X

Enfances, communisme : ce qui s’y joue

 « Un jour, une société a tenté, par des moyens innombrables et sans cesse répétés,
d’anéantir les plus vivants d’entre ses enfants.
Ces enfants ont survécu. Ils veulent la mort de cette société.
Ils sont sans haine. C’est une guerre qui n’est précédée d’aucune déclaration.
Au reste, nous ne la déclarons pas, nous la révélons seulement »
TIQQUN, Eh bien, la guerre !

« Retourner le désir de quitter ce monde pour l’autre
en un désir de quitter un autre monde pour celui-ci »
Hölderlin, Remarques sur Antigone

C’est l’été. Un lac, des rencontres. Des vieillesses, des enfances.
Ourdir, récidiver. Les en-jeux.
Des corps : mouvoir l’âme, secouer la langue.
Le mot d’« Histoire » est revenu.
Pour une autre Histoire, d’autres histoires.

Arracher l’Histoire (historiciste) à elle-même, à son inertie violente.
Faire dérailler le train du temps linéaire.
Il n’y a de naissance qu’en terre étrangère…

Elle n’oublie rien, la chair. Mais qui es-tu ?
La parole nous a été donnée non pour parler mais pour entendre ce qui est tu.

Kékidiii ?

On t’a fait croire qu’elle était perdue à jamais, l’enfance, dans quelque Avant inaccessible.
Inaccessible aux sujets, aux condamnés de l’Histoire, ou aux mutilés du temps qui reste.

Un lieu fatalement séparé, nostalgiquement fabulé, ou projeté dans quelque fuite imaginaire.
Voici partagées les traces d’on ne sait quel désastre,
sous la fragile égide d’une enfance sacrifiée.
Vivre avec ce qui est perdu, vivre avec cette maladie de la perte.
Ce mal à dire. Ceux qui ne peuvent pas parler.

Dénuée de haine, vient leur colère, leur rage de l’expression, la nôtre,
issue d’une catastrophe qui n’est plus à craindre.

Mémoire de la violence, de la pauvreté en expérience.
La mémoire, comme altération profonde de l’esprit.

Refus absolu et intempestif, la courbure d’une irrévérence
donnant lieu à d’intenses circulations

Serait-il possible de désirer la guerre, graine de crapule ?
La pensée de la révolution n’est-elle pas plus rassurante mon coco ?

*

Un spectre hante ton corps. Il vient d’une poitrine broyée par la terreur.
Et tout à coup.
Tu es sûrement très occupé, mais
ça peut revenir.

Aux enfants retrouvés.

Tout près de toi, dans le lointain, ils silencent.
Il s’agit pour eux de surgir, plutôt que d’apparaître : un sentir soudain, incongru et précis.
La pensée comme bondir.

Que dit Walter B. lorsqu’il parle de « sauver le passé » ?
D’en révéler le « noyau d’enfance »…
Quoi de l’enfant mort en nous, qui est aussi un mort vivant ?

Nous avons envers l’enfant mort qui est nous la même responsabilité
qu’envers les espérances toujours en souffrance du passé.

Manière de vivre selon le rappel des possibles, à même l’impossible.
Opacités retranscrites.

Menues ténèbres comme bouquet,
réserves monstrueuses de beauté où puiser,
offrir de l’ombre à l’abri du dit-à, du fait-pour, du voulu-par…

(((((Bientôt il se décale et devient autre.
Honte et peur n’ont que de minuscules racines))))).

Il ne s’agit pas de re-composer un monde perdu, ou de « réparer » le monde (sic)
mais de garder à l’esprit l’ampleur de ce qui fut nécessairement perdu.
Savoir que l’on est plus deep que la surface des petits événements.

*

Nous avions parlé d’« infantilisme », à l’époque… de position infantile,
de passivité, ou d’activisme bêlant,
comme méchant murmure de la couveuse impériale.

Les adultes, les adultés, ont trahi, c’est clair.
Pour prix de leur trahison, ils ont gagné du pouvoir,
et un profond sommeil d’oubli.

