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Bifurcation dans la civilisation du capital II.

– Critique de l’écologie politique –

« 87. Concentre-toi, tu seras la valeur. Mais puisque tu devras être sa réalisation, il faut qu’en toi se reproduise sa vocation pour les métamorphoses, il faut que tu te reproduises en tant que série de figures. La circulation aura en toi tous ses moments “significatifs” : significatif de ce quelque chose qui permet à la valeur de resplendir sans équivoque dans le règne de l’équivoque, et de se répandre tout de suite après, pour laisser la place à de nouvelles apparitions. Concentre-toi, mais dans les débris, dans la fragmentation, dans l’épiphanie. Comme le marché s’est fragmenté en une myriade de confections “prêt-à-porter”, de rations en boîtes, de chargeurs, de parfums en sachets, de cosmétiques pour chaque maquillage de la journée, de sprays désodorisant et parfumant, de saveurs du monde entier réuni dans l’odeur unique du fer blanc, et qu’il a exposé ainsi en une marée de rebuts, qui sans même être la dépouille biodégradable d’un plaisir réellement pris, est le cadavre identique de ce qu’il n’a pas été, l’essence réelle de la consommation, le vide dans lequel se tient et persiste le mensonge stupide d’un contenu tueur de plaisir, de même la civilisation de la Famine se prépare à survivre au déluge des vides et des poisons en abolissant la matérialité disqualifiée des marchandises-débris, tout en assumant, transsubstantialisée, la philosophie misérable ; la société de l’opulence mentait sur la joie, elle distribuait des désillusions ; ce que la civilisation de la Famine veut abolir, ce n’est pas la philosophie de la désillusion, mais sa scorie. Le poison demeure. »
Giorgio Cesarano et Giani Collu, Apocalypse et révolution, p. 142

Introduction : Écologie politique, révolte et recadrage

Si le « point de vue de la révolution » a cru pouvoir déceler une possibilité subversive dans la reformulation écologique des problèmes produits par la communauté du capital, c’est parce que l’écologie politique revendiquait illusoirement partir depuis un ailleurs de l’économie. Cette illusion n’est pourtant pas dénuée d’effectivité. C’est pourquoi une partie de ceux qui tentent de maintenir une réalité à l’idée de révolution y succombe. Elle n’est donc pas réductible à un pur mythe, à un nuage de fumée qu’il s’agirait de dissiper. En effet, si le point de vue de la révolution s’y est engouffré, c’est parce que cet ailleurs est produit par la dislocation, sur elle-même, de l’entreprise de totalisation du monde. Cette dernière s’apparaît désormais à elle-même dans le risque d’une extinction de l’espèce humaine. Pour la première fois, la révolution devenait manifestement une affaire biologique et cosmique.Elle s’émancipait de la société, ou, pour le dire autrement, elle dépassait la séparation entre nature et culture. Pourtant, dans les faits, dans les discours et, d’une certaine manière, dans les mouvements mêmes des luttes « pour le vivant », les expériences négatives du monde – qui entraînent le refus et la révolte – ont été recadrées – et continuent de l’être – dans les rets du « social » et de la représentation. C’est ce même recadrage qui s’illustre dans le dernier ouvrage d’Alexandre Monnin, Politiser le renoncement.

Au départ, je destinais sa lecture à la production d’une courte synthèse critique afin de donner matière à un débat en cours autour de l’écologie politique. Finalement, ce livre sera en réalité l’occasion d’alimenter ce débat dans la perspective de continuer le travail mené dans le texte « Bifurcation dans la civilisation du capital ». En effet, la « redirection écologique » proposée par Alexandre Monnin va dans le sens des hypothèses que j’avançais dans cet article et me donne un prétexte pour les affiner.

Quasi absent de toutes les revues – universitaires ou non – qui traitent de la question1, Alexandre Monnin est loin d’être un penseur phare du « nouveau régime climatique ». Il ressemble plutôt à un jeune entrepreneur, qui essaie, par le biais de la théorie – ou plutôt par la théorisation et la mise en pratique de ce qu’il appelle « l’enquête » – de trouver une place dans le mouvement actuel de bifurcation cosmotechnique du capital. Par son ancrage de plus en plus présent dans les canaux de diffusions de critique sociale, il drague un lectorat que son statut d’enseignant-chercheur à la Buisness School de Clermont-Ferrand ne lui aurait pas permis d’atteindre. Il s’exerce à nier la multiplicité des refus de ce monde à travers leur englobement dans et par le social. Il s’adresse donc aussi bien à tous les révoltés, qu’aux instances gouvernementales et aux entreprises. Le problème n’est donc pas tant le réformisme dont il fait part, que sa contribution exemplaire à court-circuiter l’expérience négative de dislocation des individus, tremplin nécessaire à l’émergence d’autres formes de vie que la vie de pures formes. Il érige l’enquête comme nouvel instrument du politique – ou plutôt il réduit le politique à l’enquête – et siffle la fin de récré pour tous les philosophes et anthropologues des « modes d’existence » et des différentes cosmologies, par la mise en œuvre, sous la modalité de la possibilité réelle, d’une inclusion des milieux, du non-humain et même de l’invisible dans le procès du capital. En fin de compte, A. Monnin redirige les « problèmes » posés par le développement du capital à « l’espèce » en possibilités de valorisation.

Aujourd’hui, alors que la désubstantialisation de la valeur est pleinement entrée dans le sens commun, l’écologie politique répond à un manque profond, une faim de sens. Celle-ci est non seulement actée par la perte de toute signification vis-à-vis d’un travail « productif », et se redouble dès lors que cette « production » apparaît comme la négation de la vie même. L’écologie politique s’attache, alors, à prendre en charge un indicible, quelque chose qui avait été laissé de côté par la critique de l’économie politique de Marx : la valeur d’usage « prise en tant que valeur d’usage2 ». Comprise comme ceci, Marx considère qu’elle « n’entre pas dans le domaine de l’économie politique ». En d’autres termes, l’écologie politique s’attache à redéfinir la valeur d’usage en dehors de tous rapports sociaux d’échange. Pourtant, et ceci malgré toutes ses bonnes intentions, il me semble que l’écologie politique s’en avère incapable. Car pour qu’il y ait une valeur d’usage, ne faut-il pas nécessairement que celle-ci existe en regard d’une entreprise de totalisation du monde ? C’est bien en dehors des conditions de viabilité économique et par rapport à un ensemble multiple – mais toujours d’abord uni dans la même menace (l’extinction du vivant) par un procès (le capital) – que l’écologie politique tente justement de juger la légitimité d’une infrastructure, de rapports sociaux, de relations à d’autres espèces ou à des milieux. Ainsi, à une époque où parler encore de valeur d’usage ne semble plus avoir aucune signification, où la valeur apparaît pleinement pour ce qu’elle a toujours été, une représentation, l’écologie politique s’empare de cette catégorie possiblement anachronique pour essayer d’y trouver un certain fondement, une certitude qui, selon elle, ferait vaciller les empires. Mais, à défaut de réussir là où l’économie politique a vraisemblablement échoué, l’écologie politique, aussi différente qu’elle se posait vis-à-vis du capital, se transforme en un des multiples mécanismes de sa pérennité. La pertinence de l’ouvrage d’Alexandre Monnin tient justement dans le fait qu’il est un de ceux qui amenuisent cette différence. Il permet ainsi de comprendre l’imbrication de l’écologie politique avec le procès du capital. Un tel livre, bien que ce ne soit absolument pas son but, démystifie un supposé antagonisme.

