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La sound science et la Covid. Réponse à un article anticomplotiste.

Où l’on découvrira comment la rhétorique anticomplotiste appartient à une véritable tradition de propagandistes : la sound science. Et comment cette propagande a pu irriguer tant de sphères intellectuelles en apparence si opposées. Petit exercice explicatif en réponse à un article de L’empaillé. Cette réponse a été refusée par sa rédaction.

L’empaillé était pour moi jusqu’à récemment cet objet dont on sentait ferveur de fabrication sur tous les étals et autres zincs sur lesquels on pouvait le trouver, avec surprise parfois. Un journal qui me touchait par sa détermination et qui faisait l’objet de débats ou de désaccords, dans les lieux physiques avec de vraies gens. Un journal papier imprimé à 17 000 exemplaires et diffusé dans toute l’Occitanie, ça a de la tenue et ça fait lien. Un journal dans lequel nous avions écrit à maintes reprises nos raisons et nos passions à l’Amassada de Saint-Victor1 pour ne pas nous laisser bouffer par le monstre de la transition énergétique. Un journal qui tisse une réalité en luttes, au gré des bassins-versants de la Garonne et de ses ronds-points.

Et puis j’y ai lu aussi le pouvoir, et j’ai été déçu. Mais les belles choses en ces temps dépressifs sont tellement rares, qu’il faut s’accrocher, apporter de l’eau sereine dans les moulins des idées, interroger, convaincre peut-être. Ceci est donc un contre-argumentaire à l’article « Complotisme, balade en terres confuses, voyage en Occitanie “post-vérité” », paru dans le numéro 8 (hiver 2023) et signé par la Coordination unitaire 09 contre les idées d’extrême droite. Cet article pose comme point de départ une inflation de « rumeurs virales » par « détournement de faits divers pour les réorienter vers des idéologies d’extrême droite ». Il se propose donc de nous emmener dans un voyage qui débute dans le Rouergue « où l’ancien homéopathe Olivier Soulier aurait accueilli des membres de “Reinfo Covid” » (le contenu provient d’un article de La Dépêche2), pour se poursuivre dans les Pyrénées-Orientales avec « le sectaire » Thierry Casasnovas, la Haute-Garonne avec des « éveillé.es », etc. Hormis Réinfo Covid et son Conseil scientifique indépendant, je ne sais pas exactement qui sont tous ces gens qui se trouvent pris dans le grand filet de « la complosphère », mais je sais en revanche de quels types d’objectifs politiques participe ce propos.

Un sens méticuleux de l’invertion

Arrêtons-nous d’abord sur le point de vue qui semble être celui de cette Coordination au travers de son article. « Le voyage en Occitanie “post-vérité” » attribue le mot d’ordre du « Grand Reset » (sic) au complotisme, ce qui est pour le moins étrange. Car les auteurs du livre Covid-19 : La grande réinitialisation3 sont Klaus Schwab, ingénieur et économiste allemand, fondateur en 1971 du Forum économique mondial de Davos, et Thierry Malleret, également membre dudit forum et directeur de Monthly Barometer, un service d’analyse prédictive dédié aux décideurs et investisseurs internationaux. Le Forum économique mondial, pour celles et ceux qui l’ignoreraient, c’est l’instance annuelle de redéfinition des grandes lignes néolibérales, une vitrine tout à fait publique, très prolifique en publications et conférences. Autre imbroglio dans « l’histoire des idées politiques » à laquelle aspire la Coordination : une commerçante ariégeoise refusant de porter le masque face à des flics est affiliée à « une posture de la droite libertarienne, c’est-à-dire ultralibérale, qui rejette toute contrainte administrative et organisation sociale ». Puisqu’il faut rappeler des évidences, on parle habituellement de droite libertarienne, non pas pour qualifier une personne révoltée, mais à propos d’un courant de pensée émanant de capitalistes qui entendent rejeter toute contrainte pour faire plus de pognon. Politiquement, cela donne un mépris de classe totalement hors normes. Pour être clair, prenons l’exemple limite de Laurent Alexandre, médecin entrepreneur transhumaniste, figure médiatique de la droite libertarienne en France. Celui-ci évoquait en 2018 les Gilets jaunes en termes « d’êtres substituables » et « inutiles » en conférence devant des étudiants de Polytechnique qualifiés eux de « dieux »4. On peut dire que la Coordination unitaire 09 contre les idées d’extrême droite a un sens méticuleux de l’inversion. Ces inversions sont très graves, car elles constituent une précieuse négation de la domination néolibérale. Cette Coordination peut dès lors gloser sur la « désinformation », les « faits alternatifs » et « les émotions », elle vient purement et simplement d’inverser la réalité.

