Pardonne-nous nos dettes
Un texte de Giorgio Agamben
La prière par excellence — celle que Jésus lui-même nous a dictée (« priez ainsi ») — contient un passage que notre temps s’efforce à tout prix de contredire et qu’il sera donc bon de rappeler, précisément aujourd’hui que tout semble être réduite à une loi féroce à double face : crédit/débit. Dimitte nobis debita nostra… « Et remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs ». L’original grec est encore plus péremptoire : aphes emin ta opheilemata emon, « lâchez prise, effacez-nous nos dettes ». Réfléchissant sur ces mots en 1941, au milieu de la guerre mondiale, un grand juriste italien, Francesco Carnelutti, a observé que, si c’est une vérité du monde physique que ce qui s’est passé ne peut être effacé, on ne peut pas en dire autant du monde moral, qui se définit précisément à travers la possibilité de remettre et de pardonner.