« Oui, il y a un paradoxe dans l’histoire de l’État moderne. C’est au moment même où l’État a commencé à se préoccuper de la santé physique et mentale de chaque individu qu’il a commencé à pratiquer ses plus grands massacres. »
Michel Foucault, Foucault étudie la raison d’État, dans Dits et écrits IV
Dans la civilisation de la maladie, la santé à une place déterminante dans le bon fonctionnement de la gouvernance. La santé est une condition nécessaire au pouvoir pour se maintenir. Dans tout l’arsenal de dispositifs policiers et sociaux que met en place l’appareil d’État, la santé publique nous intéresse ici tout particulièrement. Car, elle coïncide avec les sordides guerres nationales. Comme nous le dit Michel Foucault : « À la même époque, la Révolution française donne le signal des grandes guerres nationales de notre temps, qui mettent en jeu des armées nationales et s’achèvent, ou trouvent leur apogée, dans d’immenses boucheries collectives. On peut observer, je crois, un phénomène semblable au cours de la Seconde Guerre mondiale. On aurait peine à trouver dans toute l’histoire boucherie comparable à celle de la Seconde Guerre mondiale, et c’est précisément à cette période, à cette époque que furent mis en chantier les grands programmes de protection sociale, de santé publique et d’assistance médicale. C’est à cette même époque que fut, sinon conçu, du moins publié le plan Beveridge. On pourrait résumer par un slogan cette coïncidence : allez donc vous faire massacrer, nous vous promettons une vie longue et agréable. L’assurance-vie va de pair avec un ordre de mort »1. Le droit à la santé s’accompagne du devoir de se faire massacrer. L’objet principal de la santé publique est la maîtrise de la pleine présence du désordre. Maintenir l’ordre public et la sécurité civile, c’est-à-dire « défendre la société ». C’est le devoir de tout bon citoyen que sa santé particulière correspond à la santé de la société. On le voit encore aujourd’hui, les militants anticapitalistes et antiétatistes sont de bons citoyens prompts à défendre coûte que coûte la société, et donc l’État. L’altruisme que déclament les militants est le même altruisme qu’implique l’obligation chère à la santé publique. Autrement dit, c’est le gouvernement de soi et des autres. Tout est à gouverner, même la mort. Harari et son Homo deus, nous explique que les milieux scientifiques considèrent qu’un être vivant est « assemblage d’algorithmes organiques façonnés par la sélection naturelle au fil des millions d’années d’existence » et que pour « les modernes, la mort est plutôt un problème technique que nous pouvons et devons résoudre ». Car il est bien connu que toute mort est à la fois la conséquence d’un problème technique, ainsi qu’un crime. Comme l’affirme Harari : « la mort est un crime contre l’humanité. Nous devons mener contre elle une guerre totale ». Cette vieille guerre continue de s’intensifier, de liquider la vie liquide, la mort et le communisme. Ce qui compte pour le parti adversaire est que la vie ne soit qu’une donnée calculable et gérable. Il y a ceux qui gouvernent et qui pourront s’offrir l’immortalité et ceux qui sont gouvernés et qui offrent leurs vies en sacrifice. La potentielle extinction d’une partie de l’humanité n’est plus une potentialité, elle est un saut qualitatif dans le projet occidental.
Entêtement
1 Michel Foucault, La technologie politique des individus, dans Dits et écrits IV.