I. écologie politique : pratique de l’enquête, extractivisme, réduction du politique et chantage.

« Il faut sortir du marais du discours urgentiste sur le désastre environnemental et comprendre que le rôle historique de la civilisation a toujours été celui de produire et d’étendre l’environnement du désastre3. »

1. La réduction du politique à l’enquête, l’écologie politique comme extractivisme.

Au fond, qu’est-ce que « politiser le renoncement »signifie ? Pour A. Monnin, il s’agit d’anticiper les « fermetures » que le procès du capital implique dès lors que celui-ci est compris à travers une logique de destruction créatrice. Pour l’auteur, une telle anticipation n’est possible que par une institutionnalisation de la pratique de l’enquête. Celle-ci permettrait de questionner en amont et en aval, et même de manière constante, la viabilité de toutes pratiques à l’aune du respect du vivant. De sorte que le politique se voit réduit à un procès d’évaluation constant et de toute chose. D’une certaine manière, il s’agit de civiliser le procès de destruction créatrice, de le faire rentrer dans l’ordre écologique des choses, de rendre le procès d’accumulation adéquat au phénomène vie, d’associer le procès de valorisation à une valeur extrinsèque à ce procès. Il faut reprendre en main ce qui échappait au capital dès le début de son développement, en finir une bonne fois pour toutes avec le « capitalisme anarchique ». Il s’agit d’une prise de conscience – ou plutôt d’une autoréflexion –, par la communauté du capital, de sa capacité de nuisance – sur elle-même et sur ce dont elle dépend – et la prise en charge de celle-ci afin de ne plus la refouler. Alexandre Monnin me donne ainsi la possibilité de considérer, un capital qui s’échappe toujours plus de lui-même – comme l’avait théorisé Jacques Camatte il y a 50 ans – mais qui dote son run away d’une direction adéquate, au lieu de tendre invariablement vers sa « mort potentielle ».

Mais l’enjeu de Politiser le renoncement est tout d’abord celui d’une traduction et d’une inscription. Alexandre Monnin traduit des expériences sensibles en problématiques environnementales, que seule l’enquêtesaurait résoudre, et inscrit une certaine définition de la notion de « fermeture » dans le débat public. Surfant sur ce qu’un certain point de vue de la révolution « hors sol » a pu saisir comme opportunité déstabilisatrice, il le fait « réaterrir » à partir d’une position réformiste qui cherche à hisser à l’agenda des politiques publiques ses solutions. Son seul horizon demeure ainsi l’institution d’un nouveau mode de gouvernementalité. Politiser le renoncement signifie traduire des pans de réalité comme des faits sociaux totaux problématiques, et y répondre en les inscrivant dans l’entreprise de totalisation du monde.

Partant du postulat qu’à partir du « Nouveau Régime climatique » tout est désormais politique, même ce qui n’est pas humain, mais que tout n’apparaît pas encore manifestement comme tel, la seule tâche à faire reste à rendre visible l’existence politique de chaque chose. Certes, rien n’est plus qui ne soit pas en relation. Pour autant, faut-il que tout le reste ? N’y a-t-il pas un piège, dans le vieux slogan « tout est politique » et croire que tout doit le rester ? N’est-ce pas le geste même qui permet de perpétuer le procès du capital ? Politiser le renoncement, c’est donc participer à intégrer au social tout ce qui l’abordait ou en débordait, pour le meilleur et pour le pire. L’enquête est au cœur de cette intégration du réel. À ce titre, l’écologie politique est éminemment un extractivisme. Elle consiste dans toute une partie de sa tradition à rendre visible l’invisible, sans se demander jamais : « rendre visible pour qui ? Par qui ? Et pour quoi faire ? ». Par l’enquête, notamment4, l’écologie politique se constitue comme un recadrage de toutes les tentatives d’arrachement du monde. Elle est une entreprise de racketisation des expériences sensibles. En circonscrivant leurs expressions dans les rets de l’enquête, celles-ci désormais visibilisées sont écrasées, dévitalisées, limitées à n’exister que dans l’utopie d’un « parlement des choses ».

Ainsi, pour A. Monnin, l’enquête sur une situation précise doit alors toujours chercher à généraliser son résultat, à influer sur des politiques publiques, pour espérer un jour modifier les mécanismes mêmes du capital considéré comme un « automate » par A. Monnin. Sa reprise de la première thèse Sur le concept d’histoire de Walter Benjamin résume très bien ses ambitions politiques et son pessimisme pseudo-réaliste :

« Dans ses thèses sur la philosophie de l’histoire, Walter Benjamin comparait le matérialisme historique au fameux Turc mécanique, un automate construit au XVIIIe siècle censément capable de jouer aux échecs, dont un compartiment secret et habilement dissimulé abritait néanmoins un homme de petite taille qui déplaçait les pièces de l’échiquier faisant face au mannequin ottoman (…). Si le Turc mécanique, sous la plume de Benjamin, est l’analogon du matérialisme historique, l’homme caché dans la machine et qui l’active est l’analogon de la théologie, “flétrie de nos jours et qui doit se cacher”. Je suggère un nouvel analogon : le Turc mécanique ne serait autre que la ruine anticipée, nouveau mode de gouvernance animant la machinerie capitaliste, réel automate celui-là, à l’image de la “substance automatique” de Marx : le Capital. Mais alors qu’advient-il du compartiment caché dans cette configuration ? Il existe pour que l’on s’y glisse afin d’empoigner les ressorts de l’automate (la définition de ce qui est viable et de ce qui ne l’est pas) ; une arme stratégique qu’il s’agit moins d’abandonner que de reforger pour mener un conflit épistémique, politique et démocratique5. »

Il n’y a pas de monde à quitter. La seule lutte censée pour A. Monin – mais aussi d’une manière assez générale pour l’écologie politique – est celle qui permet de donner une nouvelle direction à l’existant, et non de rompre avec lui. Se glisser dans la machine pour continuer son jeu, plutôt que de la briser.

Selon A. Monnin, les luttes, ne sont que des manières parmi d’autres de mettre à l’agenda la pratique de l’enquête. Elles la légitiment et participent à la faire apparaître comme nécessaire. Au final, et sans l’avouer, A. Monnin, comme Andreas Malm, reprend la « théorie du flanc radical »6.

« Dans le cas des communs traditionnels, on a parfois l’impression que le lien entre le collectif qui institue une ressource en commun et celle-ci est quasi naturel. Ce qui est faux, car des conflits, d’échelle notamment, sont toujours susceptibles d’intervenir. Dans le cas des communs négatifs, cette illusion de naturalité fait toujours défaut. Qui, en effet, dispose a priori d’un mandat et de la légitimité pour infléchir la trajectoire de technologies comme la 5G, de projets comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou les mégabassines ? Personne.