Une imagination d’avant-garde

Il faut faire preuve d’une imagination d’avant-garde pour commencer « Complotisme, balade en terres confuses » par « l’absence de déontologie journalistique » et pour débiter autant de mensonges. Et « mensonge » est un terme bien faible. Si Réinfo Covid a été créé et animé notamment par Louis Fouché – à suivre par exemple les 87 conférences (au 19/01/23) de son Conseil scientifique indépendant (CSI) –, on peut dire que c’est une belle œuvre d’intelligence collective qui a émergé là. Pour moi qui ai écouté au moins la moitié de ces conférences, sans adhérer à tous les discours5, je peux vous dire que la Coordination qui assimile unilatéralement Réinfo Covid à la droite catholique ou « dure » produit du faux au cube. Dans un scandale sanitaire d’une ampleur inégalée, les positions politiques gauche-droite ne disent rien de l’intégrité des acteurs. Leur point de vue politique est certes parfois naïf, mais il se forge dans la rencontre et dans le conflit par politisation de la médecine. En quoi leurs griefs contre les modélisations du coronavirus ou contre une e-médecine déshumanisée seraient-ils différents des points de vue développés dans cet Empaillé n° 8 sur l’explosion d’AZE, les bassines et l’agrivoltaïsme ? En quoi la menace virale que l’on nous a si savamment présentée est-elle différente de la menace terroriste ? Quant aux affiches en 4 par 3 collées à Toulouse par le syndicat Réinfo Liberté, il s’agit d’une belle action d’éclat sur les effets indésirables des vaccins et non d’« affiches mensongères6 ».
Au lieu d’enfermer des personnes dans d’affreuses catégories, écoutons-les plutôt, c’est, je crois, le moindre des principes d’un journalisme intègre. Faire ce travail de restitution ici serait bien trop long, mais pour semer le doute, je ne peux que renvoyer à La Doxa du Covid7 du sociologue Laurent Mucchielli. Cet ouvrage comprend de nombreuses contributions d’universitaires, dont certains sont aussi des membres actifs du CSI, tout comme Laurent Mucchielli lui-même. L’équipe de L’empaillé, qui connaît bien ce sociologue pour ses travaux sur l’extrême droite, les violences policières, la vidéosurveillance, devrait comprendre combien il est complètement fou de le qualifier « de droite dure » comme le fait l’article de la Coordination. La même analyse vaut pour d’autres assidus du CSI. De droite ? Michèle Rivasi, eurodéputée verte qui combat à sa façon depuis trente-cinq ans le nucléaire, les OGM, la prolifération des antennes, et qui exige que la lumière soit faite sur les contrats passés entre la Commission européenne et Pfizer ? De droite ? Christian Vélot, spécialiste de la génétique moléculaire qui informe les mouvements de faucheurs volontaires depuis vingt ans, soutien de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Qu’est-ce que la Sound science?

