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Poème depuis la cage

Été 2018, extrait, je retenais sur un carnet de route les matériaux qui allaient donner, quelques semaines plus tard, Poème depuis la plage. Il s’agissait de fixer un élan, fugace, joies diluées d’amour, d’énergie et de liberté, peut-être, quelques vues, situées, mêlées à ce qui était en train d’être vécu. Une étrange rencontre entre un présent saisi et un futur incanté, comme pour qu’il se réalise, affranchie des lourdeurs langagières, vers une simplicité choisie, la plus directe possible. Trois mois passèrent pour que le fond de l’air se révèle. D’autres textes liés suivirent, lentement ; Poème depuis trop tard (janvier 2019), Quitter le navire ne suffira pas (mars 2020), Forme juste sans moyens (novembre 2020). Il se trouve que je retrouve, géographiquement et sensiblement, cinq années plus tard, le point de départ, l’élan et le retour. Je vous transmets donc ce bref poème depuis la cage.

5,

c’est le nombre d’années,
qui nous séparent d’avec la plage,
d’avec,
ce poème depuis la plage,
fertile,
semble-t-il,

c’est dire qu’on est toujours vivant,
moyen moyennant,

mine d’aplomb,

qu’il s’en est passé,
depuis,
des choses,

souviens-toi,
la route qu’on avait prise,
interminable qu’on la voulait,
et les gilets qui s’en suivirent,
fortuits,

nous étions un peu avant l’air du temps,
ou complètement dedans, hors-sol donc,

détachés on planait,

des tours de vie qu’on abritait,
depuis,

on a vieilli un peu,
ni jeune ni vieux,
on reste entre-deux,
toujours insondables,

mais avec au bout des bras,
des sommes de sentiments grandissants,
on grandi avec eux, maladroits,
et au-delà des âges,

c’est qu’on en a vu passer,
d’autres courants d’air,
depuis trop tard,
il s’en est passé,

des nuits longues comme des absences,
fortuites de plus belles rencontres et de maquis,

on a même essayé de nous enfermer,
faut dire
qu’on ne se laisse pas dicter comme ça,
mais constater
qu’on est les plus silencieux à l’année,

on se compte,

les grandes bouches
montrent patte blanche,
habitués des sésames ceux-là,
nous non,

on a fait notre deuil,
revanchard,
et depuis
tout le reste continue de s’étioler,
comme prévu,

on n’a rien perdu,
de notre force au fond,
de nos balais cons,
de nos têtes de peintres,
de pioches,

une chose a changé ;
on ne vous attend plus,

on se défroque au seuil des flux,
seuls avec le monde,

on se prépare d’être près,
proche à l’âme,
on reste attentif,
à ne pas s’y faire,

on ne sait plus,
s’il faut d’abord croiser les mots,
ou les faire,
une chose est sûre,

on sait les briser,
tout brûler au besoin,
ou par plaisir,

on prend un peu de bouteilles,
on a compris ce qu’il manquait,
au Fenwick :
c’était la stéréo,

on hésite aussi,
à vous laisser Paris,
ce qu’il en reste,
tellement rien,

poème depuis la cage,
faudrait-il mettre à jour,

toutes ces grandes bouches révoltées
ces aînés,
qui maintenant tellement débordés,
se retrouvent par voie de presse,
à signer des appels au calme,
et de loin,

mais tout conspire,
et rien ne se perd,

mine de rien,

ni la fugue ni la fougue,
ni la grâce ni l’angoisse,

tenus au ventre,
des darons qu’on est,
enfants perdus,
en contradictions nous sommes,
des refus qu’on tient,

partout la guerre prend,
tout d’humain le dit,

qui sait voir loin se retrouvera seul,
quitte à peu – faire tomber les fables,
les fausses-paix,
que plus aucun fond-de teint-ne tient,

leur intelligence est artificielle,
c’est désormais un fait,
ils ne peuvent fabriquer,
que des monstres,
tout est dit,