Pour autant, les collectifs qui enquêtent sur ces réalités afin de les faire reconnaître le plus largement possible comme des communs négatifs dépassent ce problème de représentation en produisant une expertise et des raisons visant à démontrer le caractère nuisible de ces entités et exigeant par exemple leur démantèlement ou leur arrêt. C’est une manière de dépasser le problème du défaut de légitimité : en élargissant, par l’enquête, les publics concernés, quitte évidemment à entrer dans un rapport de force avec l’État7. »

Pour le moment seuls des ONG et des groupes en luttes usent de l’enquête selon des critères écologiques, car l’État et les entreprises sont incapables « d’empoigner les ressorts de l’automate » dans le respect pour le vivant. Mais à l’échelle du capital comme procès planétaire, qui d’autres qu’eux le pourraient ? Et que signifierait la prise en main de ces « ressorts » par d’autres entités que celles que l’on pourrait déjà supposer être dans le « compartiment secret »8 ?

En réalité, A. Monnin mise bien plus sur une institutionnalisation de cette pratique que par sa multiplication du fait d’un nombre croissant de fronts de lutte. « C’est chose impossible sans institutions, du moins au-delà d’efforts singuliers9. » Il s’agit donc de pousser les infrastructures déjà existantes à adopter la pratique de l’enquête. Et s’il doit y avoir des luttes et des rapports de force, seuls ceux qui rendent indispensable l’évaluation de la réalité à partir des critères de l’écologie politique sont tolérés par Alexandre Monnin. En effet, il évacue toute prise au sérieux des tentatives de sécession. La désertion et l’hypothèse destituante (ou antiréformiste) sont chacune caricaturées dans son livre. Il réduit l’une à une poignée d’étudiants naïfs d’agroparistech10 et l’autre à un appel au sabotage incessant et irréfléchi. Toutes deux sont décrites comme des abandons aussi irresponsables qu’inefficaces face aux questions que soulèvent les « communs négatifs ». La lutte pour une existence fondamentalement autre que cette forme de vie « occulte[rait] l’émergence d’un mouvement produisant les savoirs nécessaires, actuellement manquants, afin d’envisager une action efficace en vue d’alléger le poids de la Technosphère11. »

2. L’écologie politique : mobilisation générale des affects et chantage

Rien n’est nécessaire à l’institutionnalisation de la pratique de l’enquête. Seule la mobilisation générale de certains affects par l’écologie politique, ainsi que les modalités mêmes de cette mobilisation peuvent la faire apparaître comme nécessaire. Celle-ci procède immédiatement par la répétition d’un chantage à l’urgence qui véhicule au quotidien de la peur et de l’angoisse. Terrifiées, les subjectivités sont poussées à abandonner le moment théorétique, ou plutôt à l’abandonner aux experts déjà constitués, et à s’engouffrer dans un immédiatisme. Or, ce retranchement dans l’immédiat comme reproduction de ce qui est déjà là ne peut être effectif que par une autre mobilisation d’affect plus ancrée et de longue haleine. Cette dernière est l’œuvre d’un chantage constant au social qui appelle à la crainte et à l’espoir « dans leur manifestation banale » : : crainte que tout s’arrête et espoir que tout continue comme avant. C’est le même mécanisme à l’œuvre dans l’extinction des révoltes par les révoltés eux-mêmes. Ce n’est pas pour rien que de Latour à Monnin, la démocratie reste l’unique horizon politique viable.

Effectivement, l’écologie politique, se présente comme un « ou bien… ou bien… » effrayant : ou bien extinction de l’espèce ou bien écologie politique. En cela, elle ne relaie jamais l’expérience de la catastrophe, mais son fantasme. Elle n’est jamais face à l’objet du danger, mais uniquement à son annonce dont la formulation dans l’urgence mystifie l’absence de l’objet – puisque non-encore-là – en une présence abstraite. En effet, l’annonce du désastre manque le désastre (elle ne fait que l’annoncer), et, dans l’urgence, l’annonce se confond avec le désastre (alors même qu’il n’est pas encore là). Son expérience n’en est jamais que celle de l’annonce. Elle rate donc l’objet visé. Pourtant, la peur est bien ressentie, et il serait terrible de la nier.

C’est alors par un chantage au social que les affects mobilisés par l’annonce de l’urgence refoulent une peur qui manque son objet et peuvent ainsi se réfugier dans des postures qui présupposent toujours déjà la société. Dans son livre, Alexandre Monnin donne plusieurs pistes qui permettent de thématiser ce chantage au social :

À court terme, l’espèce humaine est dépendante d’infrastructures, de pratiques et de relations particulièrement nuisibles au vivant. Il est donc indispensable de pouvoir s’en débarrasser à moyen terme. Or, chercher à s’en défaire d’une manière « immédiate » aurait pour conséquence première la mise en danger des plus fragiles qui ne peuvent pas se passer quotidiennement de ces infrastructures. Cette dépendance est d’autant plus forte qu’elle repose sur une inégalité à l’échelle de la planète entière, car elle a été le fruit de « peuples » occidentaux et s’établit vis-à-vis de « peuples » non occidentaux, mais aussi entre ceux qui ont un corps sain et ceux qui n’en n’ont pas. Par-là, A. Monnin en conclut que toute tentative de sortie immédiate (c’est-à-dire des tentatives qui refusent de jouer le jeu du social) de ces infrastructures est donc d’abord « validiste », « raciste » et « exterministe » avant d’être une quelconque libération. De plus, c’est aussi parce que toutes perspectives de sortie de ces réseaux de dépendances sont jugées généralement inefficaces qu’il devient impérieux de produire des savoirs et des arts de la fermeture dans le cadre même de la société. Mais, parce qu’il faut pourtant se défaire de ces dépendances du fait de leur nuisance intrinsèque et parce que celles-ci sont planétaires, la seule solution possible reste l’institutionnalisation et la généralisation de l’enquête, car, dans une perspective démocratique, elle seule serait capable de répondre à une telle complexité.

Dans l’entremêlement entre nécessité du social et son dévoilement dans une urgence qui sème la confusion. La perspective immédiate (et en ceci apparemment nécessaire), à laquelle l’écologie politique souscrit empêche l’émergence de toute sortie des chemins battus. Cette peur, n’est-elle pas en réalité une peur du vide et de l’inconnu, plus profonde, qui s’accroche à l’urgence d’une situation annoncée (peur de la guerre, de la bombe, du réchauffement climatique…), pour s’échapper d’elle-même et se fondre dans l’unique forme qui s’y prête : « le cérémonial du problème » ?

II. Écologie politique : une régression du capital et un retour à la valeur d’usage ?

On l’aura compris, ce qu’appelle Alexandre Monnin « politiser le renoncement » n’est absolument pas à comprendre comme l’élaboration d’un « art de la fermeture » du capital. Il considère seulement possible le démantèlement d’un certain type de mode de production capitaliste, appelé « capitalisme du désastre » (selon l’expression de Naomi Klein). Autrement dit, le « capitalisme » ne saurait être supprimé, et, plus implicitement, le procès du capital pourrait ne pas être désastreux. Ainsi, ce dernier, réduit un peu rapidement par l’auteur à un « automate », pourrait se voir proposer une nouvelle forme de gouvernance12 plus démocratique.