La véritable question est donc : comment ce type d’anathèmes jetés sur des gens pourtant connus comme des intellectuels opposés au système militaro-industriel peut-il se retrouver dans un journal de « critique sociale » comme L’empaillé ? Pour aller plus loin dans la réponse, dans ce genre de cas, il faut souvent aller voir les notes de bas de page. A contrario des autres textes publiés dans ce numéro, ce « voyage en Occitanie » ne donne pas la parole à des gens concrets, acteurs de terrain et de luttes. Après analyse, on se rend compte que la quasi-totalité de l’article est construite autour des contenus de Debunkersdehoax (cité trois fois), du Blogextracteur.com (cité une fois), et d’autre part du fil Twitter Antifouchiste (cité une fois). Traitons d’abord des deux premiers, car leur prétention à dire la bonne science sanitaire opposée à des pseudo-sciences (de la « complosphère et de la fachosphère ») est assez évidente à positionner. Les discours de debunkers (démystificateurs) et de fact-checkers s’étant multipliés de manière exponentielle ces dernières années, leurs attaques violentes en meute sur Twitter ou dans la presse contre toutes les personnes8 osant dénoncer les dégâts du système industriel (pesticides, énergies fossiles, nucléaire, etc.) ont contribué à ce que ce type de discours fasse déjà l’objet de différentes publications critiques depuis 20199. Ces profils sont évidemment la plupart du temps ceux de lobbyistes industriels dans toutes leurs variantes : scientifiques corrompus, propagandistes, ingénieurs ou journalistes plus ou moins affiliés ou carrément sous contrats avec les pollueurs. Leur fonction est d’appuyer dans l’opinion publique les stratégies du doute développées par les industriels pour que jamais les controverses n’aboutissent à ce que leurs produits soient interdits. Ils disent en gros toujours la même chose sur n’importe quel sujet, ils sont proglyphosates, pronucléaires et militent pour l’augmentation technologique de l’humain, comme Laurent Alexandre cité plus haut. Les effets de la pollution chimique ou les effets indésirables des produits pharmaceutiques sont toujours réfutés de facto comme émanant de personnes irrationnelles ou hystériques. Ils défendent bec et ongles la seule rationalité qui vaille à leurs yeux, la rationalité industrielle, celle d’un monde de « faits » reproductibles et standardisés. Aux États-Unis, ce genre de discours sur la bonne science industrielle, la sound science, est né dans le secteur privé.

Une bonne science industrielle de gauche

Un des spécialistes du sujet, Sylvain Laurens, apporte cependant une précision historique importante : « Là où la sound science […] est portée aux États-Unis par les firmes du tabac, la particularité française de ce retournement dans l’argumentation est qu’il a lien depuis le secteur public de la recherche […]10. » Les fondateurs des deux grandes officines françaises actuelles de ce type de discours sont des militants « de gauche ». L’Afis (Association française pour l’information scientifique) est fondée à la fin des années soixante par Michel Rouzé, qui a un long parcours : militant libertaire dans les années trente (son épouse meurt en 1936 sur le front antifranquiste), journaliste engagé dans les révélations des massacres de Sétif, etc. Celui qui fonde la zététique dans les années 1980, Henri Broch, est de son côté issu d’une tradition PCF – Parti communiste français. La précision est en effet importante, sinon on ne comprend pas comment ce type de discours peut se retrouver dans L’empaillé. Il y a bien une sound science de gauche en France émanant de gens ordinaires, et c’est une continuité historique qui a lieu depuis les années soixante. Cette sound science de gauche est d’abord issue d’un conflit ouvert aux alentours de 1968 entre militants écologistes et marxistes sur le rôle émancipateur de l’industrie. Les premiers penchent vers une critique radicale de la civilisation industrielle, les seconds trouvent, après une certaine errance rationaliste, un nouvel ennemi dans les charlatans et les pseudosciences. Pour en finir avec ce point théorique, l’Afis et les zététiciens sont deux groupes totalement poreux11 », le collectif NoFakeMed est en quelque sorte la synthèse de cette porosité dans le domaine médical. Les membres du conseil scientifique de l’Afis ont ces dernières années complètement forcé les portes des institutions : le sociologue Gérald Bronner, sans doute la personnalise la plus connue de cette association12, a par exemple été chargé par Emmanuel Macron de mener une commission nommée Les Lumières à l’ère numérique « pour penser l’espace de débat commun de notre démocratie13 », ses tribunes contre Laurent Mucchielli ont été publiées par Le Monde14. La zététique est souvent perçue comme une méthode de vulgarisation scientifique, de décryptage des fake news et des phénomènes paranormaux, « une hygiène quotidienne du doute », disent Andreotti et Noûs dans « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme15 ». Et c’est pour cela que nombre de gens critiques en ont une appréciation positive. Pourtant, dans l’ouvrage de Sylvain Laurens, les interviews d’Henri Broch, le fondateur, disent très franchement qu’il s’agit bien d’abord d’une méthode pour casser les luttes dont le premier procédé est une manière de prendre des écologistes, des opposants aux lignes très haute tension ou des scientifiques en sandwich entre des platistes et les phénomènes paranormaux.