et les larmes,
remplaceront l’eau,

on pourra toujours,
cracher nos pipas,
en évitant les plombs,
les comparutions,

les planches ont cramé,
le théâtre a fermé,
on devient spectateur,
de perquisitions,

il sera difficile d’expliquer aux petits,
que le père Noël a troqué ses reines,
pour un bélier,

sa hotte,
contre une paire de bracelets,
la gueule : cagoulée,

ventre à terre,
le ptitdej’ est terminé,

5,
c’est le nombre d’années,
où depuis loin je t’écris,

j’ai bien compris qu’il fallait faire,
comme on avait dit,
c’est à dire ;
pas comme on voulait,

on s’y fait,
d’autres y meurent,
là le pire,

on grandit,

les poulaillers bouillonnent,
comme par magie,
et la minorité aux manettes,
ne cache plus ses désirs d’émotions,

tous enrôlés tous perdus,
on vous regardera vous charcuter,

depuis nos cages nos escaliers,

l’histoire dit,
qu’on fera sauter vos ponts,

souviens-toi,
ce qu’on taisait,
le silence entre nos yeux,
ce poème depuis la plage,

annonçait plus qu’il ne prétendait,
du débordement des cadres,
de toute l’insolence dont nous sommes faits,
de peu, témoignait dedans,

certain.e.s se sont nourri sur notre dos,
à picorer nos défaites,
les bienpensant.e.s,

au bruit de vos railleries et jugements,
notre silence,

conte votre visibilité permanente,
vos affaires à notre sort,
les fantômes comme nous sommes,

ci et là,
les spécialistes en raison,
consolident leurs sordides châteaux de miettes,
fabriques de vérités,

on doit bien reconnaître,
qu’on s’en battait beaucoup de vos relents,
c’est d’ailleurs notre séparation d’avec vous,
qui depuis quelque temps fait l’objet,
de toutes vos attentions,

on trouvera toujours des routes,
des ronds des coins,
de quoi ponctuer nos retenues,
de quoi fournir nos mèches,

pour ne pas couler avec vous,

t’écrire que j’ai l’impression d’avancer contre le vent,
chargé de pierre mais léger comme un accident,
d’avancer contre ce temps,

et toi par habitude,
sans cesse ni pudeur,
tu tournes les pages,
du livre des fins perpétuelles,
celui de l’actualité qui te retient,
et fabrique ceux,
qui ne tiennent plus à rien,

je suis chaque jour abandonné,
contre ça,
quelques vérités font solide compagnie,

et tenir dans le temps,
de quoi le suspendre,
encore,
et encore,

cette lettre ne te parviendra peut-être pas,
qui sait,

et depuis la cage on dit,
qu’on va continuer de se séparer,
jusqu’à rire des jours bien ordonnés,

des activités programmées,
des occupations provisoires,
de la répétition logique de leurs vacances,

toujours les mêmes qui glosent,
si loin de nous,
leurs glaviots,

c’est la faute à personne,
d’ailleurs,
y’a rien d’fauté dans nos écarts,
nos pas de côté,

on n’en fige pas une stèle,
on consume,
ce qu’il nous reste de joie,
après,

les heures de sommeil,
les heures en moins,

5,
c’est le nombre de doigts qu’il nous reste
pour compter ceux qui nous manquent,

on chie dans vos bottes,
les yeux même tarif,

c’est l’inflation,

rien de nouveau,
si ce n’est les pompes planquées dans les coffres,
à marge des manifs,

nos poèmes ; échauffourées
une pluie de lacunes,
en verbes impurs,

difficile de trouver de quoi s’amuser,
en dehors de toutes conséquences,

je t’écris depuis ici,
aux côtés d’mes invisibles,
d’une langue moindre,
d’une voix défaite,
10 et 4 bougies,
pour m’accompagner,
on se dit même sans parler,

le pire aura été
de laisser filer.

Justin Delareux

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