Mais A. Monnin n’est pas ici en train d’analyser le capital. Le peu qu’il en dit n’est d’ailleurs pas très intéressant. L’important réside ailleurs. Sans être fondamentalement novateur, Politiser le renoncement concentre un ensemble d’éléments qui permettent d’envisager une perpétuation du procès du capital à partir du prisme de l’écologie politique et malgré ses constants appels à la sortie du productivisme.

1. Retour sur Bifurcation dans la civilisation du capital.

Dans le texte Bifurcation dans la civilisation du capital, j’indiquais que l’écologie politique permettait au capital de se doter d’une nouvelle forme de légitimité qui permettait de réintroduire le concept désuet de « valeur d’usage » au cœur du procès de valorisation.

L’argument était le suivant : la désubstantialisation croissante de la valeur, depuis que le capital a étendu réellement sa subsomption du travail à l’ensemble des rapports humains, appelle un besoin de sens que le capital ne saurait résoudre par lui-même (« une faim de sens13 »). En d’autres termes, la valeur d’usage des marchandises se réduit à sa valeur d’échange, puisque ce qui compte, dorénavant, avant toute chose, dans la production d’un objet, d’un service ou de quoi que ce soit, n’est plus son utilité sociale, mais sa capacité à produire et/ou à reproduire le capital. Plus exactement, l’utilité sociale est désormais attribuée par le capital. Par conséquent, le procès de travail salarié ne peut plus être considéré comme la production d’une valeur d’usage et d’une valeur d’échange, un travail concret d’une part et abstrait de l’autre. Le procès de travail est devenu avant tout abstrait. Il est par conséquent de plus en plus vidé de son contenu, sapé de tout savoir-faire.Les formes de vie précapitalistes ne sont plus porteuses de sens. Elles n’existent d’ailleurs quasiment plus. Le capital se serait ainsi échappé de tous les carcans qui guidaient la possibilité de produire de la valeur, qui lui donnaient une raison d’être extérieure à lui-même. Toutefois, depuis quelques années, son procès apparaît manifestement et d’une manière générale – c’est à dire « spectaculairement », car il l’a toujours été – comme le responsable direct du désastre à l’œuvre, ce qu’on appelle le dérèglement climatique. De nombreux théoriciens, comme Jason W. Moore, considèrent que notre époque – celle de « l’anthropocène » – annonce des limites physiques, et non plus seulement économiques (la baisse tendancielle du taux de profit), au procès d’accumulation. De sorte qu’il serait non seulement logique, mais aussi indispensable à la survie de l’espèce de sortir du mode de production capitaliste. L’écologie politique deviendrait alors la vision du monde antagonique à celle de l’économie politique.

Dans Bifurcations…, j’essayais de montrer, à l’inverse, que l’écologie politique permettait au capital de continuer son procès de valorisation par une transformation – une bifurcation cosmotechnique – de l’utilité sociale de toute production. De sorte que l’écologie politique chercherait, au-delà de toutes ses prétentions, à redéfinir l’attribution de l’utilité sociale d’une marchandise non plus par la capacité à produire ou reproduire le capital, mais l’indexant sur le respect du vivant – le « Terrestre » – à l’aune du « Nouveau régime climatique ». J’énonçais ainsi, entre les lignes, le besoin pour l’analyse du capital de revenir à la notion de valeur d’usage, sans pour autant considérer qu’il s’agissait soit d’une régression dans l’analyse soit d’une régression du capital.

Contradictoirement, un tel argument allait justement à l’encontre même de l’analyse du capital sur laquelle je m’appuyais, à savoir la thèse de l’échappement du capital. Je me renfermais en réalité dans le marxisme que je prétendais quitter14. Il ne s’agit pourtant pas de combattre un dogmatisme par un autre.

2. Le capital combine ses contradictions grâce au procès de valuation

À partir des éléments exposés par Alexandre Monnin, il me semble à présent possible d’extirper l’analyse de cette contradiction. De sorte qu’il s’agirait de comprendre le mouvement de sape du capital, son processus révolutionnaire, non pas comme un dépassement des tendances régressives par celles du progrès, mais comme l’englobement par combinatoire15 des pôles progressistes et réactionnaires. La tendance régressive de l’écologie politique qui s’illustre notamment par son extractivisme – extraction de toutes les relations pour les intégrer dans l’entreprise de totalisation du monde – se combine par exemple avec sa tendance progressive, le respect du vivant. La première a besoin de la seconde pour trouver une certaine légitimité, tandis que la seconde a besoin de la première pour se réaliser.

Effectivement, la justification immédiate du capital par lui-même ne suffit plus, elle est devenue illégitime. Ces dernières années, le développement manifeste du capital comme histoire d’une catastrophe permanente s’est propagé « dans toutes les têtes ». Cela rend nécessaire l’universalisation d’un processus de valuation comme condition de possibilité du procès de valorisation16. Au sein de la communauté du capital, c’est-à-dire d’une société planétaire où l’ensemble des rapports sociaux et environnementaux sont médiatisés par le procès du capital, la valuation permanente pourrait déterminer « ce qui sera maintenu ou abandonné17 ». Le procès de valuation est une condition nécessaire à ce qu’une chose représente un quantum de valeur18. Elle reste néanmoins une condition nécessaire, mais ne se suffit pas à elle-même pour réaliser la valeur. Il détermine la possibilité ou non qu’une chose ait une valeur (le fait d’être noté), la qualité de cette valeur (positive ou négative) et le degré de cette qualité (la note).

En réalité, la valuation n’est absolument pas quelque chose de nouveau. Elle est contenue dans l’idée même de valeur d’usage : c’est parce qu’un objet est utile qu’il a pu être produit comme marchandise. Dans cet exemple, la valuation est implicite. Elle est contenue immédiatement dans l’utilité sociale de l’objet. Elle est implicite tant que la subsomption du travail sous le capital reste formelle. À ce moment-là, l’offre présuppose une demande. Pour Marx, l’utilité est donc d’abord « donnée » immédiatement comme « moyen de subsistance19 », puisque le salaire permettrait avant toute chose de répondre aux besoins de reproduction de la force de travail. Le prolétaire, dépossédé de ses moyens de subsistances et de travail, travail pour pouvoir reproduire sa force de travail. En cela, la valeur d’usage apparaît tout aussi bien comme la « révélation d’un vide, la présence de l’absence de réalité ». Et, comprendre immédiatement l’utilité sous la forme d’un moyen de subsistance, c’est naturaliser la catégorie même d’utilité – et par là du travail. Plus encore, une telle naturalisation masque justement le néant donné, ou le vide irréel, qu’implique la notion de valeur dès lors qu’elle est prise en dehors de toute situation particulière. La valeur d’usage, abstraitement comprise, n’est en réalité qu’un écho du désir. Un écho d’un désir, toujours plus disjoint de la nature au fur et à mesure que la subjectivité est subsumée par la communauté du capital.

