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Nul ne témoigne pour le témoin

« Gentils peuples du monde entier,
Je m’appelle Ali Derris, le fils aîné d’Abbas Derris, condamné à mort.
Ma mère, Kafayeh, après avoir appris que mon père risquait d’être exécuté,
a fait un accident vasculaire cérébral. Elle est décédée, elle nous a
laissés seuls. Maintenant, mon père pourrait être exécuté à tout
moment. Moi et mes frères, Mahdi qui a 12 ans et Mohammad qui a 8 ans,
nous nous demandons si ce monde est si cruel pour nous voir perdre notre
père aussi. Nous, les trois enfants, demandons à toutes les
organisations, aux gouvernements et aux personnes aimables du monde et
même aux enfants du monde de nous venir en aide pour empêcher l’exécution de mon père.
C’est si terrible. Aidez mon père à rentrer à la maison ! »

Ali Derris, 16 ans

Abbas Derris, né en 1973 à Abadan en Iran, est un citoyen et ouvrier iranien. Il est l’un des manifestants au cours des révoltes populaires survenues en novembre 2019. Il a été témoin du massacre de Mahshahr où les gardiens de la Révolution ont eu recours aux armes de guerre et des mitrailleuses lourdes pour éliminer les protestants. Avec ses propres yeux, il a vu les meurtres commis par la République islamique d’Iran, et « seulement »pour cela, il a été condamné à mort. 

Du point de vue de la République islamique, être témoin, voir le crime, 
c’est déclarer « la guerre à Dieu ». 

Kafayeh, l’amour d’Abbas, a dû l’aimer passionnément.
Quand elle apprend que la République islamique allait exécuter son amour, 
« seulement » témoin des tueries de la République islamique, elle n’a pas pu le supporter.
Non, elle ne pouvait pas supporter d’être à son tour témoin de la mort du témoin.
Aujourd’hui, Kafayeh n’est plus en vie. Abbas Derris, le témoin des massacres,
est maintenant le témoin de la mort de Kafayeh, un témoin dont le temps de vie
est dorénavant compté et qui peut être supprimé de vie à tout moment. 
Maintenant,Ali, 16 ans, Mehdi 12 ans, et Mohammad, 8 ans, 
sont rapidement, trop rapidement et malgré eux, devenus des témoins.

J’ai écrit un jour : Sois témoin, sois mon témoin!

« Seulement »…
Qui témoignera pour Abbas Derris ?
Qui témoigne pour Kafayeh ?
Qui témoignera pour les trois enfants qui réclament l’aide des enfants du monde entier ?
Qui témoigne pour le témoin ?

Dans l’article consacré à Paul Celan, Maurice Blanchot écrit :

Nul ne témoigne pour le témoin. Et pourtant toujours nous nous choisissons un compagnon : non pour nous, mais pour quelque chose en nous, hors de nous, qui a besoin que nous manquions à nous-mêmes pour passer la ligne que nous n’atteindrons pas. Compagnon par avance perdu, la perte même qui est désormais notre place.

Parham Shahrjerdi

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