don Bosco, nous avons obtenu une victoire. Disons-le d’emblée, pour ne pas jouer le rôle des éternels insatisfaits ou, pire, celui de ceux qui doivent se positionner en perdants pour se sentir légitimes à faire entendre leur point de vue. Disons-le également pour désamorcer la rhétorique de la « concession » accordée par la municipalité : tant que l’on n’aura pas destitué l’administration de tout pouvoir, tout progrès apparaîtra comme une concession – du moins dans le discours du gouvernement municipal.

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Épilogue. Sur le mouvement réel qui destitue l’état de choses existant

par Alan Cruz
Désormais disponible en espagnol, Il n’y a pas de révolution malheureuse. Le communisme de la destitution offre aux lectrices et lecteurs, anciens et nouveaux, l’une des expositions les plus percutantes de cette chance révolutionnaire que nous connaissons sous le nom de puissance destituante. Huit ans après sa publication originale, il s’est consolidé comme l’un des principaux condensateurs discursifs contribuant à franchir le seuil de notre époque, manifestant la vérité non comme justification de ce monde, mais comme une force qui lui est hostile : « Le monde existant tout entier n’est-il pas privé de vérité ? Le monde tel qu’il existe n’est pas vrai » (Bloch).

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Notes préliminaires sur la révolution

par Nigredo
Dans le texte qui suit, je tenterai d’esquisser quelques lignes de recherche et de développer quelques idées encore embryonnaires sur le thème de la révolution. Celles-ci sont principalement liées à une question : l’idée de « révolution » est-elle entièrement l’enfant de la civilisation capitaliste dans sa grammaire historique, son horizon et son régime de temporalité, ou est-il possible de repenser ce concept ? Est-il possible de penser la révolution en dehors de ce qui l’a caractérisée comme un principe hégémonique moderne et donc – pour reprendre les termes de Jacques Camatte – comme une force qui s’intègre à la dynamique historique du capital comme totalité, comme un « universel » qui ne laisse plus rien (communauté, aire géographique, sphère de la vie sociale) en dehors de lui ?

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Se venger

par Jana
Lors des insurrections récentes en France, depuis les Gilets jaunes en 2018 et 2019, jusqu’aux émeutes pour Nahel de l’été 2023, un élément commun a été sciemment oublié par la gauche, y compris jusque dans les rangs des plus radicaux : l’acte de vengeance. Nous pouvons pourtant nous remémorer les différents « actes » des Gilets jaunes. Nous avons vu le Fouquet’s, le restaurant de luxe des Champs-Élysées qu’affectionnent les présidents Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, symbole du mépris et de l’humiliation infligés par les riches outrageusement riches, être brûlé le matin du 3 décembre 2018, au moment de la prise de l’Arc de Triomphe. Nous dirions : « Le fracas est l’applaudissement des choses ».

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La fin de l’Ukraine

par Giorgio Agamben
La guerre en Ukraine approche de sa conclusion qui, quelle que soit sa forme, ne pourra qu’aboutir à l’effondrement de l’« ex-République socialiste soviétique d’Ukraine » (avant laquelle un État ukrainien n’avait jamais existé – et il convient de rappeler que la Crimée, que Zelensky ne cesse de revendiquer, ne fut rattachée à la République soviétique d’Ukraine qu’en 1954 par Khrouchtchev, et qu’elle était, selon le recensement de cette année-là, peuplée à 72 % de Russes). Comme les dirigeants européens n’ont cessé de le répéter : nous serons aux côtés de l’Ukraine jusqu’à la fin. Mais cette fin ne pourra qu’impliquer également le destin de l’Europe.

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L’État et la guerre

par Giorgio Agamben
Ce que nous appelons l’État est, en dernière analyse, une machine destinée à faire la guerre, et tôt ou tard cette vocation constitutive finit par se manifester au-delà de tous les objectifs plus ou moins édifiants qu’il peut se donner pour justifier son existence. Cela est aujourd’hui particulièrement manifeste. Netanyahou, Zelensky, les gouvernements européens poursuivent à tout prix une politique de guerre dont on peut certes identifier les objectifs et les justifications, mais dont le ressort ultime est inconscient et réside dans la nature même de l’État en tant que machine de guerre.

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L’échiquier multipolaire. Sur l’économie politique de la guerre mondiale actuelle.

par des amis transalpins
Même si de nombreux contemporains veulent encore fermer les yeux sur cette nouvelle réalité, le monde avance chaque jour en rampant sur la voie d’une nouvelle guerre mondiale. Certains conservateurs, dont la profession consiste à préserver le statu quo et qui se vantent donc de réalisme, sont exceptionnellement un peu plus avancés. L’historien Niall Ferguson, par exemple, qui est marié à la convertie Ayaan Hirsi Ali et s’est fait un nom avec des livres révisionnistes sur les avantages de l’oppression coloniale de l’Empire britannique, conçoit le désordre mondial actuel comme une nouvelle guerre froide.

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Gaza et Auschwitz. Une perspective juive

par Menachem Teitelbaum
D’accord, très bien. Gaza est le nouvel Auschwitz, les Israéliens sont les nouveaux nazis, l’étoile de David équivaut à la swastika. Bien sûr, cela fait tellement longtemps qu’on l’entend, que cela ne choque plus personne, à part quelques bien-pensants sionistes, inquiets de l’éternel antisémitisme, toujours prêt à ressurgir. Pourtant. Je ne m’intéresse pas à savoir si ceux qui le disent sont antisémites ou non. Ni même à ce que cette identification Gaza-Auschwitz soit reconnue institutionnellement par Giorgia Meloni, Emmanuel Macron ou le Parlement européen, comme si ces lieux représentaient la conscience politique ultime, le lieu de la vérité. Est-il nécessaire de dire que ce n’est pas le cas ? Il me semble cependant que des mots comme nazisme, antisémitisme, Troisième Reich sont souvent vagues et imprécis. Et je voudrais aussi ajouter : juifs.

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Le renversement des évidences

Édito
Son petit capital politique, cette certitude fondamentale, ce réconfort sénile dans lequel chacun puise assez d’espoir pour persévérer sans réussite. Les scrupules s’évanouissent au gré des trahisons envers les évidences d’antan. Tel est le prix à payer pour consoler son désir d’être du bon côté. Dans cette accumulation d’erreurs s’attache une peur viscérale, celle que la politique devient le refuge d’un retour plus ou moins étonnant d’être de gauche. Heureusement que gît près de leurs pieds la dépouille de l’autonomie, il s’agit là de la garantie minimale de se couvrir de la perte effective de toute intelligence. Les remords se consolident dans un déni généralisé. Aucun pardon possible, comme le dit un ami : « seul Dieu pardonne ». Le cynisme devient la seule façon de sauver les apparences devant les malvoyants éthiques.

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