Le sandwich : un procédé qui fonctionne à merveille

Quand on parcourt les écrits de Debunkersdehoax et du Blogextracteur.com, et l’article incriminé de L’empaillé, il est évident que le procédé du sandwich fonctionne à merveille. Les manifestants contre le pass sanitaire ou le Conseil scientifique indépendant sont traités de manière contiguë avec les antisémites type Soral, les QAnon dénonçant le complot pédosataniste, etc. Debunkersdehoax et le Blogextracteur.com sont une des mille variantes de cette culture zététique. Debunkersdehoax, si l’on se réfère à son site, est une association de citoyens critiques qui affirme précéder les services de fact-checking du Monde et de Libération, mais être en accord idéologique avec ces derniers. Ils se présentent comme des « démolisseurs de rumeurs », rumeurs qui sont visiblement l’apanage des « mythomanes patentés de la fachosphère ». Quant au Blogextracteur.com, le discours est de la même teneur antifasciste, mais il semble que ce soit plutôt à une nouvelle variété de repentis que l’on ait affaire : les repentis des pseudo-sciences. Un des membres du groupe situe son nouveau point de vue sound science par détachement d’un « gourou crudivore ». Leur particularité, c’est d’émaner d’un espace très positif : leurs vidéos contre les charlatans montrent des jeunes qui parlent depuis un site de permaculture.

La sound science zéro Covid solidaire

Depuis trois ans, on peut dire que la doxa du Covid a confirmé la thèse défendue tout au long de l’enquête de Foucart, Horel et Laurens16, et que l’on peut résumer comme suit : si la répétition des attaques menées de manière grégaire est importante dans la stratégie, une diversité des locuteurs dans la répétition est plus que nécessaire. Les attaques contre les scientifiques critiques ont émané tant des milieux du pouvoir économique, que d’une sound science de gauche désintéressée. Avec la référence de la Coordination au fil Twitter Antifouchiste, on touche à l’extrême raffinement de cette diversité.
Comme tout fil Twitter bégaie un langage relativement dégradé et illisible, il faut se référer au collectif Cabrioles pour y comprendre quelque chose17. C’est bien cette source-là qui va amplifier et disséminer les calomnies contre Louis Fouché que l’on retrouve notamment dans l’article de L’empaillé. Derrière le jeu des pseudos et de l’anonymat militant, c’est aussi Cabrioles qui revendique sur son blog la paternité de « Louis Fouché, gourou d’une pépinière d’extrême droite » paru sur lundimatin18. Louis Fouché s’étant défendu lui-même contre ce type d’attaque19 continuons de décrypter la construction du phénomène sound science depuis le point de vue de Cabrioles.
Le discours de Cabrioles est bien analysé dans « L’autodéfense sanitaire, une biopolitique mineure20 » qui développe le côté d’avant-garde réactionnaire de ce phénomène inconsistant. En effet, le communisme du soin revendiqué par Cabrioles est un zéro Covid solidaire au nom des pauvres, sans l’autoritarisme chinois donc, mais avec les moyens biopolitiques. Une biopolitique qui se veut positive, la variante étant maigre : les masques y seraient « autoréduits », les vaccins « sans brevets », les confinements « autogérés », quant au traçage, « plutôt que [d’être effectué] par des mouchards technologiques, ce suivi des cas pourrait être effectué par des équipes d’arpentage épidémiologique mobiles qui prendraient en charge les tests ainsi qu’un véritable travail d’information et de prévention21 ».