Aujourd’hui, dans la réalisation toujours plus poussée de la communauté matérielle du capital, celle-ci, pour se maintenir besoin de justifier une production selon les termes du respect du vivant et de sa prise en charge. Cela signifie que la valuation ne peut plus être établie ni immédiatement ni implicitement. Un processus de valuation doit prendre forme, par exemple à travers l’enquête que décrit A. Monnin. Ce processus devra justement revenir sur cette dissociation entre le désir et la nature. Cette dissociation devra être ainsi renaturalisée par l’enquête, ce qui ne sera pourtant rendu possible que par un accroissement de l’entreprise de totalisation. La nécessité de ce procès et sa complexité est décrite par Alexandre Monnin du fait même de la planétarité, c’est-à-dire de l’enchevêtrement à n degrés de réalité sur toute la surface de la planète d’une majeure partie de tout procès de production. « Politiser le renoncement » signifie donc : subsumer l’intégralité des procès sociaux – et d’étendre ceux-ci aux rapports entre humains et non-humains – au procès de valuation, pour, ensuite, faire le choix de renoncer ou pas à telle ou telle activité, infrastructures.

Dans le mode de production capitaliste, c’est peut-être d’abord dans la forme fictive du capital que le procès de valuation se généralise dans sa forme explicite. Dans une économie d’actifs20 où la valeur d’usage devient désuète, se généralise la nécessité d’évaluer constamment ces actifs afin de rendre possible l’échange qui repose sur la spéculation de leur valeur future. La valuation selon les critères de l’écologie politique repose sur le même mécanisme et le généralise à l’ensemble des étants. Le caractère constant de cette évaluation est lui aussi lourd de conséquences.

On pourrait croire ainsi que l’écologie politique constitue en elle-même une régression du capital21, ou du moins de son analyse. À partir du moment où est réintroduit le concept de valeur d’usage alors même qu’il semble être historiquement dépassé, un doute s’instaure22. A. Monnin, tout comme la plupart des penseurs de l’écologie politique, qu’ils soient marxistes ou non, pensent qu’il existe une valeur « intrinsèque » aux choses, une valeur qui ne soit pas une pure représentation. Pourtant, le développement du capital coïncide avec le processus de « démondénisation » de la valeur. De sorte que plus le capital accumule des richesses plus celles-ci s’éloignent de toute tangibilité réelle. Si le capital bifurque, se révolutionne, cosmotechniquement – c’est-à-dire abandonne la cosmologie de la modernité ainsi que la technique industrielle qui la sous-tend, toutes deux pouvant être résumées dans l’expression « domination de la nature » – il ne peut y revenir. Du moins, c’est ce qu’indique le procès du capital, compris comme développement irréversible. Son déploiement est tel qu’il est impossible d’envisager sérieusement un retour à une situation antérieure, que ce soit du point de vue politique, biologique et environnemental. Il sape ses propres bases et devient autre.

Sous l’apparence d’une régression vers la valeur d’usage, le capital, en réalité, se pérennise non pas par l’intermédiaire d’un retour à la valeur d’usage et donc au travail vivant, mais par sa prise en charge de ce qui les sous-tendait : la nature. L’écologie politique c’est la naturalisation du capital, son devenir autre. Là où il n’y avait que prothèse et artifice, où la différence avec l’environnement était évidente, s’estompe la séparation23.

Il y a donc bien toujours un échappement du capital de la loi de la valeur, voire même du procès de travail vivant, puisque ce qui conditionne la valeur n’est plus tant – si tant que cela déjà été – un temps de travail nécessaire, mais un procès de valuation préalable au procès même de valorisation. S’échappant de tous les carcans de la modernité (religion, politique, mœurs, etc.), le désastre manifeste auquel participe le capital l’oblige à se formuler son propre cadre, à se rendre adéquat à lui-même. Celui-ci est la dernière esquisse de l’universel, celui de la prise en charge de l’ensemble des étants, humains, non humains, vivants, non vivants, visibles et invisibles. Et, si la prise en charge de toute la vie telle que nous la connaissons sur terre – c’est-à-dire sa non-disparition – n’est absolument pas réaliste actuellement, le procès de valuation permet de légitimer la « fermeture » de tel ou tel pan de réalité pour ouvrir tel autre.

En outre, le procès même de valuation semble pouvoir devenir un nouvel espace de valorisation – comme l’atteste par exemple l’activité lucrative de conseils en redirection écologique d’A. Monnin et ses acolytes – et la nécessité martelée tout au long de l’ouvrage « d’institutionnaliser l’enquête ainsi que les arts et pratiques de la fermeture ».

Finalement, ne peut-on pas voir ici, dans cette bifurcation du capital (ou cette « redirection écologique ») la dernière tentative illusoire d’arrimer la valeur à quelque chose de concret, quelque chose qui permettrait de la mesurer arithmétiquement et tangiblement alors même qu’elle n’a toujours été qu’une représentation ?

III. Écologie politique : Faire plus avec moins, contourner les limites (du) terrestre(s).

Si Alexandre Monnin nous indique bien qu’il cherche non pas à fermer le capital, mais à le rediriger écologiquement, et que la valuation est centrale à cette reconduction, ce qui lui importe le plus, c’est « notre » – celui de l’espèce – besoin de faire fermer une Technosphère allant à l’encontre de la survie du vivant. Évidemment, il ne peut y avoir de redirection écologique du capital, sans modification profonde des infrastructures de production. Or, à travers ce besoin se devine tantôt implicitement tantôt explicitement, la possibilité réelle de perpétuation de ce « mauvais infini » auquel participe le procès du capital. De sorte que l’écologie politique, malgré ses clameurs de décroissance et refus du productivisme, arriverait bien à faire plus avec moins. Elle constitue une intensification des besoins sur un mode du « toujours plus », bien que le nombre de ces derniers puisse être au final réduit. Si on suit la définition de la modernité qu’en donne le philosophe Tristan Garcia, l’écologie politique, alors même qu’elle prétend s’en émanciper (par le dépassement de la séparation nature/culture par exemple) ne se détache pas de la quête d’intensité qui semble la fonder : « une maximalisation de tout notre être24 ».

Précédemment, nous avons indiqué que le procès de valuation impliquait trois choses : la notation, la qualité de la note (positive ou négative) et la note en elle-même. Dans le procès classique de valuation (dans la sphère du capital fictif), seules existent la notation et la note en elle-même, il n’y a pas de note négative. D’ailleurs, dans l’ensemble, le procès de valorisation n’exprime pas de valeur négative – si ce n’est sous forme de dette (une valeur négativement négative, un manque). L’écologie politique, dans sa façade de retour à la valeur d’usage, le fait par l’expression nouvelle d’une valeur positivement négative. La viabilité de telle ou telle infrastructure, production, etc., n’est plus considérée par comparaison avec une autre similaire, mais par un jugement extérieur à la viabilité économique en elle-même, un jugement écologique (de prise en charge des relations entre l’ensemble des étants d’un milieu) qui transcende la question économique et qui, par là, peut attribuer positivement une note négative, c’est-à-dire celle qui implique l’arrêt (ou la transformation voir la maintenance) d’une infrastructure. Toutefois, la notation négative – ne pas être écologiquement viable – n’implique pas nécessairement un arrêt brutal d’une infrastructure, de la production d’une marchandise spécifique ou de l’extraction de telle ou telle matière, car celles-ci peuvent justement nécessiter une prise en charge, une maintenance pour ne pas polluer ou contaminer le reste du vivant. C’est le cas, par exemple, des déchets radioactifs. Et de la même manière, selon cette perspective, une sortie du nucléaire n’est pas envisageable en un claquement de doigt, puisque le démantèlement des centrales ou des armes nucléaires ne peut s’établir à partir de la simple décision de leur abandon. Au contraire, la fermeture constitue en elle-même un incessant « travail » qui suit malgré tout ce qu’en dit A. Monnin, une certaine « destruction créatrice ». C’est en cela que la valuation est un procès, qu’elle est constamment nécessaire, et qu’elle est à elle-même son autoprésupposition. D’une certaine manière, elle triple « le moulinet du capital » décrit par Marx25.

