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Automne 2024

Journal d’une jeune magicienne

Un texte de C. Frézel
J’avais mal à la narine droite. Les deux meuj qu’on venait de s’enfiler à trois avaient laissé leur trace. Et puis ce froid aux pieds persistant. Sans oublier cette peur de déranger. Ce désir ou ce besoin de solitude. Et en même temps cette peur de l’abandon. Il fallait que j’apprenne à l’apprivoiser cette ambivalence. Il fallait que je prenne soin de moi mais cette injonction m’apparaissait comme toutes les autres injonctions, c’est-à-dire comme un repoussoir. Décidément j’avais du mal. Du mal à faire des choix. À me discipliner. En fait ce qui me dérangeait c’était de faire comme les autres. Car je voyais les normes d’existence. Où que je passais je voyais ces règles de milieux et leurs cortèges d’ordres invisibles.

Heidegger et l’autonomie du négatif

Un texte de Nicola Massimo De Feo
Heidegger et l’autonomie du négatif est le texte que De Feo a publié dans « Aquinas » en 1979 et qu’il a repris, modifié, dans le volume L’Autonomia del negativo (1992) sous le titre Marx, Heidegger e l’autonomia del negativo. On peut peut-être le considérer comme le troisième moment d’une confrontation avec Heidegger qui avait déjà commencé à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Dans une conjoncture historico-intellectuelle dominée par les courants existentialistes et phénoménologiques, De Feo, alors âgé de vingt ans, traverse l’œuvre de Heidegger de l’intérieur, comme peu d’intellectuels l’ont fait à cette époque.

Brèves notes sur le militantisme, la politique et la désertion

Un texte de Nigredo
Rien n’est plus courant dans les milieux militants que la critique du militantisme et les réflexions sur la « crise du militantisme ». On pourrait presque dire que l’aveu sévère ou inconsolable de la nécessité de dépasser l’identité du militant représente, pour le militant lui-même, un hommage obligé à l’esprit du temps. Comme dans tous les autres domaines, l’alternative entre la dépendance dialectique du critique à l’égard de son objet et l’altérité positive de la séparation est nette et claire. Déserter le champ de visibilité de l’autovalorisation politique, c’est changer de plan, être ailleurs, parler un autre langage à d’autres interlocuteurs. De la conscience radicale du supplément, donc, à l’invention de nouvelles formes.

Est-ce la fin de la politique ?

Un texte de Mohand
Mon intervention part de la question « est-ce la fin de la politique ? ». Je crois qu’une telle question traduit une inquiétude qui s’impose à tous ceux et celles qui évoluent dans un milieu qui se réclame d’une tradition dite révolutionnaire ou radicale. Cette inquiétude est indubitablement liée à l’impossibilité de ne pas reconnaître qu’une totalisation du monde a bel et bien eu lieu par le capital, que celle-ci se poursuit et que ses dernières mutations ont produit une « crise de l’objectivité » à laquelle personne ne semble échapper.

Biopolitique et racisme d’État

Un texte de Serene Richards
Si le rôle du pouvoir est essentiellement de prendre soin de la population, de « faire vivre », comment peut-il laisser mourir ? Pour Foucault, la réponse à cette question peut être trouvée dans la complicité naissante entre la biologie et l’État, l’insertion ou la capture du biologique dans le politique, de telle sorte que « l’homme moderne est un animal dont la politique remet en question son existence en tant qu’être vivant ». L’analyse de Foucault se développe en une enquête sur le « racisme d’État » ; bien que le racisme en tant que tel ait toujours existé, c’est la première fois que le racisme est « inscrit dans les mécanismes de l’État ». En d’autres termes, la biopolitique s’intéresse également à la relation entre la race humaine « ou les êtres humains dans la mesure où ils constituent une espèce, dans la mesure où ils sont des êtres vivants, et leur environnement, le milieu dans lequel ils vivent ».

Pour une pensée planétaire

Un texte de Yuk Hui
Si la fin de la philosophie a été provoquée par la planétarisation technologique (comme l’a proclamé Heidegger en son temps), ou plus récemment par un tournant historique induit par l’informatisation planétaire (comme l’ont proclamé de nombreux auteurs enthousiastes à notre époque), la tâche nous revient de réfléchir à sa nature et à son futur, ou, selon les propres termes de Heidegger, à « l’autre commencement » (anderer Anfang). Dans cet autre commencement que cherchait Heidegger, le Dasein humain acquiert un nouveau rapport à l’Être et un rapport libre à la technique.

La gouvernementalité du feedback

Un texte de Jean Bartimée
À l’avènement du capital comme organisation matérielle planétaire, le pouvoir s’est fondu dans l’infrastructure planétaire du capital. Il s’est alors dissous de ses expressions mêmes, les États ne devenant que des éléments de ce gigantesque environnement contrôlé. C’est un basculement complet de la logique qui modifie la causalité même. La gouvernementalité mondiale s’appuie sur le socle paradigmatique de la cybernétique et de la biopolitique, articulé sur le mode de la boucle de rétroaction, autrement dit, du feedback. Il impose sur une situation, le caractère singulier de la situation est alors nié par l’agacement normatif et récursif de l’opération de la gouvernementalité. La gouvernementalité du feedback vise non à maîtriser la contingence, à dompter la possibilité de l’événement, mais à structurer le possible.

La fin du judaïsme

Un texte de Giorgio Agamben
On ne peut comprendre le sens de ce qui se passe aujourd’hui en Israël si l’on ne comprend pas que le sionisme constitue une double négation de la réalité historique du judaïsme. Non seulement en ce qu’il transfère l’État-nation des chrétiens aux juifs, le sionisme représente l’aboutissement de ce processus d’assimilation qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, a progressivement effacé l’identité juive. De manière décisive, comme l’a montré Amnon Raz-Krakotzkin dans une étude exemplaire, au fondement de la conscience sioniste se trouve une autre négation, la négation de Galut, c’est-à-dire de l’exil en tant que principe commun à toutes les formes historiques du judaïsme tel que nous le connaissons.

Le temps du malaise

Édito
Un malaise douloureux ronge les âmes. Signe que le refoulement est devenu la règle, la norme d’une conduite saine. Surtout aux pays des Lumières, où la bêtise est à la hauteur de son ego. Les vérités ne cessent d’être niées et contestées par la mauvaise conscience, complice malheureuse du triomphe de l’état de choses. Les vérités sur la « séquence du Covid » sont significatives de l’être français, de son scepticisme de boutiquier, « celle d’une masse “cultivée”, avertie, qui se croit à l’opposé de l’ignorance, une bêtise “d’élite”. » (Dionys Mascolo, Lettre polonaise, sur la misère intellectuelle en France) Le pire de cette histoire, c’est peut-être cela : que le devenir français a été plus contagieux que le Covid. Les politisés et les radicaux qui se sont tant épris à défendre la société sont les tristes symptômes de cette contagion.

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