Sous le choc de la propagande sanitaire

Pour moi qui connais personnellement la tête pensante de ce collectif, il est évident qu’il n’y a pas eu l’ombre d’une réalisation de ces objectifs délirants. Les seuls actes qui furent commis relevaient de la haine et de la calomnie. Cabrioles s’est en effet rendu notoire localement par ses tentatives de sabotage de manifestations contre le pass sanitaire22. Mais l’essentiel n’est pas là, ce qui est symptomatique avec Cabrioles, c’est que la sound science déployée pendant la séquence Covid s’est d’abord exercée contre ses meilleures intuitions, comme beaucoup de gens qui se pensaient comme des critiques du système. Ainsi, quand le fil Twitter de Cabrioles est mobilisé par la Coordination dans l’article de L’empaillé, c’est pour soutenir que Louis Fouché, « tout en séduisant le camp progressiste, […] a noué des relations durables avec des conservateurs extrémistes […] ». Or, Cabrioles, avant de s’intéresser au Covid et de sombrer dans cette dichotomie progressistes/conservateurs, avait signé un très bon article : « Le retour à la terre des bétonneurs23 » qui revendique l’héritage d’Ivan Illich. Ce dernier étant sans doute le plus grand pourfendeur de l’idée de progrès dans tous les domaines de la vie quotidienne, y compris celui de la médecine24. Cabrioles est donc un des nombreux cas de sound science tardive, adoptée sous le choc de la propagande sanitaire au cours de l’année 2020. Il suffit d’analyser la bibliographie de son premier texte sur le « covido-négationnisme » pour le comprendre. Dans « AntiCovid tu perds ton sang-froid – Notes sur la confusion25 », la référence « scientifique » du texte est le collectif Du côté de la science. Un collectif, cela paraît sympathique et désintéressé !

Mais derrière ce nom ronflant, on trouve Christian Lehmann, Jérôme Marty et Nathan Peiffer-Smadja. Les deux premiers garantissent le côté médecin généraliste engagé, blogueur et influenceur pour le premier, syndicaliste pour le deuxième, le troisième est un jeune infectiologue. Or, ce Nathan Peiffer-Smadia est une figure emblématique de la sound science pendant la séquence Covid-19. Avant de finir en influenceur provaccination des Nations unies26, il est d’abord le bras droit de Yazdan Yazdanpanah, l’homme fort du Conseil scientifique gouvernemental27, un de ses membres les plus chargés de conflits d’intérêts. Nathan Peiffer-Smadia est aussi l’auteur avec Yazdan Yazdampanah de multiples articles dans le magazine de l’Afis Sciences et pseudo-sciences, dont un article apologétique sur les vaccins à ARNm. Il est donc très clairement affilié à la mouvance Afis/zététique. Le « discours clair et fondé scientifiquement28 » auquel aspire Cabrioles se crée bien, dès son premier texte, au contact de la sound science. Les références journalistiques de sa bibliographie ne font que confirmer cette influence. Tous les mensonges des médias (Mediapart, Marsactu, Libération, Le Monde, France Culture) mobilisés par Cabrioles sont détaillés par Laurent Mucchielli dans son chapitre 16 « La crise sanitaire a révélé l’inquiétant déclin du journalisme29 ». Laurent Mucchielli précise bien que « les journalistes dits “scientifiques” [ont] rapidement été soumis à la pression des influenceurs type NoFakeMed30 ». On peut assister au travers des différents éléments de cette bibliographie à un incessant aller et retour entre Christian Lehmann (Du côté de la science/Libération), Usul (youtubeur de Mediapart) et Schneidermann, du média Arrêt sur images. Ce dernier support – quand même issu de la critique bourdieusienne des médias (!) – détenant la palme en invitant

Defakator et Jérémy Descoux du collectif NoFakeMed31. Ces deux zététiciens, tout en avouant ne pas être épidémiologistes, se présentent comme des spécialistes pour débusquer la désinformation ; c’est avec ce seul bagage « scientifique » qu’ils prétendent invalider Didier Raoult. Il faut attendre les deux dernières minutes pour qu’un des deux journalistes fasse timidement remarquer qu’ils sont épinglés par l’article d’Andreotti et Noûs comme compromis avec l’industrie.