Pour cela, Alexandre Monnin développe le concept de commun négatif qui exprime « ce dont il faut se ressaisir pour retrouver un sens de la communauté élargie aux non-humains, des infrastructures dont personne ne veut individuellement, mais désirables collectivement ou encore le déchet ultime celui qui, en contaminant les autres, interrompt le cycle de leur intégration par la terre26. » Le commun négatif, c’est l’ensemble des choses que le procès de valuation sur critère écologique note négativement, c’est-à-dire comme non viable. L’auteur en distingue deux types : les ruines ruinées (ruina ruinata) et les ruines ruineuses (ruina ruinans). Les premières dont nous héritons sont aisément identifiables, elles appartiennent à un mode de production passé, immédiatement comprises comme nocives, par exemple une mine à ciel ouvert, mais dont une partie de la population mondiale reste encore liée. Le procès de valuation porte ici principalement sur la question de leur démantèlement et/ou de leur transformation et de l’anticipation de ces gestes. Le second type de communs négatifs est une ruine « productive nouvelle ruines, à leur tour ruinées ou ruineuses27 ».

À partir de cette typologie se dégage la possibilité de considérer les seuils critiques de subsomption de l’espèce par le capital, c’est-à-dire là où le développement de ce dernier s’imbrique à la capacité de survie du vivant. Là où son développement impliquait auparavant la destruction de ce dernier, le capital devient capable d’ajouter à son autoprésupposition sa prise en charge. Ainsi, par analogie au geste de Marx dans son sixième chapitre inédit, la ruine ruinée serait l’expression d’une subsomption formelle de l’espèce sous le capital, et la ruine ruineuse, l’expression d’une subsomption réelle (car la première n’implique pas l’extension de la ruine au moyen et long terme contrairement à la seconde). D’une certaine manière, cela permet aussi de constater que l’échappement du capital n’est pas encore total, et d’atténuer la thèse de Jacques Camatte sur la fermeture clausale du monde dans la communauté du capital (où seule une révolution biologique – c’est-à-dire plutôt une évolution de l’espèce permettrait d’envisager la sortie du capital28). Cela signifie surtout que toute entreprise du capital n’est pas nécessairement une mise en danger de la capacité de survie du vivant – contrairement à ce qu’affirment certains penseurs de l’écologie politique. Ou plutôt qu’il n’est pas la machine trop souvent décrite qui repousserait indéfiniment les limites de la planète, œuvrant à la fin du monde29. De sorte que son procès n’implique pas nécessairement la destruction totale de l’espèce humaine. Néanmoins, je fais dès lors face au paradoxe suivant : le procès de valuation permettant de pérenniser le procès de valorisation en crise est aussi le procès qui permet d’identifier les espace-temps où la vie ne peut pas accepter d’être subsumée totalement par le capital, des espaces non capitalisables. Y a-t-il une contradiction ? Il ne me semble pas, car comme j’essaierais de le souligner par la suite, la non-capitalisation ou la décapitalisation de certaines zones est elle-même rendue possible par l’entreprise de totalisation du monde à laquelle participe l’ensemble des procès évoqués précédemment, notamment par un contrôle permanent étendu à l’ensemble des étants de la planète qui doit chercher inexorablement à anticiper la non-viabilité écologique. Les espaces « non capitalisables » doivent donc, pour être « sauvé » du procès du capital, être englobés par ce dernier.

À ce stade, une autre forme d’englobement se met donc en place : celui que J. Wajsnstein et J. Guigou nomment « l’englobement par coexistence des contraires » en référence à Dumont et son livre Homo hiérarchicus : « L’englobement par coexistence des contraires procède en parvenant, au fil du temps ou dans un rythme plus rapide, à faire que deux valeurs opposées, deux mouvements contraires, deux phénomènes jusque-là non conciliables deviennent contemporains ; ceci sans que l’un de ces contraires prenne le pas sur l’autre ; il y a co-présence et coactivité30 ». Une coexistence entre espace de valorisation et espace de non-valorisation (entre production de valeur et improduction) est rendue possible, mais cette possibilité correspond néanmoins à un primat d’une entreprise de totalisation. Comprendre cela permet d’évacuer une autre idée problématique : celle qui considère que dans le développement historique de ses propres contradictions, le capital serait lui-même porteur du communisme. Aucun accélérationnisme n’est envisageable comme une libération de l’espèce vis-à-vis du capital, à l’inverse, pour être capable de contrôler à ce point le « vivant », le procès du capital doit lui-même s’accélérer.

Enfin, c’est dans son dernier chapitre « Sobriété et suffisance intensive » écrit avec Nathan Ben Kemoun qu’Alexandre Monnin est le plus explicite quant à la perpétuation d’un mauvais infini. Pour eux, il n’est plus possible de limiter la sobriété à une attitude simplement individuelle ou infrapolitique. Celle-ci doit être étendue à l’ensemble des rapports sociaux et de leurs infrastructures. C’est d’une certaine manière une reformulation de certaines théories de la décroissance. Rien ici d’original. Toutefois, l’exposition du concept de « suffisance intensive » proposé par Nathan Ben Kemoun complète l’idée d’une sobriété extensive (diminution de la production, donc une limitation d’un mauvais infini) et renverse l’idée commune que la sobriété ne saurait être que « diminutive ». Pour eux, il est possible de faire plus avec moins :

« Une suffisance intensive dans la mesure où il s’agit de ne plus penser la sobriété sous son jour uniquement extensif, et par conséquent diminutif. Sous cet aspect en effet, la sobriété renvoie comme il est d’usage à une forme de contraction. Il ne s’agit pas de nier cette tendance, de plus en plus intégrée à nos scénarios, bien que le débat politique n’en marque pas le reflet. Le temps est encore aux contradictions telles que la vente de SUV, à l’heure où les règlements limitant la circulation des voitures se multiplient.

Toutefois, si le renoncement est bien au cœur de la sobriété, sous son jour extensif, reste que la dimension intensive de la suffisance, qui en constitue le pendant, a vocation à accueillir des pratiques d’enrichissement. (…) c’est bien un infini en intensité et non en extension, un infini enté sur des infrastructures sobres sur le plan extensif (énergétique et matériel) qu’il s’agit de penser et d’inventer.