Quand ils causent des enfants, puisqu’ils ont le droit de causer sur tout,
ils parlent de l’Enfant comme d’un Autre. Ou d’un pantin, inarticulé.

Ce qu’ils considèrent, c’est un Enfant abstrait.
Un enfant mort, ou enfermé dans l’Imaginaire.

Un enfant perdu dans la nuit noire. Comme décor.
C’est rassurant.

Or, l’existence concrète n’est jamais assurée.
L’enfant se bricole par fragments, d’un passé indéfini,
gerbe mal foutue de commencements vagues.

Compost, humus : singularité et lien avec les autres en éclot
ainsi de rapports avec une matière plus générale,
cosmique, disons.

La condamnation morale du sensible fait retour avec chaque enfant.
L’Éducation refoule, neutralise cette inclination matérielle, en la déplaçant :
désodorisée, déshydratée, solidifiée, sublimée, et enfin abstraite et convertible.
De la pâte à modeler aux phynances, en passant par le sable, les billes et l’étalon-or.

Toute l’idéologie de la représentation vise de la même manière à mettre à distance
la matière concrète, à lui donner forme et réalité par l’érection de représentants privilégiés.

L’enfance anonyme, par deçà toute histoire de famille, ne peut être représentée :
pur foyer de vie, vie première, éclatante.

Un chien que tu connais depuis toujours est effectivement CEchien,
et c’est ce chien-là et pas un autre. Et c’est extraordinaire.

Nudité soudaine, brusque abandon à la présence, attention hypnotique à un détail,
variations de regard, fraîcheur d’un geste, détournement des usages, des objets.

Charles B. : la convalescence est comme un retour vers l’enfance.
Serions-nous malades à ce point ?

Faculté de s’intéresser vivement aux choses, à la prose des mondes…
Sortir des individus, des personnes, des personnages…
Réserve de singularités et de tendances, de forces…
Sensations pré-individuelles, impersonnelles…
Un passé bien plus vaste que mon passé individuel,
un Ailleurs qui m’est familier bien que je n’y aie jamais habité.

Ce n’est pas une affaire de symbolique, d’inconscient, de refoulement par un surmoi :
la psychanalyse n’a rien compris à l’enfance.

Brute, disponible et silencieuse, elle n’a pas été victime d’un oubli.
Elle est aux aguets, pour un autre usage du monde, pour les portes dérobées et les possibilités de fugues imaginatives.

On nous dit en MP que rien ne sert de forcer pour qu’il revienne.
C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, les efforts de la Raison sont inutiles.

Ce n’est pas que l’enfance soit dénuée d’intelligence, c’est qu’elle est rétive à l’abstraction.

*

Se taire n’est pas rien dire.
Son silence est parlant.

Elle revient de la mort, nous met en relation avec le monde des trépassés, et des invisibles.
Elle se dit que les vivants-morts sont chelous,
et ceux-ci la craignent, par là-même.

Effroi et défiance envers les liens avec l’au-delà.
L’au-delà qui est aussi bien un en-deçà.

Solidaires avec les animaux, les plantes, les pierres,
et leur supposée absence de langage.

Premiers jours, premières lueurs, béance de l’avant moi.

Franz K. : absurdités bureaucratiques, impasses totalitaires broyeuses des êtres,
mais aussi
retours et insurrections d’enfances.

Risque, non pas de « retomber en enfance », mais de découvrir qu’on y est,
qu’on y était toujours. Que nous y sommes réveillés.

Quelle erreur d’avoir fait rimer enfance avec innocence.

Les enfants, ces êtres qui sont là, font advenir un monde,
peuplé, et commun.

Ils refusent de retourner en classe. Vraiment, ils ne peuvent plus !
De la coalition des seconds-de-la-classe, ils n’en peuvent plus.

Il y a des tas de choses qu’ils ne peuvent plus. Il n’est pas question de vouloir.

La rentrée des classes ? NIQUE TOUT !
Dehors, vivants, ils ne l’étaient que trop.

Idris Seyzür

Retour en haut