La fable du covido-négationnisme

Les négationnistes de Cabrioles sont en novembre 2020 les « douteux scientifiques » : Raoult, Toubiana, Toussaint, Perronne qui prétendent que le Covid-19 se soigne, veulent, in fine, faire mourir des pauvres. En juin 2021, Cabrioles rajoutera à ce quatuor Louis Fouché et Alexandra Henrion-Caude. Ce sont des « rassuristes » qui parcourent les médias d’extrême droite en proférant « que le Covid ne tue que les vieux et quelques idiots qui ont eu la mauvaise idée d’avoir un diabète, une insuffisance rénale ou un cancer, rien que du surnuméraire donc, que l’absence de confinement n’aurait rien changé, et que le gouvernement travaille main dans la main avec les lobbys pharmaceutiques […] ». Dans son monde renversé, Cabrioles convoque donc le climato-négationnisme avec Bolsonaro et ses latifundistes qui brûlent et tuent des Indiens pour conquérir de nouvelles terres comme imaginaire repoussoir. Ces éléments sont directement tirés des élucubrations de Christian Lehmann et autres journalistes sur les liens entre Didier Raoult et Bolsonaro.

Ici, on voit très bien que l’anticomplotisme de Cabrioles est un complotisme. Notons que dans le texte paru sur Jef Klak en janvier 202232. Cabrioles ne cite plus Du côté de la science, sa fable négationniste tente de s’appuyer sur des bases plus universitaires (Johann Chapoutot) ou militantes (Zetkin Collective).

Démissions intellectuelles

Dans cette espèce de tragicomédie scientifico-politique, il faut qua même noter comme circonstance atténuante pour les derniers locuteurs qui répètent la fable – en l’occurrence L’empaillé – que tout cela ne se pas advenu si les universitaire et journalistes spécialistes de ces sujets avaient parlé dès le début. Prenons par exemple l’équipe autrice du livre Les Gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique. Ces deux journalistes du Monde, Stéphane Foucart et Stéphane Horel, et le sociologue Sylvain Laurens savaient parfaitement quels étaient les acteurs et les procédés. Du côté des acteurs, ils savaient très bien qui étaient, entre autres, Mathieu Rebeaud et Anthony Gui-hur puisqu’ils font partie de leurs trolls et qu’ils les ont interrogés longuement dans une approche sociologique33. Il se trouve que ces deux-là sont notamment les signataires avec Nathan Peiffer-Smadja de l’étude bidon de Fiolet et collaborateurs sur l’hydroxychloroquine et autres ignominies contre Didier Raoult34.
Du côté des procédés, la méthode zététicienne a été décrite dans l’ouvrage cité de Sylvain Laurens. Mais on peut aussi bien sûr mentionner les procédés d’affabulation. En changeant quelques termes, ce que Foucart et Cie disent de Roger Bate, le conseiller que Philippe Morris a payé grassement pour porter le fer contre le principe de précaution, ne peut-il pas s’appliquer à la fable du covido-négationnisme ? « En clair, Roger Bate prend acte de ce que, parmi les environnementalistes (les

opposants”), certains sont sensibles à la question des relations entre pays du Nord et du Sud. Il s’agit en particulier d’insuffler l’idée que les mesures imposées aux pays pauvres par les puissances occidentales sont en réalité néfastes et portent des relents de colonialisme. Il entend exploiter cette fracture potentielle au sein du camp environnementaliste pour diviser les “opposants”35. »