En ce sens, la suffisance intensive a vocation à déplacer ou à réaffecter la recherche d’infini de la sphère extensive vers la sphère intensive31. »

La dernière phrase est assez claire. La « réponse » d’A. Monnin ne consiste donc aucunement à se confronter et expérimenter avec les limites du monde pour se transformer, mais bien de continuer à les contourner sans se soucier de l’expérience sensible qu’implique un tel jeu.

Ce n’est pas sans rappeler ce qu’écrivaient Giorgio Cesarano et Giani Collu, il y a déjà 50 ans, dans Apocalypse et révolution. Face à la nécessaire sobriété qu’instaure la « civilisation de la pénurie », la redirection écologique du capital entraîne la subsomption réelle des corps, dans leur intériorité même : leur transfert sur un autre plan où la quête de valeur se poursuit. Dans ce sens, l’écologie politique participe d’un certain transhumanisme, c’est-à-dire non pas l’expression de différentes formes de vie singulières, mais l’intensification d’une forme de forme. Elle mystifie leur singularité par une patrimonialisation de leur existence qui invisibilise le procès du capital.

« Concentre-toi et tu seras valeur. […] Le poison demeure.32 ».

En guise de conclusion

Questionner l’urgence d’une situation, refuser le catastrophisme, ne correspond absolument pas à un malthusianisme, comme semble le dénoncer A. Monnin. Bien plutôt, il s’agit de questionner notre capacité réelle d’action, et de réfléchir aux endroits mêmes où le vide, et donc l’impuissance, nous pousse aussi bien à un activisme sacrificiel qu’au un réformisme auquel A. Monnin souscrit. Face au dérèglement climatique, l’appel constant à écouter les scientifiques et le cloisonnement du penser aux institutions de savoir, enjoint en réalité la praxis à se dégager de la théorie pour se perdre dans un activisme sommé d’agir toujours plus immédiatement face à une urgence qui le transcende. La praxis s’insère alors « dans la tendance objective d’une déshumanisation progressive », puisque finalement le « but d’une praxis juste serait sa propre suppression33 ».

Je pense qu’il est très difficile de souscrire à l’argumentation moraliste d’A. Monnin pour qui chaque dislocation individuelle ou collective liée à une expérience négative du monde, et qui implique un désir de rupture ou de sécession, devrait être sommée de se rallier à ce même monde sous menace d’être validiste, raciste ou exterministe. Une telle argumentation est d’autant plus douteuse qu’il ne résout absolument pas le problème qu’il soulève, car la redirection écologique, à court terme, n’est qu’une utopie du capital. L’auteur est donc autant de mauvaise foi que les « anti-civ » qu’il critique. Pour le moment, et en attendant le jour où l’écologie politique réussira pleinement à proposer une nouvelle forme de gouvernance au capital, la part de souffrances absurdes ne cesse de croître au sein de l’humanité et au-delà. Et, de ce qu’on vient d’essayer de décrire, tout porte à croire que, même ce jour-là, rien de bon n’en sortira.

Alexandre Monnin thématise ainsi comment couper l’herbe sous le pied à l’impérieuse faim de sens que décrit Cesarano en aliénant toute tentative de satiété aux réponses des enquêteurs. A. Monnin a bien retenu la leçon de Bruno Latour sur Pasteur. Pourquoi ce dernier a-t-il réussi à faire de la vaccination le modèle de résolution des pandémies de maladie ? Non pas parce que ce modèle était le meilleur, mais parce qu’il a réussi à se rendre essentiel, par un exercice de traduction (mais je préférerai le terme de subsomption). A. Monnin, comme d’autres – et principalement Bruno Latour34 d’ailleurs – traduit la faim de sens, perçue sensiblement dans la corporéité de chacun, par une rhétorique qui fait apparaître sous la modalité de la nécessité l’institutionnalisation de l’enquête et de l’enquêteur. Une nouvelle fois, derrière le martèlement du recours à l’enquête, Alexandre Monnin, et le reste des penseurs de l’écologie politique, laissent deviner l’érection d’un nouveau héros, capable de saisir la complexité du réel, mais surtout légitimer à se surajouter à la liste des conseillers du prince.

Ainsi l’écologie politique, alors qu’elle se posait comme absolument différente du capital, se transforme en un des multiples mécanismes de sa pérennité. Si bien qu’elle peut aussi être envisagée aux côtés de ce qui lui semble pourtant le plus étranger35 : l’extractivisme, le transhumanisme ou encore la cybernétique ». Est-ce là forcer encore un hégélianisme trop prononcé que d’essayer de montrer à quel point ces dynamiques participent de la même utopie du capital ? Je propose seulement d’essayer de prendre cette hypothèse au sérieux, et de ne pas la laisser sur le banc de touche, que l’on réserve aux critiques trop totalisantes. Il ne s’agit pas de déclarer une nouvelle pureté théorique, les raisonnements proposés ci-dessus sont peut-être plus proches de l’induction que de la déduction. Au risque de me contredire, peut-être est-il important d’affirmer que je ne crois pas à « un plan du capital ». Il y a une différence de point de vue, entre le logique et le politique, différence qui ne fait pas appel à une unique modalité de la nécessité. Il ne me semble pas possible d’avancer qu’il existe réellement un projet politique capable d’une synthèse entre l’écologie, l’extractivisme, la cybernétique et le transhumanisme. Son existence n’est que potentielle36, de l’ordre de la science-fiction. Mais que se passe-t-il dès lors qu’on se demande comment le capital – compris comme un procès – peut-il faire pour se perpétuer ? Je me résous à penser, pour le moment, qu’il aura besoin dans le court et moyen terme d’« englober – plus par combinatoire » que par une coexistence des contraires – ces positions a priori antagonistes (du moins à première vue vis-à-vis de l’écologie politique). Combinaisons qui, par-là, produisent une certaine nouveauté, une bifurcation du capital, permettant ainsi à des contraires une certaine coexistence.

La possibilité de cette transformation ne se fera pourtant pas en dehors d’un rapport de forces entre fractions du capital, forgeant ainsi un nouvel état des choses. Ce nouveau processus de totalisation ne sera donc pas sans heurts, sans destructions. Non seulement, car certaines forces lutteront pour y prédominer ou pour s’y maintenir, mais aussi justement parce qu’une telle entreprise est en contradiction même avec l’existant. Par-là, la bifurcation cosmotechnique du capital ne se fera pas non plus sans dislocations, c’est-à-dire sans une multiplicité d’expériences négatives qui sont autant d’occasions pour se demander comment s’en sortir.

Mohand

Mai-Juin 2023

1Nous avons pu trouver deux articles d’Alexandre Monnin dans des revues qui véhiculent – sans y être spécialisée – des pensées qui se réclamment de l’écologie politique : « Les communs négatifs » dans Multitudes, n° 85, 2021/4, et « Il nous faut développer un art de la fermeture » dans le magazine Socialter, n°50, 2022.

2MARX Karl, contribution à la critique de l’économie politique, édition sociale, Paris, 1977, p. 8

3« Ni écologie ni société », Lundi matin, n°356, 24 octobre 2022 https://lundi.am/Ni-ecologie-ni-societe

4Mais aussi par le prisme de la politique représentative classique comme le témoigne le dernier texte de Bruno Latour et Nicolas Schulz

5MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 85

6Voir MALM Andreas, Comment saboter un pipeline, La Fabrique, Paris, 2020

7Propos d’A. Monnin recueillis par CORREIRA Mickaël, « Entretien avec Alexandre Monnin : « apprendre à fermer les infrastructures qui menacent l’habitabilité de la planète » », Médiapart, 14 mai 2023, https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/140523/alexandre-monnin-apprendre-fermer-les-infrastructures-qui-menacent-l-habitabilite-de-la-planete

8Il va sans dire que je ne souscris absolument pas à l’analogon d’Alexandre Monnin. Il s’agit d’une représentation du capital erronée.

9MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 102

10https://www.youtube.com/watch?v=SUOVOC2Kd50

11MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 72

12MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, pp. 84-85J’y reviendrai par la suite.

13« La fin de la préhistoire est alors le retour du plus vieux « thème » de l’instinctualité niée : la faim. Mais cette fois, c’est là une faim de sens qui synthétise et dépasse l’angoisse de la survie purement animale et sa fausse résolution, la « fabrication » d’une vie qui la transcende dans les formes projectives de « l’idéal » humain. La critique qui dénonce tout « idéal » comme matrice de la facticité où chaque être se voit nié, avant tout comme corps vivant de sa présence propre, repousse la tromperie derrière elle et s’affirme comme le principe réellement générateur à partir duquel est en procès, dans la corporéité en guerre de l’espèce, la synthèse qui dépasse en un mouvement unique tant l’instinctualité niée que la ratio séparée, conquérant la cohérence en acte, l’entièreté possible de l’être qui se veut réel dans un univers réel enfin véritablement connu. » CESARANO Giorgio, Manuel de Survie, La Tempête, Bordeaux, 2019, p. 156. Ainsi, ici, ce qui est en jeu avec l’écologie politique, c’est la capacité du capital à répondre à cette « faim de sens ».

14Évidemment, je ne l’ai pas vu tout seul, c’est grâce au retour d’un ami que je m’en rends maintenant compte. Et ceci d’autant plus que j’utilise dans mon argumentation le terme de « communauté matérielle du capital » que développe Camatte principalement dans la 2ème série d’Invariance.

15« Ainsi perçu et conçu, l’englobement par combinatoire des contradictions altère profondément les deux pôles de l’antinomie. Au terme du processus, il y a création d’une réalité non pas nouvelle mais renouvelée, réassemblée qui est aujourd’hui nommée « innovation » ; innovation dans laquelle le nouveau n’a ni supprimé, ni dépassé l’ancien mais l’a muté dans une forme qui combine les deux : c’est en cela que se réalise la puissance de la combinatoire. » GUIGOU Jacques, WAJNSZTEJN Jacques, Dépassement ou englobement des contradictions ? La dialectique revisitée, L’harmattan, Paris, 2016, p.34

16Évidemment, ce processus n’est absolument pas réalisé.

17MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 74

18Alexandre Monnin, Diego Landiva et Emmanuel Bonnet écrivent dans leur article « Concevoir les politiques de l’Anthropocène » Pour sortir de l’impasse, Socialter, Paris, 2022(?) : « Loin de s’y opposer, la valeur intrinsèque nécessite la valuation. Elle en résulte même, et ne s’appréhende qu’à partir des pratiques d’enquête ».

19MARX Karl, contribution à la critique de l’économie politique, édition sociale, Paris, 1977, p. 8

20« Les actifs se définissent comme « un titre de propriété qui doit être constamment évalué en tant qu’élément d’un bilan comptable mais qui, le plus souvent ne peut précisément pas être échangé facilement » ». p. 90 (Je souligne)

21Dans son article de 2001, « La mort potentielle du capital », Camatte mentionne la possibilité du capital à régresser.

22La revalorisation du travail vivant que produit A. Monnin dans son chapitre 5 « Travail et redirection », n’est pas celle du travail vivant en lui même, mais bien de l’apport de l’expérience des travailleurs dans le procès de valuation.

23Il s’agit en réalité d’une parodie de nature, d’une réalité seconde qui vient supplanter l’expérience vécue, non pas un retour à la nature, mais une production d’une nature prime, d’un autre plan, ce qu’avec un ami nous avions appelé le « 4ème dimension ».

24GARCIA Tristan, La vie intense, Autrement, Paris, 2016, p. 16

25« Le procès de production capitaliste reproduit donc de lui-même la séparation entre travailleur et conditions du travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l’ouvrier à se vendre pour vivre, et mettent le capitaliste en état de l’acheter pour s’enrichir. Ce n’est plus le hasard qui les place en face l’un de l’autre sur le marché comme vendeur et acheteur. C’est le double moulinet du procès lui-même qui rejette toujours le premier sur le marché comme vendeur de sa force de travail et transforme son produit toujours en moyen d’achat pour le second. Le travailleur appartient en fait à la classe capitaliste, avant de se vendre à un capitaliste individuel. Sa servitude économique est moyennée et en même temps dissimulée par le renouvellement périodique de cet acte de vente, par la fiction du libre contrat, par le changement des maîtres individuels et par les oscillations des prix de marché du travail. » MARX Karl, Le Capital, livre I, VII, XXIII. https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-23.htm

26MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p.37

27MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 39

28Voir CAMATTE Jacques, « La mort potentielle du capital », Invariance, série V, décembre 2001

29Ce qui n’est pas sans rappeler cette phrase attribué au marxiste américain Jameson : « la fin du monde est plus facile à imaginer que celle du capitalisme ».

30GUIGOU Jacques, WAJNSZTEJN Jacques, Dépassement ou englobement des contradictions ? La dialectique revisitée, L’harmattan, Paris, 2016, p. 30

31MONNIN Alexandre, Politiser le renoncement, Divergences, Paris, 2023, p. 149-150 (je souligne la dernière phrase)

32CESARANO Giorgio, COLLU Gianni, Apocalypse et révolution, La tempête, Bordeaux, 2020, p. 142

33ADORNO Theodor, W., « Notes sur la théorie et la pratique », Modèles critiques, Payot, Paris, 1984, p.283 et p. 285

34Bruno Latour, était toutefois plus classique et considérait le besoin politique à partir des institutions de pouvoir déjà existante. Grossièrement, il proposait qu’une « classe écologique » prenne le pouvoir par les urnes, que ce soit au niveau national comme supranational (européen). Néanmoins, la pratique de l’enquête reste au cœur de la possibilité même d’intégrer au politique la nature. Voir texte sur entêtement …

35Chacun de ces « projets » (ou devenirs du capital) peuvent être considérés comme des « abstractions-limites » qui « tendent en réalité à se dérouler simultanément et de façon contradictoire ». Voir CAMATTE Jacques, « Errance de l’humanité », Errance de l’humanité, La Tempête, Bordeaux, 2021, p. 17

36Voir CAMATTE Jacques, « La mort potentielle du capital », Invariance, série V, 2001, la notion de potentielle n’est pas à considérée comme du domaine du possible, mais du théorique.

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