Pour conclure

La seule vérité que l’on puisse reconnaître à tous les debunkers qui ont rendu possible « le voyage en Occitanie “post-vérité” » comme tant d’autres articles du genre, c’est que les opposants à la folie sanitaire se sont bien exprimés dans des médias que l’on n’avait pas l’habitude de prendre comme référence pour soutenir des luttes. Mais ils omettent d’analyser le processus par lequel cette polarisation est advenue, puisqu’ils en sont les acteurs principaux. L’expression des opposants dans des médias relevant notamment d’une droite antimondialiste/nationaliste est une conséquence directe de la censure par les médias dits sérieux ou indépendants sous la pression de la sound science, de l’État et des GAFAM.
Il est impossible de s’opposer à un système politique arrivé à ce point de perversité et de concentration du pouvoir sans s’interroger sur des pans entiers de notre culture, quitte à trouver tout à coup saugrenues quelques grilles de lecture qu’on se découvre partager avec lui. Le Manifeste conspirationniste36 s’est livré avec justesse à cette archéologie. Il relève notamment que « l’inventeur de la rhétorique anticonspirationniste est Karl Popper avec La Société ouverte et ses ennemis en 1945. Deux ans plus tard, il fondait avec son ami Friedrich von Hayek, qui lui avait trouvé un poste à la London School of Economics, la conspiration la plus réussie de la seconde partie du XXe siècle : la Société du Mont-Pèlerin […] Il aura fallu une société singulièrement fermée pour imposer à tous la “société ouverte ». La rhétorique anticonspirationniste sert, en fait, depuis sa naissance à couvrir une intense activité conspirative. Elle s’apparente à la tactique du déni du changement climatique par les multinationales pétrolières, qui savent ce qu’il en est depuis les années 1960. Cela sèche l’adversaire, le laisse sans voix, lui dérobe le sol commun sous les pieds. La grossièreté du procédé désarçonne par la mise en cause quasi punk de ce qui est pourtant une évidence sensible, en plus d’être un fait établi. Celui qui la dégaine gagne ainsi le temps de mener à leur terme les opérations en cours, et celui d’aviser pour la suite. Il met ce monde à l’abri de toute critique, dresse un écran de fumée et prépare le terrain à ses opérations futures. L’accusation de conspirationnisme est le gardien du mensonge effronté. »

Guillaume Delaite

1 Sur ce sujet, lire notamment « Nous reprendrons la Plaine. Ou comment la transition énergétique détruit la planète ! ». https://lundi.am/Nous-reprendrons-la-Plaine

2 https://www.ladepeche.fr/2021/12/13/ saint-cyprien-nouveau-refuge-pour-
complotstes-9989145.php

3 Schwab Klaus, Malleret Thierry, Covid-19 : La grande réinitialisation, Forum Publishing. septembre 2020.

4 https://blogs.mediapart.fr/regis-portalez/blog/021219/aurent-alexandre-un-gorafisme-au-carrel_fin2

5 Je n’adhère pas en particulier au discours de Michel Maffesoli. En revanche, entre autres intervenants, Hélène Banoun, Emmanuelle Darles, Vincent Pavan, Jean-Dominique Michel, Pierre Challot, Jérôme Munlangy ouvrent des espaces de réflexion très intéressants. https://reinfocovid.fr/type de_video/cal/

6 https:/reinfocovid.fr/type_de_video/csi,Vincent Pavan, CSI n° 68, 25/08/2022 (seconde moitié).

7 Mucchieli Laurent, La Doxa du Covid, tome 1 : Peur, santé, corruption et démocratie ; tome 2 : Enquête sur la gestion politico-sanitaire de la crise du Covid, Éditions Éolienne, 2021.

8 L’eurodéputée Michèle Rivasi, la journaliste Marte Monique Robin ou le biologiste Gilles-Éric Séralini sont par exemple la proie de ces attaques depuis bien longtemps.

9 Larena Sylvaln, Militer pour la science, éditions EHESS, 2019 ; Andreoti Bruno, Noûs Camille, « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme, renouer avec l’éthique de la disputatio et le savoir comme horizon commun », Zilsel n° 7, juin 2020, p. 15-53 https://www.cairn.info/revue-zilsel-2020.2 page-15.html ; Foucart Stéphane, Horel Stéphane, Laurens Sylvain, Les Gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique, Éditions La Découverte, 2020.

10 Laurens S., Militer pour la science, op. cit., p. 171.

11 Pour comprendre politiquement ce qui se trame avec ces influenceurs, on peut se reporter à la section « Les raffinements contemporains de la propagande industrielle » de Matthieu Amlech, in L’Industrie du complotisme : réseaux sociaux, mensonges d’État et destruction du vivant, Éditions La Lenteur, 2023, p. 90.

12 Pour situer cet étrange sociologue et ses liens très fournis avec les milieux industriels, voir Foucart S., Horel S., Laurens S., Les Gardiens de la raison, op. cit., p. 297.

13 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/29/les-lumieres-a-lere-numerique-lancement-de-la-commission-bronner

14 https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/19/vaccination-contre-le-covid-19-la-sociologie-ne consiste-pas-a-manipuler-des-don

15 Andreotti B., Noûs C., « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme », op. cit.

16 Foucart S., Horel S., Laurens S., Les Gardiens de la raison, op. cit.

17 https://cabrioles.substack.com

18 https://lundi.am/Louis-Fouche-medecin-fasciste-malgre-lui

19 https://www.covidhub.ch/louls-fouche-repond/ et pour la vidéo https://www.youtube.com/
watch?v=v1508B01-Us

20 https://entetement.com/lautodefense-sanitaire-une-biopolitique-mineure/

21 https://www.jefklak.org/face-a-la-pandemle-le-camp-des-luttes-dolt-sortir-du-deni

22 Voir https://www.iberation.fr/societe/pass-
vaccinal-dans-un-cafe-associatif-de-laveyron-si-on-ferme-ce-lileu-il-nous-reste-quol-20220123_
NOSP4LPJ65EPJCI6SHOTL.55MM4/. Dans cet article, Cabrioles va, interviewé par un journaliste de Libération, produire ce magnifique fake :

« « L’équivalent de la population d’un villagede mille habitants disparait tous les quatre jours en France », rappelle le collectif Cabrioles ». Un village de 1 000 personnes âgées de 83 ans…

23 https://www.terrestres.org/2020/11/02/le-retour-a-la-terre-des-betonneurs/

24 Illich Ivan, Némésis médicale – L’expropriation de la santé, Seuil, 1975.

25 Cet article est d’abord diffusé en novembre 2020 au format papier dans le sud de l’Aveyron, il sera publié en novembre 2021 sur le Net : https://
parisluttes.info/anticovid-tu-perds-ton-sang-froid-15475

26 https://www.lamontagne.fr/paris-75000/actualites/nathan-peiffer-smadja-l-infectiologue-de-l-hopital-
bichat-qui-lutte-aussi-contre-les-fake-news_13888658

27 Interview de Laurent Mucchielli, « La Doxa de la Covid. Plongée au cœur de la corruption », Nexus 
2022, n° 142, р. 20-21.

28 https://www.jefklak.org/face-a-la-pandemie-la-camp-des-luttes-doit-sortir-du-deni

29 Mucchielli Laurent, La Doxa du Covid, tome 2, op. cit., p. 239.

30 Idem, p. 250.

31 https://www.arretsurimages.net/emissions/
arret-sur-images/epidemie-les-conditions-de-la-desinformation-etaient-reunies

32 https://www.jetklak.org/face-a-la-pandemie-la-camp-des-luttes-doit-sortir-du-deni

33 Foucart S., Horel S., Laurens S., Les Gardiens de la raison, op. cit., p. 130-140.

34 https://www.francesoir.fr/soclete-faits-divers/
la-harcelosphere-contre-lihu-mediterranee-et-le-professeur-raoult-de-lobscene

35 Foucart S., Horel S., Laurens S., Les Gardiens de la raison, op. cit., p. 76.

36 Anonyme, Manifeste conspirationniste, Éditions du Seuil, janvier 2022.

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